La critique psychanalytique
Les techniques de l’interprétation du rêve pour les études textuelles
Vous pouvez vous familiariser avec les concepts fondamentaux de l’analyse des rêves en lisant la vue d’ensemble ci-dessous « Sommaire de la technique de l’interprétation des rêves pour les études textuelles ». En l’étudiant, essayez d’arriver à une compréhension essentielle des termes suivants :
- Le rébus
- La résistance
- La censure
- Le refoulement ; un désir refoulé
- Le contenu manifeste du rêve
- Les idées ou pensées latentes du rêve
- La condensation
- Le déplacement
- La figuration
- La surdétermination
- L’élaboration secondaire
Traiter le rêve comme une pensée véritable, cela choquait aussi bien la science que le bon sens, qui s'accordaient pour rejeter le rêve dans le domaine de l'absurde, de l'irrationnel ou de l'insignifiant. Comment d'ailleurs trouver l'unité de ce phénomène aussi divers que déconcertant puisqu'il y a des rêves longs, d'autres très courts, des rêves cohérents et clairs, d'autres inintelligibles?
Mais, pour Freud, la diversité ou la confusion des rêves ne sauraient être une objection suffisante pour les exclure de la recherche scientifique. Ce qui fait la science, c'est la méthode, non l'objet. Il faut admettre les traits du rêve tels qu'il sont, et les analyser sans mysticisme.
Pour interpréter un acte manqué (voilà le fameux « Freudian slip ») on avait demandé à l’auteur de cet acte manqué comment il en est-il venu à oublier ce mot, à prononcer tel mot à la place de tel autre. On procède de la même façon pour le rêve : on demande au rêveur ce que ce rêve évoque pour lui spontanément. Mais un rêve se distingue d'un acte manqué par la multiplicité de ses éléments.
Aussi la technique d'interprétation consiste-t-elle à découper le rêve en tous ses éléments. Chacun d'entre eux devra être soumis à l'analyse séparément. Par exemple, je rêve que je voyage en avion, que je me trouve assis à côté d'un ami qui me raconte une histoire, etc. Il faut trouver le sens des éléments « voyage », « avion », « ami », etc., en les prenant à part et en laissant s'éveiller les images, les mots ou les idées qui surgiront par association autour de chaque élément.
La grande règle consiste à ne surtout pas se préoccuper de savoir si les associations qui se présentent sont absurdes et déplacées, ou raisonnables et pertinentes, justes ou fausses, cohérentes ou incohérentes. Comme toujours une certaine mise en suspens du jugement, une « neutralité » est une condition nécessaire pour accéder à l’inconscient.
A ce stade, nous comprenons pourquoi il est indifférent que le rêve lui même soit clair ou confus. Ce que l'on vise à restituer, ce n'est pas le rêve lui-même mais ce dont il est la manifestation. Aussi les souvenirs qui se trouvent suscités à propos du rêve comptent-ils davantage que son contenu explicite.
Parmi les associations d'idées qui naissent lorsqu'on analyse ses propres rêves ou ceux des autres, on est tenté de choisir, d'en rejeter une partie comme étant déraisonnable, sans rapport avec le rêve, ou désagréable à exprimer. Or, l’expérience de la psychanalyse révèle que ce sont précisément les idées qu'on voudrait ainsi rejeter, refouler, qui sont toujours les plus proches de la vérité inconsciente à découvrir.
La réaction qui consiste à rejeter une partie des idées qui viennent est une réaction qui a ses motifs inconscients et que Freud appelle la résistance. La résistance nous pousse à échafauder des arguments pour démonter l'absurdité des explications concernant les rêves. Cette résistance plus ou moins consciente qui s'oppose à toute manifestation de l'inconscient est l'effet de la censure.
Le rébus
Le rébus est un jeu d'esprit qui consiste à faire deviner des mots ou des phrases par des dessins ou des signes que l'on doit décrypter phonétiquement. Le rêve se sert du rébus afin de camoufler les idées latentes du rêve.
Un exemple : Le rêve de quatre vins
Un vieil homme raconte à l’analyste un rêve dans lequel il a vu quatre bouteilles de vin. L’homme essaye de déchiffrer cette énigme en pensant rationnellement à la signification de l’image de vin. Il ne s’aperçoit pas que cette image est produite par un jeu de mots phonétique et visuel. Cet homme s’inquiète du fait qu’il approche de l’age de quatre-vingts ans ; alors il a rêvé de quatre vins, deux mots qui se prononcent de la même façon que le numéro quatre-vingts. Ainsi le rêve a évité le sujet inquiétant en choisissant une telle image inoffensive, même festive.
Freud sur le rébus:
A propos du rébus, Freud a dit : « Le contenu du rêve nous est donné sous la forme d’hiéroglyphes, dont les signes doivent être successivement traduits dans la langue des pensées du rêve. On se trompera évidemment si on veut lire ces signes comme des images … Supposons que je regarde un rébus ; il représente une maison sure le toit de laquelle on voit un canot, puis un lettre isolée, un personnage sans tête qui court, etc. Je pourrais déclarer que ni cet ensemble, ni ses diverses parties n’ont de sens … Je ne jugerai exactement le rébus que lorsque je renoncerai à apprécier ainsi le tout et les parties, mais m’efforcerai de remplacer chaque image par une syllabe ou par un mot … Ainsi réunis, les mots ne seront plus dépourvus de sens … Le rêve est un rébus, nos prédécesseurs ont commis la faute de vouloir l’interpréter en tant que dessin. C’est pourquoi il leur a paru absurde et sans valeur ».
Sens du rêve : il est la réalisation (plus ou moins déguisée) d’un désir refoulé
Lorsqu'on analyse les rêves, on s'aperçoit que derrière toutes les traces de souvenirs qu'ils remuent, se tient un désir caché, qui est le plus souvent étranger à la vie éveillée du rêveur. Il faut introduire une importante distinction entre d'un côté le « contenu manifeste du rêve », c'est-à-dire « ce que le rêve nous raconte », l'histoire ou la scène qui se déroule, et de l'autre côté ce que Freud appelle les « idées latentes du rêve », c'est-à-dire « ce qui est caché », le sens véritable.
Les désirs qui ne sont pas acceptés tels quels à cause de la censure figurent dans le rêve sous toutes sortes de déguisements. Pour comprendre le lien entre le contenu manifeste d'un rêve et les idées latentes, il faut saisir le mécanisme des déformations, des transformations auxquelles l'inconscient travaille. Freud appelle ce travail l'élaboration du rêve.
L’élaboration du rêve
Il s'agit de définir pour ainsi dire le secret de fabrication qui vaut pour tout rêve. Par le travestissement, les désirs revêtent une sorte de masque qui fait qu'ils peuvent franchir sans se faire arrêter le barrage de la censure.
C'est comme si quelqu'un, à qui l'entrée d'un pays est interdite, prenait un faux passeport, se donnait une fausse identité, mettait une moustache ou teignait ses cheveux pour ne pas se faire reconnaître. Les désirs censurés sont ceux que le rêveur dans son jugement de l'état de veille rejetterait comme indécents et répréhensibles du point de vue moral, esthétique et social. La censure est en nous une instance critique, d'interdiction, formée par l'éducation que nous avons reçue et les règles morales qui nous ont été apprises. On voit ici que Freud ne porte de jugement moral ni pour ni contre les désirs censurés. Il se contente de constater que ces désirs sont comme mauvais du point de vue de la censure.
Mais il ajoute que le moi du rêveur est caractérisé en général par « un égoïsme sans bornes et sans scrupules ». « Il n'est d'ailleurs pas de rêve dans lequel le moi du rêveur ne joue le principal rôle ».
D'autre part il remarque la libération dans le rêve d'un instinct sexuel qui ne connaît pas de limites, qui choisit même de préférence les objets défendus, commet l'inceste sous toutes ses formes. Enfin l'inconscient exprime une agressivité, une haine et des désirs de vengeance très violents contre les personnes les plus aimées dans la vie. Les désirs refoulés - des plus récents jusqu'à ceux de l'enfance, que l'inconscient n'oublie jamais - sont à la source des rêves. Le sommeil ayant diminué la force de la censure, les désirs surgissent de l'inconscient et deviennent pour ainsi dire indépendants. Les désirs refoulés s'emparent des restes de la veille, ils les modifient et s'en font une étoffe.
Seul le désir inconscient provoque le rêve. Ainsi il n'y a pas de rêves insignifiants. Tous les rêves traduisent profondément l'inconscient. Le plus souvent ce sont les plus indifférents des restes diurnes (des souvenirs sans importance et qui n'ont pas le caractère de désirs) dont les désirs se servent comme de couverture pour former le contenu manifeste du rêve : c'est toujours pour échapper au contrôle de la censure. De toutes les façons, l'élaboration du rêve tend à donner une apparence inoffensive aux restes utilisés et à rendre l'expression du rêve aussi anodine que possible pour faciliter le passage des désirs.
Mais quels sont les procédés utilisés par l'inconscient dans cette élaboration?
Le travail du rêve : condensation; déplacement; figuration; surdétermination; élaboration secondaire
D'abord, la condensation. Le travail du rêve effectue une sorte de compression qui fait qu'un petit nombre d'images du contenu objectif évoque une diversité beaucoup plus grande d'idées latentes. On voit ainsi le rêve présenter sur une même personne des traits appartenant à plusieurs personnes. Autre exemple la mer signifie à la fois l'élément marin et la mère.
Un autre procédé, c'est le déplacement. Nous y avons déjà fait allusion. Il s'agit d'une opération de substitution, par laquelle l'intérêt est déplacé des pensées importantes à des éléments indifférents. Ce qui est extérieur et accessoire est placé au centre, et inversement. Le fait que l'énergie psychique inconsciente n'est pas retenue par les contraintes et les séparations logiques rend un tel transfert possible: il peut glisser librement des représentations importantes aux représentations insignifiantes, ce qui semblerait constituer pour la pensée consciente une faute de raisonnement. Grâce au déplacement, le désir se donne des équivalents symboliques, se transpose dans des images, s'exprime par des allusions, toujours pour échapper à la surveillance de la censure.
Remarquons que les deux procédés dont se sert l'inconscient sont des structures du langage qui portent un nom dans la rhétorique et la stylistique : la condensation est une métaphore. Elle rapproche un comparé et un comparant sans comparatif ; ex : la lune est une faucille d’or. Le déplacement est une métonymie. Elle remplace un terme par un autre qui est lié au premier par un rapport logique ; ex : le symbole pour la chose (les lauriers pour la gloire), ou l’écrivain pour son œuvre (lire Zola).
La figuration, la forme la plus importante du travail d'élaboration, « consiste en une transformation d'idées en images visuelles ». Il s'agit d'une sorte de mise en scène ou de dramatisation, ou, comme le dit Freud, d'un travail semblable à la transposition d'un article de fond politique en une série d'illustrations. Dans cette transposition, certains éléments logiques du texte (des liaisons comme « parce que ») ne pourront pas être traduits en images. D'autre part, l'inconscient ne connaissant pas les catégories d'opposition et de contradiction, le rêve ignore le « non ». Il réunit souvent les contraires en un même objet. La seule relation logique que connaisse cette pensée du rêve, c'est la ressemblance, l'assimilation, le « de même que, de même ».
Pour caractériser la multiplicité de correspondances, associations, et allusions se trouvant dans chaque image du rêve, Freud a choisi le mot surdétermination, dont, contrairement aux autres termes techniques de l’élaboration du rêve, comme condensation ou déplacement, la signification n’est pas immédiatement évidente. En disant qu’une certaine image est surdéterminée, Freud veut dire qu’il est impossible d’arriver à une signification unique pour cette image. Le processus d’interprétation ressemble à une excavation archéologique, pendant laquelle on découvre de plus en plus d’artéfacts en pénétrant au-dessous de la surface.
Enfin le quatrième procédé, l’élaboration secondaire, est l’œuvre du conscient. En effet la conscience qui perçoit le rêve, c’est-à-dire l’homme qui est éveillé et conscient après le rêve, cherche dans le rêve une cohérence et une unité. A cet effet, il comble les lacunes, atténue les illogismes pour obtenir une « façade » harmonieuse. Ainsi le rêve perd quelque peu de son apparence d'absurdité.
L'élaboration faite sous la pression de la censure n'est pas la seule explication de la déformation du rêve. A la suite de multiples analyses, Freud est parvenu à mettre en évidence un nombre considérable de traductions constantes et invariables des désirs dans leurs principaux symboles.
Le symbolisme des rêves
Un symbole est ici en effet un rapport constant, et donc indépendant de tel ou tel contexte individuel, entre la pensée inconsciente et sa manifestation dans le rêve. Ce rapport est un rapport de comparaison. La symbolisation aide à déguiser le désir, à rendre le contenu manifeste mystérieux et incompréhensible. Par exemple, la naissance est remplacée par le symbole de l’eau ; la mort imminente est remplacée par le départ, ou par un voyage en chemin de fer; la nudité par des habits ou uniformes.
Mais c'est dans le domaine de la vie sexuelle que le symbolisme est le plus riche et le plus varié. «La majeure partie des symboles dans le rêve sont des symboles sexuels ». L'organe sexuel de l'homme a un très grand nombre de substitutions symboliques qui lui ressemblent par la forme (serpents, poissons, tiges, arbres, parapluies, etc.), aussi bien que par le pouvoir de pénétrer, voire blesser (lames, sabres, couteaux, mais aussi armes à feu, telles que fusils et revolvers).
Dans les cauchemars de jeunes filles on trouve souvent une poursuite par un homme armé d'un couteau ou d'un revolver. Les rêves de vol en général symbolisent l'érection ou l'excitation sexuelle. L'organe génital de la femme a aussi un grand nombre de symboles : ce sont les objets qui forment une cavité dans laquelle quelque chose peut être logé, objets tels que mines, fosses, cavernes, vases, bouteilles, boites de toutes formes, coffres, surtout coffrets à bijoux, caisses, poches.
Petit exercice
On dit que le fonctionnement de la condensation ressemble à une métaphore et que celui du déplacement ressemble à une métonymie. Recherchez la signification de ces expressions dans un dictionnaire de figures de rhétorique. Dans quel sens peut-on regarder les condensations et déplacements comme les métaphores et métonymies ?