Les troubles du rêve

Certains médicaments qui agissent sur le système nerveux central modifient plus ou moins le stade paradoxal. Les antidépresseurs exercent ainsi une action inhibitrice puissante en retardant son apparition: on dit qu'ils augmentent la latence du stade paradoxal. Certains d'entre eux, les IMAO (inhibiteurs d'une enzyme du cerveau, la monoamine oxydase) classiques, peu utilisés aujourd'hui, peuvent même le supprimer complètement. Les antidépresseurs récemment développés, qui agissent surtout sur la sérotonine cérébrale, provoquent aussi dans une moindre mesure cet effet inhibiteur. Il existe des exceptions, comme le moclobémide (un IMAO réversible), qui ne modifient presque pas le sommeil paradoxal. Pour certains chercheurs, l'action thérapeutique des antidépresseurs serait directement liée à leur effet inhibiteur sur le stade paradoxal. C'est en réalisant une privation de ce stade que ces médicaments soulageraient la dépression. On considère aujourd'hui que ces deux effets ne sont qu'indirectement associés. Il existe en effet des antidépresseurs qui ne retardent pas le sommeil paradoxal , et tous les médicaments qui diminuent ce stade ne sont pas des antidépresseurs. Enfin la privation du stade paradoxal par des moyens non médicamenteux n'a qu'un effet antidépresseur modeste. La figure ci-dessous montre que l'interruption du traitement (on administre alors une substance placebo) peut entraîner l'effet inverse: par un phénomène de " rebond ", le sommeil paradoxal apparaît plus tôt au cours de la nuit et il dure plus longtemps que dans les conditions normales.

L'antidépresseur (Anafranil) a supprimé le sommeil paradoxal. Celui-ci ne retrouve sa durée normale qu'une dizaine de jours après la fin du traitement.
Les cauchemars et les terreurs nocturnes résultent tous deux de l'émergence d'anxiété au sein du sommeil. Cependant, ils s'opposent par leurs caractéristiques neurophysiologiques et cliniques, et ils n'ont pas la même signification. Les cauchemars sont des rêves vrais, c'est-à-dire qu'ils se produisent pendant le sommeil paradoxal, alors que le sommeil orthodoxe reste normal. Ils comportent une histoire qui se déroule avec une charge d'anxiété de plus en plus grande, jusqu'à entraîner le réveil. Ils laissent un souvenir au rêveur. Les terreurs nocturnes ne sont pas des rêves vrais. Elles surviennent pendant le stade IV, le plus profond du sommeil orthodoxe, tandis que le sommeil paradoxal n'est pas affecté. Ces terreurs ne comportent pas de scénario, mais éventuellement une seule image, souvent celle d'un écrasement ou d'un véhicule qui arrive sur le rêveur. L'anxiété est intense, et ses manifestations sont visibles pour l'entourage. Le dormeur s'agite, pousse des cris perçants. Les signes végétatifs sont beaucoup plus marqués que dans le cauchemar: accélération cardiaque jusqu'à 160 battements par minute, respiration haletante. Le dormeur ne se réveille pas nécessairement et ne conserve que peu de souvenirs de ce qui vient de lui arriver. Terreurs nocturnes et cauchemars ne sont pas soignés par les mêmes médicaments. Des effets secondaires peuvent apparaître. Par exemple, le traitement ci-dessous a supprimé la terreur nocturne mais également les stades III et IV du sommeil.
Les thèmes des cauchemars sont souvent des poursuites, attaques, mutilations corporelles ou images qui tournent autour de la mort : cercueils, cadavres, parties détachées du corps comme un bras arraché ou un foie traînant sur la route... Parfois, les scénarios ne sont pas objectivement effrayants. Une de mes patientes racontait un rêve répétitif, terrifiant pour elle : elle voyait sa soeur descendre une colline verdoyante, se rendre à une gare et prendre le train. Dans ce cas, le contenu du rêve présente un lien très indirect avec un élément anxiogène, mais profondément inconscient.
Aucun film n'a mieux restitué l'état de " stress post-traumatique " qu'Apocalypse Now, de Francis Ford Coppola. Ce film illustre le fait qu'un événement qui met enjeu l'imminence de la mort suffit à plonger durablement une personne, jusqu'alors sans problèmes, dans un monde irréel où elle revivra, en rêve autant qu'en état de veille, la situation traumatique. Dans la première séquence du film, des accords de guitare évoquent le bruit des pales d'hélicoptères que l'on voit défiler sur fond de jungle en flammes. Ces accords se superposent au bruit des pales d'un ventilateur qui tourne, accroché au plafond d'une chambre où un officier dort. Il fait un cauchemar, déclenché par le bruit de l'appareil. L'officier rêve à des images de guerre, il s'agite et s'éveille. Il se met à lutter contre sa propre image dans le miroir et se blesse en le cassant. L'horreur qu'évoque ce film reste néanmoins en dessous de la réalité. Des études épidémiologiques montrent que le stress post-traumatique pourrait atteindre de 1% à 7% de la population civile en temps de guerre, 15% des militaires présents sur le terrain quelque 50% des prisonniers de guerre et plus de 75% des victimes de viol. Il peut aussi résulter d'événements traumatiques inhabituels: catastrophes naturelles, accidents d'avion ou de voiture, violences sexuelles, prises d'otage... C'est surtout l'intensité, l'imprévisibilité des événements qui entraînent le développement du stress post-traumatique chronique et l'apparition de cauchemars répétitifs. Ces événements ont pour caractéristique de mettre le sujet de manière inopinée en face de sa mort sans qu'il soit possible de s'en échapper ou de contrôler en quoi que ce soit l'événement. Le stress post-traumatique est qualifié d'aigu lorsqu'il suit le choc traumatique pendant une durée minimum de trois mois. On le considère comme chronique s'il dure au-delà. On parle de stress post-traumatique différé s'il apparaît six mois après le trauma (le délai entre le trauma initial et le stress post-traumatique peut être très long). Les cauchemars récurrents apparaissent systématiquement dans les situations de stress post-traumatique. L'événement traumatique est sans cesse revécu. Cependant un cauchemar donné n'est pas nécessairement lié à une situation traumatique particulière. La durée de la phase paradoxale du sommeil est diminuée en cas de stress aigu, c'est-à-dire dans la période succédant immédiatement au traumatisme. Plusieurs travaux expérimentaux, effectués chez l'animal, ont montré que le stress aigu par immobilisation forcée avait pour conséquence de supprimer ou de réduire significativement la durée du sommeil paradoxal. Il se contracte alors une dette de " sommeil paradoxal " qui se traduit, secondairement, par un rebond de ce type de sommeil dans les suites du traumatisme. Il est donc possible, comme le souligne Michel Jouvet dans son ouvrage Le Sommeil et les rêves, paru en 1992, que le rebond de sommeil paradoxal soit un mécanisme de régulation destiné à rétablir les circuits corticaux altérés par une situation de contrainte imposée (le stress aigu). Il faut évidemment extrapoler avec prudence ces résultats expérimentaux à la clinique humaine. Mais l'on doit constater que le sommeil paradoxal augmente lors du stress chronique. Des études, celles de Thomas A. Mellman et ses collaborateurs, en 1995, ont montré que les vétérans victimes de stress post-traumatique chronique se réveillent après une période intense de sommeil paradoxal, avec des sursauts et des crises d'angoisse suivis de récits de cauchemar. D'autres anomalies biologiques apparaissent dans le stress post-traumatique, en particulier une activité du système noradrénergique, responsable de l'anxiété et une activation du système hypothalamo-hypohyso-surrénalien, qui peuvent expliquer les troubles psychiques de la mémoire et peut-être aussi du rêve, et enfin des sécrétions d'endorphines qui peuvent expliquer l'atténuation des émotions. Malgré ces modifications neurobiologiques, les thérapies cognitivo-comportementales interviennent favorablement sur le cauchemar. Ceci peut être fait à travers la répétition des cauchemars en imagination pendant des périodes prolongées avec l'aide d'un psychologue. Cette réexposition a un triple but. Tout d'abord aboutir à l'habituation des réponses émotionnelles qui perdent de leur intensité par leur répétition guidée. Ensuite permettre la distanciation et la maîtrise face à des images qui surviennent involontairement. Enfin, permettre l'expression d'émotions en rétention (abréaction) et qui entraînent l'aplatissement de la vie affective. Par exemple, il est fréquent de trouver un gel émotionnel total après un viol. Toutes les émotions sexuelles sont bannies qu'elles soient positives ou négatives, car elles sont associées à la violence. Le fait d'utiliser le cauchemar pour relancer la vie émotionnelle peut dégeler celle-ci. Donner une issue triomphante au cauchemar ou autoriser des images de vengeance est également une méthode qui aide les patients à se distancier de leur trauma et à réécrire le scénario dont ils ont été les jouets. Finalement le sujet doit passer du rôle passif de la victime à celui du héros qui a su traverser une situation difficile.
Jean Cottraux,
psychiatre des hôpitaux,
chargé de cours à l'université de Lyon-1

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