Contre-transfert


N. m. Du latin transferre [-transfert], porter au-delà. Le contre-transfert est une réaction du médecin vis-à-vis de son patient. "Selon Imhof, Hirsch & Terenzi (1984), le contre-transfert se définit comme la réaction émotionnelle complète du thérapeute au patient. En prenant en considération le spectre entier des attitudes, croyances et sentiments inconscients, préconscients ou conscients du thérapeute en contact avec un patient ayant un problème de dépendance, souffrant aussi de problème de santé mentale. Pour Weiss (1994), il s'agit d'un terme décrivant à l'origine les pensées et sentiments (affects) de la part du psychothérapeute, émergeant de l'histoire personnelle et de la dynamique de celui-ci. Il s'agit donc du contre-transfert direct. Il ajoute que ce terme inclus, plus récemment, les pensées et sentiments du thérapeute évoqués par la dynamique du patient. Il s'agit du contre-transfert en réponse au transfert du client. Comme tout contre-transfert, celui vécu avec cette clientèle peut être utilisé de façon thérapeutique. Ce que le client recréer dans le transfert est ce qu'il ne peut rappeler au souvenir, donc ce qui ne peut être penser (traduit) ou dit. Il s'agit de matériel qui n'a pas été inscrit psychiquement, donc de traumatisme (Geberovich, 1984). Le transfert et le contre-transfert (alliance thérapeutique et/ou contre-transfert résistance) permettent à ce matériel de se manifester et le thérapeute peut ainsi le nommer et le travailler avec le patient."Les notions de transfert et contre transfert sont spécifiques au travail d’analyse ou travail thérapeutique.

Dans le cadre du contre-transfert, c’est le psychologue qui projette sur son client des affects ou des émotions qui lui appartiennent et qui n’ont strictement rien à voir avec la problématique du patient.

Le thérapeute doit absolument travailler ce contre-transfert pour ne pas mélanger son histoire personnelle, ses propres valeurs avec celles de son patient !

Le thérapeute doit avoir fait ou continuer un propre travail personnel pour se connaitre et identifier / prendre conscience des éléments du contre-transfert quand ils apparaissent.Le contre-transfert            Ensemble des manifestations de l’inconscient de l’analyste en relation avec celles du transfert de son patient.En psychanalyse : « Le transfert est proprement l’actualisation dans le champ psychanalytique d’un problème inconscient dont les racines plongent dans l’enfance… À la suite d’une frustration subie, le patient a régressé à un point de fixation qui correspond aux problèmes les plus significatifs de son enfance. » Daniel Lagache            Nous sommes dans un présent où se transposent les composantes d’une relation infantile sur un conflit actuel ; il y a donc double déplacement : déplacement de temps et déplacement de personne. « Déplacement de temps, car un affect passé et refoulé resurgit en quelque sorte à contretemps, dans la pleine actualité de la cure – et déplacement de personne, car c’est vers le thérapeute que s’oriente cet affect. » Michel Neyraut            Le patient, dans le transfert, revit donc son passé au lieu de se le remémorer. Notons la compulsion de répétition du patient que l’analyse du transfert va permettre d’élucider ; l’analyste se trouve impliqué dans une répétition d’imagos et se voit prêter de multiples rôles, attribués par l’analysant et basés sur le passé de ce dernier. Cependant l’analyste sait que ce qui est déplacé sur lui n’est que le déplacement d’une relation à une autre. Il ne saurait être leurré !            Il est l’interlocuteur que l’on fait entrer dans une histoire passée ;  par ce rôle qu’on lui fait jouer, il saura révéler au patient ce que celui-ci désire ou appréhende. Mais est-ce que ce type particulier de relation d’objet, ou comme l’a dit Freud « cette répétition, nouvelle édition d’une ancienne relation d’objet » se commue en quelque chose de réel ? On serait tenté d’y souscrire ; cependant « l’essence du transfert est dans le mouvement qui transfère et répète un mode de relation ; il n’est pas cette relation, il en est le transfert ».            Lorsque Freud nous parle de répétition dans le transfert d’expériences rétroactives, ce déplacement ne peut être compris dans un sens réaliste qui « limiterait l’actualisation à des relations effectivement vécues. Ce qui est transféré, c’est la réalité psychique, à savoir, au plus profond, le désir inconscient et les fantasmes associés. Les manifestations transférentielles ne sont pas des répétitions à la lettre, mais des équivalents symboliques.            Le vécu transféré peut, par son intensité, se substituer à la réalité objective.            «  Le réel trouve donc un plus réel que lui » (Michel Neyraut) et la réalité devient ce que le patient vit sur le divan, d’où une difficulté à déterminer la situation analytique : « Les fantasmes possèdent une réalité psychique opposée à la réalité matérielle […] dans le monde des névroses, c’est la réalité psychique qui joue le rôle dominant » écrit Freud            Hormis la réalité matérielle et évènementielle, il existe une réalité subjective, c’est ce à quoi le sujet a cru et qui émanait d’un désir inconscient avec une efficacité permettant de parler de réalité psychique.             Nous sommes ici dans le domaine de l’illusion, dans une relation réduite à un échange fantasmatique… L’analyste n’a provoqué en aucune façon cet attachement affectif, mais il sait le repérer, l’analyser et, à terme, permettre à l’analysant de s’en défaire.            Dans le transfert, le sujet réitère une attitude conflictuelle qui fut sienne autrefois dans son enfance, dont il ne se remémore plus. Les traces amnésiques « ne s’actualisent pas dans une représentation de ce passé reconnu pour tel, mais dans une réminiscence actuelle d’attitudes et de désirs dont le lien avec leur source infantile demeure méconnu ». « Le patient, dit Freud, répète au lieu de se remémorer. »             On pressent la difficulté et toute la finesse dont l’analyste est obligé de faire preuve dans le maniement de ce transfert et plus encore de la névrose de transfert. Car ce que le patient n’a pu obtenir dans son enfance se trouve exacerbé par l’attitude classique de neutralité que l’analyste doit savoir doser au risque de ne pas voir l’analyse s’embourber et devenir ce que Freud a qualifié d’analyse interminable.            À cela nous renvoie la réponse consciente ou inconsciente de l’analyste au transfert, c’est-à-dire son contre-transfert. Dans cette alliance du transfert et du contre-transfert, il apparaît évident que l’analyste doit avoir une compréhension sûre de son propre inconscient et un parfait contrôle des réactions dont celui-ci pourrait être la cause dans des phénomènes contre-transférentiels.            Dans cette relation fondée au niveau de l’inconscient, celui de l’analysant et celui de l’analyste, le patient ressent inconsciemment le comportement non conscient de son thérapeute, et cela importe encore plus que ses paroles, car c’est cette attitude pénétrante qui fera qu’il acceptera ou rejettera les interprétations données : «  Chacun possède en son propre inconscient un instrument avec lequel il peut interpréter les expressions de l’inconscient chez les autres. »            Cette implication de l’analyste dans la demande du  patient est d’une importance extrême, car si la réponse contre-transférentielle comporte des résistances personnelles chez l’analyste, elle sera en retour cause de résistance chez le patient. La qualité de ce rapport est donc très importante.            L’attention flottante et l’écoute libre ne peuvent exister sans l’identification qui doit ici s’entendre au sens d’une double identification, l’analyste étant identifié à « un objet désirable ou … haïssable » et s’identifiant au patient tout en demeurant à sa place. Il « vit l’expérience du dedans et l’observe du dehors. »            Malgré cette situation d’observateur observé, tout se passe comme si dans ces mouvements intersubjectifs, « au-delà de la relation consciente patient-analyste, s’établit une relation non-consciente, infiniment plus subtile, alimentée par ce que l’inconscient de l’un perçoit de l’inconscient de l’autre »… C’est l’écho d’un « inconscient à autre inconscient » qui constitue le seul échange psychanalytique vrai.

Le contre-transfert est l'ensemble des réactions inconscientes de l'analyste au transfert de son patient, y compris les sentiments projetés en lui par celui-ci.

Sigmund Freud introduit ce concept au congrès de l'Association psychanalytique internationale (A.P.I.) à Nuremberg en 1910, dans la remarque suivante : « Notre attention s'est portée sur le "contre-transfert" qui s'établit chez le médecin par suite de l'influence qu'exerce le patient sur les sentiments inconscients de son analyste. Nous sommes tout prêts d'exiger que le médecin reconnaisse et maîtrise en lui-même ce contre-transfert.

Le 7 juin 1909, Freud écrit à Jung aux prises avec le transfert amoureux d’une patiente (S. Spielrein) que ce dernier pense à ce moment être devenu revendication : « De telles expériences, si elles sont douloureuses, sont aussi nécessaires et difficiles à épargner ». Il s’estime en avoir été épargné lui-même par son âge et les nécessités farouches de la vie quant à son travail… et continue ainsi : « Mais cela ne nuit en rien. Il nous pousse ainsi la peau dure qu’il nous faut, on devient maître du contre-transfert, dans lequel on est tout de même chaque fois placé et on apprend à déplacer ses propres affects et à les placer correctement. »
C’est en 1910 que, pour la première fois, Freud étudie plus avant la notion de contre-transfert qu’il définit alors comme « … l’influence qu’exerce le patient sur les sentiments inconscient de son analyste » (L’avenir de la technique analytique, in La technique Psychanalytique).
L’introduction d’un tel concept dans la métapsychologie représente une étape importante dans l’évolution de la pensée Freudienne au sein de laquelle le contre-transfert conserve une place déterminante.
On comprend que, concomitamment à ses travaux sur le contre-transfert, Freud porte une attention particulière à ce que l’analyste dispose d’une connaissance parfaite de son propre fonctionnement psychique. Cela conduit à la nécéssité qu’un psychanalyste ait été lui-même analysé et qu’il poursuive sa vie durant une auto-analyse permanente ; ce d’autant qu’« Aucun analyste ne va plus loin que ses propres complexes et résistances interne ne le permettent » écrit Freud (1910). La question de la formation (analyse dite didactique) et des dispositions à l’auto-analyse du futur analyste se posent donc d’emblé. Depuis 1910, elle ne cesse d’être l’objet de nombreux débats, controverses ou polémiques qui marquent l’histoire de la psychanalyse : les divergences avec les lacaniens, les différents actuels au sein de l’API en témoignent. L’objectif initial de Freud est de maintenir chez l’analyste une froideur de sentiments indispensable au bon déroulement de la cure. Dans « conseils aux médecins » en 1912, il recommande aux analystes de prendre comme modèle le chirurgien, reprenant la phrase attribuée à Ambroise Paré : « Je le pansai, Dieu le guérit ».
C’est dans ce même article qu’il distingue la pratique de la cure de celle de la psychothérapie pour laquelle s’associent utilement analyse et suggestion. Il reste cependant indispensable qu’une telle pratique soit effectuée en toute connaissance de cause par un analyste ayant bénéficié de « la purification psychanalytique » (p.67) qui lui assure la totale maîtrise de son contre-transfert. Le débat sur le statut de la psychothérapie et la formation des psychothérapeutes était déjà présent, au regard du travail du contre-transfert.
La prise en compte du contre-transfert occupe également une place importante dans la théorie de la technique analytique. Dans cet article de 1912 on trouve chez Freud une position qui servira de tremplin à l’évolution de ses points de vue : appréhender l’inconscient de l’analysant par l’inconscient de l’analyste. Le fonctionnement psychique de l’analyste en séance devient une source croissante d’intérêt qui conduit à définir, entre autre, l’attention (également) flottante. L’analyste n’est plus un simple miroir ; son fonctionnement psychique et ce qui en émerge (affects, représentations…) dans la séance contiennent des indicateurs qui se rapportent aux problématiques inconscientes de l’analysant. L’inconscient de l’analyste opère de surcroît un travail de transformation et de reformulation de l’inconscient du patient, « de même que le récepteur (téléphonique) retransforme en ondes sonores les vibrations téléphoniques qui émanent des ondes sonores ». La spécificité de la pratique clinique psychanalytique se précise par la prise en compte de l’engagement du psychisme de l’analyste dans la dynamique de la séance et de la cure dans son ensemble.
Le 20 février 1913, Freud écrit à Binswanger que le contre-transfert est un des problèmes techniques les plus compliqués de la psychanalyse. Il le considère comme « soluble ». « Ce que l’on donne au patient ne doit justement jamais être affect immédiat, mais toujours affect consciemment accordé, et cela plus ou moins selon la nécessité du moment. En certaines circonstances, on peut accorder beaucoup, mais jamais en puisant dans son propre inconscient. Ce serait pour moi la formule. Il faut donc à chaque fois reconnaître son contre-transfert et le surmonter. »
En 1915, dans « Observations sur l’amour de transfert » l’expression du vécu contre- transférentiel lié au transfert amoureux s’enrichit du qualificatif de « douloureux », il comporte maintenant « des côtés pénibles et comiques et des côtés sérieux ». Si Freud conseille à ce propos de ne pas étouffer trop tôt le transfert amoureux, il encourage également l’analyste à laisser se déployer le vécu contre-transférentiel afin de le mieux saisir.
Ce rappel historique resitue les bases conceptuelles et introduit à ce qui se profile d’emblée du déploiement et de la multiplicité des enjeux dialectiques :
D’activité et de passivité: le contre-transfert est une expérience subie que l’on peut, soit analyser d’emblée pour l’éradiquer, soit recevoir, accueillir, transformer, mais dont il faut se saisir pour en faire un levier actif dans la cure. En ça il sollicite la bisexualité psychique de l’analyste. De symétrie ou d’asymétrie entre le fonctionnement psychique de l’analyste et celui de l’analysant ; entre associations libres et attention flottante… D’une temporalité qui se retrouve au sein de chaque séance : le contre-transfert précède-t-il le transfert ; en est-il seulement une réponse ? D’équilibrage entre mouvements émotionnels spontanés de l’analyste et don de sentiments maîtrisés, l’affect semblant constituer pour Freud le représentant essentiel des manifestations contre-transférentielles De ce qui, dans cette expérience, reviens à la part consciente de l’analyste, et de ce qui en reste inconscient. Ces fondements théoriques interrogent déjà la nature du processus : par quelles voies et dans quelle topique s’opère cette dynamique transfert / contre-transfert ?
Qu’en est-il également des limites de cette expérience au regard de l’idéal et du Sur-moi analytique mais aussi des capacités propres à l’analyste, pas nécessairement « solubles » dans l’autoanalyse ? En effet, en contrepoint de ces jalons théoriques, nous sont données les difficultés contre transférentielles rencontrées par Freud lui-même: dans l’analyse de Ferenczi (acceptation d’être le support de l’imago maternelle dans le transfert) comme dans les cas cliniques qu’il rapporte (l’homme aux rats, l’homme aux loups, Dora…).
Ferenczi, pris dans son opposition et dans ses reproches à l’égard de Freud, va dans les années 1920 souligner le risque de la technique classique en ce qu’elle risque de favoriser la répétition d’une non rencontre de la souffrance passée. L’héritage de Ferenczi apporte incontestablement des voies nouvelles dont la (ou les ?) pratique(s) actuelles de la psychanalyse s’inspirent. Il laisse aussi apparaître les risques d’une implication personnelle excessive de l’analyste. La lettre que Freud adresse à Ferenczi en date du 13 décembre 1931 condense les « dérives » techniques qui peuvent en découler. A la suite de Ferenczi certains de ses anciens patients (Ernest Jones, Melanie Klein, Michel Balint) et d’autres analystes (Winnicott…) ont pris appui sur l’implication profonde de l’analyste pour développer des approches innovantes.
Paula Heimann (À propos du contre-transfert, 1950) propose explicitement de prendre en compte « la réponse émotionnelle de l’analyste » comme outil de connaissance de l’inconscient du patient, en tenant à l’écart ce qui ressort de la problématique personnelle de l’analyste. Le contre-transfert, vécu tout d’abord comme un obstacle, devient un levier dans la cure. Heinrich Racker, valorise également la prise en compte des éprouvés contre-transferentiels en tant que voie d’accès à une connaissance de l’inconscient du patient (Observation sur le contre-transfert, 1952).
L’identification projective, introduite par Melanie Klein (en 1946), s’apparente-t-elle à ces conceptions ou en apporte-elle d’autres ? Qu’en est-il également des positions de Léon Grinberg (1962) sur la « contre-identification projective » comme réponse inconsciente à l’identification projective du patient ?
Wilfred R. Bion développe à la même époque que M. Klein ses conceptions personnelles. La fonction « contenante » de l’analyste, intégrant le concept d’une identification projective normale, participe à la « capacité de rêverie » de la mère et de l’analyste. Il ne s’agit plus d’instruments de compréhension mais de connaissance et de transformation qui permettent l’appropriation par le patient de la capacité de traiter les matériaux psychiques.
Pour Margareth Little et Harold Searles, le contre-transfert n’est pas régi exclusivement par l’identification projective du patient,
La question de l’asymétrie transfert / contre-transfert est posée par Willy et Madeleine Baranger (La situation analytique, 1961-1962). On la retrouve dans les travaux de Laplanche, Viderman et Neyraut. Serge Viderman, à l’appui de sa proposition sur la « Construction de l’espace analytique » (1970), considère que les moments les plus précieux de l’interprétation psychanalytique naissent de l’entrecroisement transféro-contre-transférentiel. Pour l’auteur le contre-transfert de l’analyste alimente l’interprétation du transfert. Qu’en est-il de nos jours de ce qui a été la source d’une polémique restée historique ?
Michel Neyraut (Le transfert, 1974) soutient la précession du contre-transfert sur le transfert tout en insistant sur sa manifestation « après-coup » dans le déroulement de la cure, en réponse au transfert.
Pierre Fédida (1986) souligne le risque de psychologisation de la relation analytique vue comme interaction au détriment de la répétition transférentielle de scénarii inconscients. André Green (Inventer en psychanalyse, 2003)) partage cette crainte qu’il reformule à propos des positions des « inter subjectivistes ». Ces positions fixent en effet l’identité fonctionnelle des deux protagonistes de la cure, et le contre-transfert prend de ce fait une acception plus élargie : tout ce qui est de la personnalité de l’analyste peut intervenir dans la cure, dans « l’interaction ». L’analysant réagirait alors davantage au contre-transfert de l’analyste qu’à son propre vécu. Cette vue synchronique met et cause les notions de transfert et de refoulement. Dans ces conditions, souligne A. Green, peut-on conserver la notion de contre-transfert si le transfert lui-même n’est pas pris en compte dans son acception psychanalytique ?
Plusieurs auteurs s’attachent à mettre en évidence un contre-transfert « originaire » (J.-B. Pontalis, « le mort et le vif entrelacés ») ou un contre-transfert « de base » (C. Parat). J. Guillaumin (« Le contre-transfert ») insiste sur le caractère partiellement impensable, et en même temps le rôle de conteneur d’un contre-transfert « à fonds perdus », d’essence positive, qui s’allie au transfert de base du patient. Cette (ou ces ?) disposition(s) de base se forge(nt) dans l’histoire analytique de l’analyste.
Louise de Urtubey a souligné dans son rapport de 1994 l’importance de l’origine du contre-transfert en ce qu’elle se trouve dans le transfert de l’analyste au cours de sa propre cure et dans les intuitions inconscientes que celui-ci a concernant le contre-transfert de son propre analyste. La transmission de la psychanalyse est alors interrogée au regard du contre-transfert. Serait-il à saisir à l’interface de l’individuel et du collectif du fait des identifications aliénantes ou structurantes de l’analyste à son analyste, à ses formateurs, à l’institution analytique…. ? (M. Parsons). Par ailleurs, des travaux comme ceux de F. Guignard soulignent « l’impact sur le psychanalyste de l’infantile dans l’analysant » et les « taches aveugles » de l’analyste qui peuvent en être les conséquences. L’ensemble de ces considérations, aussi restreintes soient elles ici, rends compte de la complexité du « travail de contre-transfert » qui se doit (idéalement ?) de prendre en compte de nombreux paramètres conscients mais surtout inconscients. Ainsi, si on peut s’interroger sur les liens parfois hâtivement établis entre le travail du rêve et le travail du contre-transfert on est en droit de reconsidérer l’assertion ancienne : rêver de son patient indique la nécessité pour l’analyste d’effectuer une « nouvelle tranche ». Les « rêves curatifs » de l’analyste qui soignent le contre-tranfert tout en participant à la dynamique du traitement (Winnicott) soutiennent une position diamétralement opposée.
Entre l’analyste « chirurgien » et « la technique du baiser » que Freud reprochait à Ferenczi, la prise en compte du trauma, du négatif, de l’irreprésentable, du lien à l’objet primaire est devenu une nécessité clinique incontournable qui conduit à revisiter l’acception première définissant le contre-transfert. De nombreux auteurs développent des conceptions innovantes qui prennent en compte la diversité des fonctionnements psychiques, la pluralité des cadres proposés (qui restent néanmoins dans le champ de la pensée analytique) ainsi que l’âge du patient. Ce foisonnement de travaux extrêmement fécond ouvre la voie à de nombreuses interrogations, essentiellement d’ordre technique et clinique.
Les diverses d éclinaisons de la dyade transfert / contre-transfert sont-elles antagonistes, ou participent-elles de moments différents dans le cours évolutif d’une cure ? Jusqu’à quel point peut-on corréler les éprouvés contre-transférentiels au fonctionnement psychique du patient ? N’encoure-t-on pas le risque d’établir des liens de causalité linéaires, par essence réducteurs ? Quels liens établir entre contre-transfert et choix du cadre (J.-L. Donnet parle d’un choix « confortable ») puis entre cadre et possibilités d’analyse du contre-transfert ? Quelle est la nature du « jeu » appréhendé par l’analyste pour qu’il pose une « indication de cadre » ? Le modèle de la cure repose sur la dynamique du refoulement. Pour autant les clivages ne sollicitent ils pas de façon singulièrement intense l’analyse du contre-transfert, tant pour les repérer que pour les réduire ? En quoi et dans quelles proportions l’analyse du contre-transfert oriente l’interprétation ? la construction ? et protège de l’agir ? Si la bisexualité psychique de l’analyste est assurément sollicitée, qu’en est-il des équilibres entre sadisme et masochisme, entre économie objectale et économie narcissique ? Comment le psychisme de l’analyste prend-t-il en compte et traite-t-il le mortifère, le désinvestissement, la désintrication, la réaction thérapeutique négative ? Les avancées dans la prise en compte des régressions massives (Winnicott) et la proximité du modèle de la cure avec celui du parent (Bion) ne convoquent-t-elle pas d’une nouvelle manière la question du contre-transfert parental de l’analyste ? La psychanalyse de l’enfant à la particularité de s’adresser à des sujets dont le psychisme est en cours de développement. La névrose de transfert, dans son acception la plus classique (S. Lebovici), ne peut s’organiser que dans l’après-coup pubertaire (M. Ody, 2003).L’existence ou non d’un transfert chez l’enfant à été au cœur de débats historiques. Qu’en est-il aujourd’hui ? et du contre-transfert ? Dans la cure de l’enfant doit-on, peut-on, disjoindre ce qui serait dans le registre du transfert de ce qui revient à la participation de l’analyste dans la construction psychique en cours ? L’allongement de la durée des cures et l’âge croissant des candidats au cursus interrogent-t-ils le contre-œdipe de l’analyste ? Le contre-transfert paraît à la fois le gardien et l’incitateur d’un jeu analytique dont l’amplitude, les possibilités de régression formelle et topique, l’ancrage et le repérage des manifestations corporelles semblent constituer maintenant un nouvel idéal analytique, déjà annoncé par V.N. Smirnoff (1982, le contre-transfert, maladie infantile de l’analyste) : « Peut-être le contre-transfert nous aidera-t-il a ne pas devenir, à la longue, des énarques de l’inconscient ».

Dans la cure psychanalytique, le contre-transfert désigne le sentiment inconscient qu'éprouve l'analyste en réaction aux sentiments inconscients ressentis par l'analysé dans le travail d'analyse. Ces sentiments de contre transfert facilitent chez l'analyste la compréhension de la nature du conflit intrapsychique vécu par l'analysé dans son travail d'analyse et son interprétation dynamique en vue de l'amélioration de son état. Heinrich Racker définit ainsi le contre-transfert : « Tout comme l'ensemble des images, des sentiments et des pulsions de l'analysant envers l'analyste, en tant qu'ils sont déterminés par son passé, est appelé névrose de transfert, de même l'ensemble des images, des sentiments et des pulsions de l'analyste envers l'analysant, en tant qu'ils sont déterminés par son passé (comprenant son analyse), est appelé contre-transfert, et son expression pathologique pourrait être désignée comme névrose de contre-transfert. » Heinrich Racker souligne l'importance qu'il donne à ce phénomène : « Freud a dit une fois que ses disciples avaient appris à supporter une partie de la vérité sur eux-mêmes. L'approfondissement du savoir sur notre contre-transfert suit cette même ligne de conduite. Et je pense, de plus, que nous faisons bien si nous apprenons à supporter que cette vérité sur chacun d'entre nous soit également connue de quelques autres.
CadreLe contre-transfert est clairement distinct d'un sentiment relationnel classique. Il s'agit d'un phénomène spécifique à l'analyse, et à son cadre : le transfert désignant l'analyste sur le modèle de relations infantiles, le contre-transfert est la réaction de l'analyste à cette désignation, et qui prend sa source dans des problématiques inconscientes. Le contre-transfert sera cependant utilisé dans la théorisation de psychothérapies d'inspiration psychanalytique, utilisant la métapsychologie comme référent théorique. La notion de cadre a été particulièrement développée par le psychanalyste argentin José Bleger  Technique de l'analyseLe contre-transfert est d'abord perçu comme un obstacle de plus à l'analyse : le psychanalyste aura du mal à interpréter, ses émotions entreront en jeu. Mais le contre-transfert se révèle par la suite un outil majeur pour l'analyste : à partir de ces vécus émotifs, l'analyste peut comprendre dans quelle position le met l'analysant, l'analyse du transfert étant le point central de la thérapie. Paula Heimann a été la première à utiliser ouvertement le contre-transfert : « J'ai été frappée par la croyance répandue parmi les candidats (-analystes) que le contre-transfert n'est qu'une source de problème (...). Ma thèse est que la réponse émotionnelle de l'analyste à son patient dans la situation analytique représente l'un des outils les plus importants pour son travail. »
Le contre-transfert se révélera ainsi un point majeur de l'analyse, et notamment de l'analyse des psychoses. Pour Heinrich Racker : « Au sein du processus psychanalytique, l'analyste remplit à la fois la fonction d'interprète et la fonction d'objet. Le contre-transfert indique, avec précision, à l'analyste interprète ce qu'il doit interpréter, quand et comment le faire, de même qu'il peut brouiller sa compréhension du matériel par des rationalisations et des points obscurs. La fonction d'objet dépendra également à chaque instant, en bien ou en mal, du contre-transfert. On ne peut prétendre que l'analyste échappe au contre-transfert, car cela reviendrait à dire que l'analyste n'a pas d'inconscient ; mais il se peut que si l'analyste observe et analyse son contre-transfert, il puisse s'en servir pour faire progresser la cure. De même que la personnalité totale de l'analysant vibre dans sa relation avec l'analyste, de même l'analyste vibre dans sa relation avec l'analysant, sans pour autant méconnaître les différences quantitatives et qualitatives. »
Théories du contre-transfertDu côté de la compréhension lacanienne, transfert et contre transfert sont divisions théoriques d'un même phénomène de rencontre.
D'autres psychanalystes, qui usent en général de la théorie de la relation d'objet, comprennent le contre transfert en s'appuyant sur des concepts kleiniens tels que celui d'identification projective.
Avec des présupposés très différents que ceux de la psychanalyse freudienne, Carl Gustav Jung considère que transfert et contre-transfert sont indissociables; ils participent de la même dynamique archétypique de l'espace intersubjectif créé par la rencontre thérapeute-patient.

La contribution de Ferenczi au concept de contre-transfert
Luis J. Martin Cabré ntre le Congrès de Nuremberg, en mars 1910, où Freud utilisa pour la première fois le terme de « contre-transfert » (Gegenüber-tragung) dans une communication scientifique, et jusque vers 1950, année où le terme réapparaît dans les écrits de Winnicott, Racker et P. Heimann, les analystes n’ont pas accordé grande attention à ce concept. À partir de cette date, pourtant, la question du contre-transfert comme outil essentiel de la technique psychanalytique est devenu un aspect fondamental de la formation des analystes et du travail thérapeutique. E
Sándor Ferenczi est l’un des rares analystes qui, s’écartant des postulats exprimés par Freud en 1910, essaya d’élaborer et de développer une théorie du contre-transfert susceptible d’expliquer les difficultés surgissant peu à peu dans la clinique analytique, et tenta de construire une métapsychologie des processus psychiques se déroulant chez l’analyste pendant la cure. Il apporta d’ailleurs cette contribution bien avant les kyrielles d’analystes qui présentèrent ultérieurement le contre-transfert comme la clé permettant de comprendre et de dénouer l’inconscient de leurs patients. Cependant, par suite d’un des phénomènes de censure les plus remarquables de l’histoire de la psychanalyse, les idées de Ferenczi furent « oubliées » et vouées au silence. Encore aujourd’hui, on a l’occasion de lire des études approfondies qui ne mentionnent même pas le nom de l’un des pionniers les plus enthousiastes de la psychanalyse, celui qui fut pendant vingt-cinq ans l’interlocuteur privilégié de Freud.
Dans cette brève communication, je n’essaierai pas d’approfondir les raisons scientifiques et politiques d’un « silence » aussi remarquable. J’essaierai plutôt de montrer comment beaucoup des idées apparues si soudainement dans les années 1950, et qui suscitent encore aujourd’hui une foison de contributions scientifiques sur le contre-transfert, avaient déjà été largement comprises intuitivement par Ferenczi.
Le point de départ de Freud
Freud savait que les émotions vécues par le patient pendant le processus analytique pouvaient en éveiller d’autres chez l’analyste. Dans de nombreuses lettres, il mentionnait le malaise qu'il en éprouvait, non seulement vis-à-vis de ses plus proches collaborateurs comme Jung, Jones, Oscar Pfister et même Ferenczi, mais aussi par rapport à lui-même. Ainsi, par exemple, Ernst Falzeder a démontré dans un récent article (1994) l’implication émotionnelle et affective considérable de Freud pendant les huit années de traitement de sa « grande patiente », Elfriede Hirschfeld, qui eut des répercussions évidentes sur l’élaboration de la théorie
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Filigrane, printemps 2000
analytique. On sait bien que le terme de contre-transfert apparaît pour la première fois dans une lettre de Freud à Jung datée du 7 juin 1909, dans laquelle il fait référence à la relation de Jung avec Sabina Spielrein et aux dangers inhérents à un engagement affectif excessif, que lui-même n’avait évité qu'à grand peine.
Mais la première fois que Freud a utilisé le concept de « contre-transfert » dans un texte scientifique, c’était le 30 mars 1910, dans une communication prononcée au Congrès de Nuremberg, intitulée « Les Chances d’avenir de la thérapie psycha-nalytique » (Die Zukünftigen Chancen der Psychoanalytischen Therapie). Une lecture attentive montre bien, comme Etchegoyen l’a souligné (1986), que Freud pensait « que l’avenir de la psychanalyse était étroitement lié à la connaissance du contre-transfert, et la compréhension de ce processus marquerait un progrès considérable pour la technique analytique ». Freud introduisit cependant également des modifications théoriques et méthodologiques tout à fait révolutionnaires : l’investigation psychanalytique, en modifiant le champ d’observation de l’analyste, devenu participant actif et non plus simple observateur, cesse d’être objective, et l’observation se transforme en expérience. Pour la première fois, Freud signale la nature intrusive de certains phénomènes psychiques pouvant s’« implanter » ou « s’installer » dans l’inconscient de l’analyste.
Freud ajoute qu’en règle générale l’analyste doit être conscient de son contre-transfert et en avoir le contrôle (Bewältigung). C’est une condition essentielle pour être analyste. C’est à dire que Freud souligne la nécessité de contrôler le contre-transfert dans le sens d’une perlaboration et non seulement d’une « maîtrise », comme le suggérait la traduction de Strachey. N’est-ce pas à partir de ces hypothèses théoriques que Ferenczi allait développer sa propre théorie du contre-transfert et certaines de ses intuitions les plus brillantes?
On a toujours objecté que dans ses écrits tardifs, et notamment dans ses Conseils aux médecins, Freud adopte un point de vue négatif sur le transfert, s’y référant comme à un obstacle « enveloppant » qui interfère avec le travail analytique, une difficulté perturbante qu’il convient de contrôler par l’auto-analyse. Je pense qu’en fait, Freud a été amené à modérer et réprimer en partie son enthousiasme initial, parce qu’il redoutait de voir une question aussi complexe, sur laquelle il manquait de données cliniques suffisantes, porter atteinte au modèle thérapeutique qu’il postulait pour la psychanalyse et semer le doute sur sa validité. J’en veux pour preuve la longue lettre envoyée à Jung le 31 décembre 1911, dans laquelle il lui reproche, comme à Pfister précédemment, de trop s’impliquer avec une patiente, ce qu’il juge être une grave erreur. Il conseille plutôt de demeurer inaccessible aux demandes du patient et de maintenir une attitude strictement réceptive. À l’époque, il jugeait inopportun de publier un article contenant ses idées sur le contre-transfert, préférant en faire circuler quelques exemplaires dans le petit cercle des analystes les plus expérimentés.
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La contribution de Ferenczi au concept de contre-transfert
Il est très probable que c’est la conclusion, à la fois personnelle et analytique de « l’affaire Elma », dans laquelle Freud comme Ferenczi étaient impliqués, qui a motivé la rédaction par Freud des « Observations sur l’amour de transfert », article dans lequel le contre-transfert est à nouveau présenté comme un danger à écarter et un obstacle à contrôler. Néanmoins, on voit bien que Freud était tout à fait conscient du problème quand on lit sa lettre du 20 février 1913 à Binswanger :
« Le problème du contre-transfert que vous évoquez est un des plus difficiles de la technique psychanalytique. Ce qu'on donne au patient ne doit jamais être un affect spontané, mais doit toujours être consciemment exprimé. Dans certaines circonstances, il faut donner beaucoup, mais jamais rien qui soit issu directement de l’inconscient de l’analyste. […] On doit chaque fois reconnaître et dépasser son contre-transfert pour être libre soi-même. Donner trop peu à quelqu'un parce qu'on l’aime trop c'est faire du tort au malade et c'est une faute technique. Tout cela n'est pas facile et peut-être faut-il un peu plus d'expérience. (p. 189)
Le « contrôle » du contre-transfert
Huit ans après la publication du texte de Freud, Ferenczi reprit le flambeau et rouvrit le débat. Peut-être sentait-il que le climat avait suffisamment changé pour ne plus justifier la prudence de Freud, réservant le sujet à un public restreint de disciples intimes. Il est vrai aussi que la célébration à Budapest du 5e Congrès de Psychanalyse avait marqué un regain d’intérêt pour la technique psychanalytique. Comme en 1910, Freud y fit une communication, intitulée « Les chances d'avenir de la thérapeutique psychanalytique » (1919), qui encouragea l’émergence de nouvelles idées. Dans cet article, Freud donnait les grandes lignes de la formulation théorique de la « technique active », dont on crédite souvent Ferenczi de façon erronée.
La première occasion où Ferenczi, avec l’accord de Freud, aborde le sujet en détail est sa communication « À propos de la technique psychanalytique » (1918), donnée à la Société Hongroise de Psychanalyse en 1910, trois mois après le Congrès déjà mentionné.
L’un des chapitres de ce texte est consacré précisément au « Contrôle du contre-transfert » (Die Bewältigung der Gegenübertragung), et il emploie le même mot que Freud dans son article de 1910. Pour Ferenczi, la thérapie analytique exige de la part de l’analyste une « double tâche : "il lui faut d'une part observer le patient, examiner ses dires, construire son inconscient à partir de ses propos et de son comportement; d'autre part il doit constamment contrôler sa propre attitude à l'égard du malade et, si nécessaire, la rectifier, c'est à dire maîtriser le contre-transfert" (O C II p. 335). Néanmoins, alors que Freud proposait l’auto-analyse (1910) pour arriver à ces fins, Ferenczi considérait que l’analyste devait préalablement avoir été analysé. Son insistance sur ce point vise son analyse insatisfaisante avec Freud, mais introduit aussi l’idée qu’aucun analyste, si expérimenté soit-il, ne peut éviter de commettre de sérieuses erreurs à moins d’écouter et de perlaborer ses propres sentiments contre-transférentiels.1
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Le processus du « contrôle du contre-transfert » est décrit par Ferenczi selon les phases suivantes : pendant la première phase, « on est bien loin de prendre en considération le contre-transfert, et encore moins de la dominer. On se laisse émouvoir par les chagrins des patients et même par leurs fantasmes. On cède à tous les affects que la relation médecin - malade peut susciter, on est ému par les tristes expériences du patient et sans doute aussi par ses fantasmes, on s’indigne contre tous ceux qui leur sont hostiles ou leur font du mal » (idem. p. 336). Dans ces conditions, la possibilité de conduire une analyse réussie est pratiquement exclue.
Ferenczi se réfère à la seconde phase comme « une résistance au contre-transfert », réaction inverse de la première, qui mène tout aussi sûrement l’analyse à l’échec. « Lorsque le psychanalyste a appris laborieusement à évaluer les symptômes du contre-transfert, et qu’il arrive à contrôler tout ce qui pourrait donner lieu à des complications dans ses actes, ses propos, voire ses sentiments, il court alors le danger de tomber dans l'autre extrême et de devenir trop dur et rejetant avec le patient; ce qui retarderait ou même rendrait impossible l'émergence du transfert, condition préalable à toute psychanalyse réussie. »
Quelques années plus tard, Racker développera lui aussi cette idée dans son article intitulé « Transfert et contre-transfert » (1968), dans lequel il étudie les conséquences de la contre-résistance de l’analyste et note comment, à son avis, la régression du patient se trouvant entravée, l’analyse devient un processus monotone, alourdi par des interprétations répétitives inaptes à produire la moindre transformation dans le monde intérieur du patient. De plus, dans le même article, la conception de l’« objectivité » de l’analyste, vue par Racker, est pratiquement identique à celle de Ferenczi. Selon Racker, elle oscille entre deux pôles, chacun étant potentiellement pathologique : se noyer dans le contre-transfert ou au contraire le réprimer sur un mode obsessionnel en espérant réaliser le mythe de l’analyste « délivré de l’angoisse et de la colère ». Pour Racker, l’analyste ne peut être « objectif » avec son patient que si lui-même est devenu objet d’observation et d’analyse.
La troisième phase décrite par Ferenczi concerne le contrôle du contre-transfert au sens strict du terme, et il ne peut être atteint que lorsque les deux autres phases ont été traversées. Alors seulement, l’analyste a atteint l’état mental nécessaire pour « se laisser aller » pendant le traitement, comme l’exige la cure analytique. Ce qui est vraiment nouveau dans cette formulation, c’est que pour la première fois, le contre-transfert n’est pas vu comme un inconvénient ou un danger, mais plutôt un outil essentiel et efficace. En ce sens, ses idées sont annonciatrices des intuitions exprimées plus tard par Balint, Bion, Heimann, de Forest, Racker, Winnicott, Little etc., qui présentent eux aussi la réaction contre-transférentielle de l’analyste comme un outil technique indispensable au processus analytique. De plus, l’interprétation de l’analyste est la conséquence directe de sa perlaboration du contre-transfert.
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La contribution de Ferenczi au concept de contre-transfert
Dans le texte de Ferenczi, nous trouvons aussi de nombreuses références à des problèmes techniques rencontrés quotidiennement dans notre pratique analytique - les silences, les résistances, la somnolence, l’acting out - pas seulement chez le patient, mais aussi chez l’analyste. Il met aussi en garde contre la tendance de certains analystes à interférer dans la vie réelle du patient en distribuant de façon très directe des conseils ou recommandations, sans tenir compte de l’élément transférentiel qui accompagne les problèmes « réels » du patient. Il suggère ensuite une belle métaphore, typiquement ferenczienne : la situation de l’analyste « rappelle à maints égards celle de l'accoucheur, qui lui aussi doit autant que possible se comporter passivement, se borner au rôle de spectateur, mais qui, aux moments critiques, aura des forceps à portée de la main pour terminer une naissance qui ne progresse pas spontanément » (p.332).
Cependant, plutôt que de contrôler le contre-transfert, Ferenczi allait, en fait, le découvrir en appliquant avec rigueur la technique active, dont l’élaboration théorique et l’application clinique révèleraient toute une série de problèmes restés jusque là inaperçus. Partant de certaines actions spécifiques et répétitives du patient - actions symptomatiques qu’il appelait « formation de symptômes transitoires » - Ferenczi essaya d’inférer le champ inconscient dans lequel les investissements libidinaux, coupés du travail analytique, s’étaient infiltrés. Ceci fait, il encourageait le patient à éliminer ce genre de comportement, par exemple un substitut masturbatoire, et en conséquence à renoncer à la gratification substitutive correspondante. Pourtant, de façon paradoxale, plus Ferenczi insistait pour « activer » le patient, plus il activait, à son insu, ses propres expériences contre-transférentielles.
Interaction entre contre-transfert et transfert.
À la suite de sa formulation du concept de « pulsion de mort », Freud ne modifia pas seulement sa conception de la psyché. De nouvelles théories concernant le narcissisme, le masochisme et la pulsion de destruction, ainsi que l’évolution du Moi à travers les processus d’identification, dessinèrent une conception beaucoup plus large du transfert positif et négatif. Sans aucun doute, les difficultés rencontrées dans son travail clinique, notamment les réactions thérapeutiques négatives, ne furent-elles pas étrangères à l’élaboration d’une nouvelle métapsychologie.
C’est peut-être pour cette raison que Freud, au Congrès de Berlin (1922) invita les analystes à réfléchir et écrire sur « la relation entre la théorie psychanalytique et la technique, afin d'évaluer jusqu’où la technique avait influencé la théorie et dans quelle mesure elles se nourrissent ou s’affaiblissent mutuellement », et institua en même temps un concours pour couronner l’article le plus remarquable sur ce sujet.
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Ferenczi et Rank, qui travaillaient depuis un certain temps dans cette direction, relevèrent aussitôt le défi et publièrent conjointement un travail des plus brillants et des plus pénétrants, dont beaucoup de théoriciens pensent encore aujourd’hui qu’il fonde de nombreuses conceptions psychanalytiques contemporaines. Ils l’intitulèrent Perspectives de la psychanalyse, avec un sous-titre correspondant à la demande de Freud : « Sur l’interdépendance de la théorie et de la technique ».
Les auteurs y mettent en place le cadre scientifique de leur travail, et présentent une étude technique et théorique sur la manière de conduire le processus analytique. Jusque là, le principal objectif de l’analyse était de « se remémorer », puisque la mesure ou les répétitions étaient considérées comme des obstacles provenant des résistances du patient, qui devaient être « neutralisées » par l’analyste. Ferenczi croyait au contraire que le but fondamental de la perlaboration analytique, et donc des interprétations de l’analyste, était de traiter comme « véritable matériel inconscient » la compulsion de répétition et les multiples manifestations du transfert. Le rôle clé attribué par Ferenczi à l’interprétation du transfert et au processus analytique, au détriment de l’identification intellectualisée du contenu inconscient, des fantasmes et des représentations inconscientes, entraîne non seulement une modification parallèle du contre-transfert, mais une modification fondamentale de la conception même de l’analyse. Entre autres, par exemple, Ferenczi note que c’est très souvent le narcissisme de l’analyste (« contre-transfert narcissique ») qui est suscité, influençant parfois la conduite de l’analysant : celui-ci limite sa production à ce qu’il sait être gratifiant pour l’analyste. En conséquence, les analysants évitent le matériel hostile, renforçant ainsi leur culpabilité inconsciente et entravant le processus analytique. À partir de cette idée, Ferenczi élabore toute une conception de l’interaction entre transfert et contre-transfert, considérée moins comme outil thérapeutique que comme noyau fondamental du travail.
Une étude plus approfondie de ce texte, dont les chapitres II, IV et VI étaient généralement délaissés parce qu’on les attribuait à Rank, nous permet de comprendre pleinement la pertinence des intuitions de Ferenczi dans leur saisissante actualité; en particulier, dans le chapitre IV, consacré à l’interaction de la théorie et de la pratique, Ferenczi souligne le besoin de l’analyste de mettre de côté son bagage théorique quand il aborde la situation analytique. C’est seulement en recommençant chaque fois à zéro, ou, en d’autres termes, en ne reculant pas devant des expériences nouvelles, que les découvertes originales peuvent voir le jour. Bion ne pouvait pas exprimer l’intuition de Ferenczi en termes plus clairs quand il dit que l’analyste doit venir à la situation analytique « sans mémoire et sans désir ».
Ferenczi croyait fermement que ce qui émerge dans l’« ici et maintenant » du processus analytique naît de la rencontre entre le transfert de l’analysant et le contre-transfert de l’analyste, et cette rencontre permet l’exploration des couches les plus profondes du psychisme. En même temps, cette exploration justifie la nécessité d’autoriser l’analysant à régresser aussi loin qu’il en a besoin, et confirme le rôle du contre-transfert comme outil majeur pour reconnaître et détecter les éléments les plus significatifs du transfert du patient, à mesure qu’ils se déploient.
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La contribution de Ferenczi au concept de contre-transfert
La production psychanalytique de l’époque se fit l’écho des postulats de Ferenczi. Un texte de Hélène Deutsch (1926), qui passe souvent inaperçu, est intitulé « Les processus occultes en psychanalyse ». L’auteur y montre comment l’identification de l’analyste avec les pulsions infantiles du patient d’une part, et sa propre perlaboration analytique d’autre part, n’entravent pas le traitement, mais constituent bien au contraire la base d’une évolution féconde de l’intuition et de l’empathie de l’analyste. Il est intéressant de noter que plusieurs idées émises par Ferenczi annoncent les concepts de « contre-transfert concordant » et de « contre-transfert complémentaire », élaborés par Racker.
Au début de l’année 1928, Ferenczi écrivit un travail intitulé Élasticité de la technique analytique, confirmant qu’il avait presque complètement abandonné la technique active et se montrant précurseur de ce qu’il appellerait deux ans plus tard la « néocatharsis ». En quelques pages, il décrit de nombreuses observations cliniques et fait des recommandations techniques que l’on peut résumer ainsi : l’analyste doit apprendre l’« Einfühlung » (empathie, capacité de « sentir avec » le patient, de s’accorder à lui). Une fois de plus, Ferenczi reprend le terme à Freud, dans un article de 1910. Pourtant, alors que chez Freud l’« Einfühlung » semble se rapprocher d’un sentiment de « sympathie indulgente » de la part de l’analyste, Ferenczi en élargit le sens. Sa conception à lui est presque synonyme de la notion d’empathie, prise dans son acception courante chez les analystes contemporains. Non seulement Ferenczi insiste sur son importance, mais il la situe au coeur de la technique psychanalytique.
Il n’est guère difficile d’établir la ressemblance entre le concept d’Einfühlung, tel que Ferenczi le conçoit, avec, d’une part, la description de l’empathie selon Kohut dans « L’Analyse du Self », et d’autre part l’alliance thérapeutique de Zetzel et surtout le concept de contre-transfert concordant développé par Racker vingt ans plus tard. P. Heimann elle-même, dans l’un de ses derniers livres (1980), note que chaque analysant a besoin de sentir que « l’analyste [est] accordé(e) à ses émotions ».
Ferenczi tente donc d’étudier de près la signification du contre-transfert dans le processus analytique, notamment en approfondissant la question de l’analyse de l’analyste, la deuxième règle fondamentale. Dans ce domaine, ses idées sont une fois encore remarquablement actuelles, car il défend la notion d’analyse didactique comme étant une analyse thérapeutique, n’ayant rien à voir avec une démarche intellectuelle ou théorique. D’après Ferenczi, cette analyse, plus encore que celle de l’analysant, devrait être longue et poussée, pour que le futur analyste entre en contact avec les zones les plus profondes et les plus obscures de sa propre psychopathologie. Il était fermement convaincu que « le meilleur analyste, c’est un patient guéri », opinion qui se reflète dans ses écrits scientifiques ultérieurs.
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À partir de cette époque, Ferenczi met peu à peu en place certaines modifications techniques. Tout d’abord, il propose comme but thérapeutique de remplacer le surmoi parental rigide par un surmoi analytique plus souple; ensuite, il suggère d’abandonner l’attitude omnisciente au profit d’une approche intuitive plus chaleureuse. Dans L’adaptation de la famille à l’enfant (1928), au cours d’une discussion portant sur l’incapacité de l’adulte à comprendre l’enfant, il compare celle-ci à la situation analytique. Si « la première erreur des parents est d’oublier leur enfance », la première erreur de l’analyste serait de tenter une cure sans prendre en compte certains conflits psychiques et sans les analyser suffisamment, préférant adopter une attitude d’autorité hypocrite qui exclut d’entendre la souffrance psychique du patient. Dans La Question de la fin de l’analyse, il critique de façon percutante ces analystes qui provoquent la fin de l’analyse avant que l’analysant ne sente que sa vie et sa conduite ont bénéficié d’une transformation psychique substantielle. L’analyse devrait s’adapter aux besoins du patient et « mourir d’épuisement » (p. 50, Tome IV).
Une lecture attentive des écrits de Ferenczi pendant cette période, sans aucun doute les plus foisonnants et polémiques du point de vue psychanalytique, révèle la lutte acharnée d’un clinicien qui avait la psychanalyse pour raison d’être et se battait pour être le plus efficace possible auprès de ses patients. Son idéalisation des vertus thérapeutiques de la psychanalyse et sa foi absolue en elle provoquèrent chez lui une sorte de « furor sanandi », qui l’amenèrent parfois à comparer l’analyste à un père, ou plutôt une mère adoptive, dont la tâche était d’offrir à son patient les bénéfices d’une enfance normale. Cet objectif s’exprime notamment dans l’une de ses oeuvres les plus provocatrices, Principe de relaxation et néocatharsis (1930), dans laquelle il allie la « technique classique » de Freud avec une attitude thérapeutique active facilitant la régression du patient, à condition que l’analyste contrôle à la fois son « contre-transfert » et sa « contre-résistance ».
Outre son retournement radical de la métaphore médicale, Ferenczi pose les fondements d’une théorie du contre-transfert comme formation maternelle. Outre la levée de la répression, le patient peut accéder, au cours de l’analyse, à une expérience réparatrice compensant celle qui lui avait été déniée pendant l’enfance. Winnicott apporta sa contribution en introduisant lui aussi une technique théra-peutique où le processus analytique se rapproche d’une relation mère-enfant et de leur interaction constante. Il décrit ce qu’il appelle la « préoccupation maternelle primaire », qui rend la mère capable de s’adapter aux besoins de l’enfant d’une manière spontanée et naturelle. Comme Ferenczi, Winnicott considérait que patient et analyste forment une relation intersubjective ayant des caractéristiques similaires à la relation mère-enfant, notamment la capacité d’empathie de l’analyste envers les besoins primaires de l’analysant. D’autres variantes de ce concept se retrouvent dans la « rêverie » de Bion, les « perceptions inconscientes de l’analyste » chez Paula Heimann ou, plus récemment, la « contre-identification projective » chez Leon Grinberg. Bollas propose aussi une théorie analogue du contre-transfert, présentant l’analyste comme « objet évolutif » (transforming object).
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La contribution de Ferenczi au concept de contre-transfert
Le Journal clinique
Le Journal clinique de Ferenczi, que l’on peut considérer comme une longue lettre adressée à Freud entre le 7 janvier et le 2 octobre 1932, contient une série d’intuitions subtiles et d’apports théoriques précieux pour la technique psychana-lytique. Certaines théories, portant notamment sur le contre-transfert, n’ont rien perdu aujourd’hui de leur validité.
Dès la première page intitulée « L’insensibilité de l’analyste », il indique le pôle principal de sa théorisation : le « contre-transfert réel » de l’analyste. Loin d’être une gêne, le contre-transfert est son outil le plus précieux. Comme l’affirme Ferenczi, « on pourrait presque dire que plus un analyste présente de faiblesses, qui l’égarent vers des erreurs et des ratages plus ou moins grands, et qui sont ensuite découverts et traités dans l’analyse mutuelle, plus une analyse a de chances d’avoir des fondements profonds et réels. » (p. 59)
Néanmoins, après avoir démontré comment l’analyse favorise une « sensibilité affinée » chez le patient, qui lui permettrait de saisir jusqu’aux nuances les plus obscures de l’attitude de l’analyste si ses propres projections n'étaient pas trop intenses, Ferenczi tente de démontrer que le transfert n’est pas une réaction à un événement spontané, mais qu’il est bien provoqué par l’analyste et donc par la technique analytique. Il continue par la critique, encore valable aujourd’hui, d’une certaine attitude face au travail analytique : « Interpréter [chaque détail comme si tous les affects étaient dirigés personnellement vers l’analyste [...] est susceptible d’installer une sorte d’atmosphère paranoïde, qu’un observateur objectif pourrait décrire comme une illusion (fantasme narcissique, spécifiquement érotomaniaque), de l’analyste. On a peut-être tendance à présumer un peu vite que le patient est amoureux de nous ou nous déteste ».
À cet égard, Paula Heimann a souligné dans sa célèbre communication sur le contre-transfert (1950) que les analystes qui s’occupent trop peu de leurs propres conflits psychiques et de la dynamique de leur monde intérieur risquent d’imputer à leurs patients ce qui leur revient en propre. D’après Heimann, ce danger peut être neutralisé « si l’analyste, au cours de sa propre analyse, a traversé ses conflits infantiles et son angoisse persécutoire et dépressive de telle manière qu’il ou elle puisse entrer en contact avec son inconscient ».
Mais Ferenczi va encore plus loin. Il va jusqu’à dire que le contre-transfert constitue la base de ses interprétations, et se met donc à envisager l’hypothèse que l’analyste non seulement ne réussit pas à jouer un rôle de bon père ou de bonne mère pour le patient, mais qu’il prend un part active à la répétition de la situation traumatisante subie par le patient pendant son enfance. La pensée de Ferenczi à cette époque, au delà d’une réflexion de fond sur la technique psychanalytique, est semble-t-il aussi celle d’un homme proche de la mort, qui se trouve confronté à son propre sentiment de culpabilité; poussant sa capacité d’empathie jusqu’à ses conséquences ultimes, il s’identifie intensément avec les souffrances et la douleur de son patient. Lorsqu’un tel degré de communication est atteint, « les larmes du médecin et du patient se mêlent en une communion sublime, qui ne trouve peut-être son équivalent que dans la relation mère-enfant ». Ainsi naît l’idée de l’« analyse mutuelle », que Ferenczi attribue à sa fameuse patiente Elisabeth Severn, citée dans son Journal sous les initiales R.N.
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Comme il le note en date du 5 mai, sa première impression concernant sa patiente fut négative. Grâce à sa technique d’élasticité, et par surcompensation, il adopta cependant envers elle une attitude d’indulgence et d’intérêt chaleureux. En conséquence, R.N. s’imagina que son analyste était tombé amoureux d’elle. C’est alors, à ce stade, que Ferenczi prit peur et interpréta à sa patiente le transfert négatif. D’après Ferenczi, l’impact de ses paroles sur la patiente fut considérable, et provoqua la réactivation d’un trauma infantile. La patiente affirma qu’elle pouvait détecter d’intenses sentiments de haine chez l’analyste, qu’il essayait de réprimer et de cacher derrière une façade hypocritement chaleureuse. Ferenczi l’admit, sachant que la patiente avait raison, et associa sa haine contre-transférentielle pour sa patiente avec les sentiments de haine que sa mère avait éveillé en lui quand il était petit garçon. Ferenczi accepta ensuite, à titre d’expérience, de changer de place avec l’analysant. Il est fort probable qu’il manifestait par cet acting out son incapacité à tenir son rôle de « contenant » (containing function), en utilisant inconsciemment sa patiente comme réceptacle de ses propres sentiments. Cependant, l’idée de communiquer les sentiments contre-transférentiels au patient fut reprise dans les écrits psychanalytiques. Dans un article célèbre, quoique controversé, intitulé « La haine dans le contre-transfert », Winnicott affirme que le fait d’avouer sa haine contre-transférentielle non seulement n’était pas nuisible mais pouvait être bénéfique tant pour le patient que pour le progrès de la cure. De la même manière, M. Little (1951) soutient qu’il convient de révéler la nature des sentiments contre-transférentiels pour encourager le patient à accepter certaines expériences transférentielles. Comme l’ont fait plus tard Langs (1974) et Searles (1975), il postule - et on peut presque entendre l’écho de l’analyse mutuelle de Ferenczi - que le patient peut apporter à l’analyste des interprétations facilitant considérablement sa perspicacité contre-transférentielle. Plus récemment, des analystes comme Epstein (1977) et Gorkin (1987) ont insisté sur la nécessité d’inclure les confessions contre-transférentielles, car elles ont un rôle important à jouer dans la technique psychanalytique.
Mais l’auteur qui a sans doute mené le plus loin certaines intuitions contenues dans le Journal Clinique est Searles, analyste qui, à l’instar de Ferenczi, a consacré une grande partie de son travail à soigner des patients gravement psychotiques. Dans « Le patient thérapeute de son analyste » (1975), il émet l’hypothèse qu’au cours de l’analyse le patient psychotique peut avoir besoin de « créer un analyste sur mesure » pour pouvoir introjecter et reconstruire chez lui un monde intérieur plus sûr, moins persécutoire, condition essentielle du dépassement de la psychose. Comme Ferenczi, il part de l’hypothèse que tous les patients expérimentent le désir inconscient de devenir le thérapeute de leur analyste, et de le « guérir ».
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La contribution de Ferenczi au concept de contre-transfert
Au-delà d’une critique sous-jacente de la théorie kleinienne, (pour qui le fantasme de guérir l’analyste n’est rien d’autre qu’un acte réparateur du patient face à son propre sadisme), et du concept de « relation parasite » concernant la psychose chez Bion, Searles propose une relation psychanalytique fondamentalement symé-trique. L’ »alliance thérapeutique » s’applique également aux deux membres de la dyade analytique, et l’acceptation des « élans thérapeutiques du patient », visant à transformer l’analyste en une mère suffisamment bonne capable de contenir un père sexuellement puissant, est d’une importance fondamentale dans le processus analytique.
Pour ma part, je ne souscris pas à certaines des théories que je viens de présenter, persuadé, avec M. Mancia (1990) que révéler ses sentiments contre-transférentiels à l'analysant, c'est admettre qu'on est incapable de les perlaborer de façon adéquate, et de mettre en oeuvre la capacité de changement qui fonde la créativité indispensable à l’analyse. Je crois cependant que les dernières intuitions cliniques de Ferenczi sont à l’origine de beaucoup de théories contemporaines qui mettent l’accent sur l’utilité du contre-transfert, de l’identification et de la contre-identification projectives, outils essentiels du processus analytique, sur la reconnaissance de la participation affective de l’analyste, sur sa possibilité de saisir le transfert du patient et d’observer et d'interpréter les réactions contre-transférentielles.
À la fin de son Journal, Ferenczi émet l’idée que l’échec thérapeutique de beaucoup d’analyses n’est pas dû à des résistances inaccessibles, ni au narcissisme inabordable du patient, mais bien aux difficultés de l’analyste, notamment son manque de sensibilité, de tact et d’empathie. En soulignant l’engagement affectif de l’analyste dans le processus analytique et le rôle du contre-transfert, Ferenczi a également fait ressortir l’importance de l’analyste comme personne, insistant sur l’importance de l'analyse personnelle, qui représente un aspect fondamental de notre métier.
Après la mort de Ferenczi, quelques unes de ses plus brillantes intuitions cliniques, portant notamment sur le contre-transfert, furent pratiquement oubliées. Pourtant, il faut rendre justice à Mélanie Klein, qui avait été en analyse avec Ferenczi, d’avoir utilisé, après 1919, le concept de contre-transfert, ou, selon sa terminologie personnelle, « la communication d’inconscient à inconscient », qui allait servir de base (beaucoup plus tard) à l’élaboration de ses théories bien connues sur le psychisme infantile et les états psychotiques. Fanny Hann-Kende, pour sa part, a également souligné l’éventuelle utilité du contre-transfert dans la technique psychanalytique, en prenant en compte la réflexion de Freud sur la télépathie, cependant que Alice et Michaël Balint (1939) revenaient sur « l’inévitable intrusion de la personnalité de l’analyste dans la relation analytique » et Izette de Forest (1942) accentuait la « nature interactive du transfert et du contre-transfert ». Toutefois, c’est seulement après les années 1950 que les contributions sur le contre-transfert ont commencé à affluer toutes à peu près en même temps; elles s’inspirent de certaines intuitions de Ferenczi mais en modifient considérablement la dimension clinique et théorique.
Ainsi, au 16è Congrès de Zurich, Paula Heimann a souligné que le contre-transfert était un outil essentiel à la compréhension du matériel inconscient du patient et à la formulation d'interprétations adéquates2.
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Filigrane, printemps 2000
À peu près à cette époque, Racker émettait l’hypothèse - moins radicale que celle de Paula Heimann - que la source principale des sentiments de l’analyste se trouve chez le patient, et anticipait l’idée de l’analyse considérée comme un espace à deux pôles, reprise par les Baranger (1969). M. Little (1951) remettait aussi en question la notion classique de l’analyste-miroir et insistait sur la nécessité d’utiliser le contre-transfert lors de la formulation des interprétations. Sullivan (1953), par ailleurs, proposait l’idée d’un analyste « observateur actif ». À partir de ces avancées théoriques, on peut dérouler une longue liste d’analystes de la stature de M. Khan, M. Mahler, Searles, Fromm-Reichmann, Rosen, Guntrip, Spitz, Nacht, Kohut etc., qui ont tous prolongé les intuitions cliniques les plus fines de Ferenczi, sans presque jamais mentionner son nom.
Pour conclure, je voudrais rappeler que dans la conférence faite à Madrid en 1928, Ferenczi avait parlé de la dette de gratitude que les Centre-Européens avaient contractée envers la pensée, l’art et la littérature espagnols. À mon tour, en toute modestie, je voudrais rendre hommage à un homme qui ne s’est pas contenté de faire progresser la théorie et la pratique psychanalytique de façon décisive, d’analyser et de former des analystes aussi éminents que Jones, M. Klein, Balint ou Spitz, de publier une centaine d’articles cliniques et théoriques d’une valeur inappréciable, aujourd’hui encore d’une grande pertinence, d’influencer l’évolution théorique d’un nombre d’analystes si grand qu’on ne pourrait pas les énumérer tous, mais grâce à qui l’efficacité thérapeutique est devenue la plate-forme essentielle de l’éthique analytique; il a aussi transformé son immense capacité d’empathie en une expérience de solidarité humaine avec la douleur et le désespoir de chacun de ses patients, et s’est distingué, pour citer A. Haynal, « par sa générosité unique, son courage intellectuel, son indépendance et son honnêteté ».À la fin de sa conférence à Madrid, Ferenczi exprimait l’espoir de voir l’Espagne rejoindre les pays pratiquant la psychanalyse. Il n’aurait certainement pas imaginé que soixante-dix ans plus tard, un Congrès International se tiendrait à Madrid pour étudier sa contribution. Espérons que, tous tant que nous sommes, nous pouvons nous réclamer de son enthousiasme, de sa foi dans l’analyse, sa fidélité à Freud, de son honnêteté clinique et de son oeuvre scientifique. Cette oeuvre est un vivant héritage de la théorie et de la clinique psychanalytique, elle apporte une bouffée d’air frais et d’espoir pour l’avenir pour notre « métier impossible ».(traduit de l’anglais par Henriette Michaud)Notes1. Ce faisant, il anticipait peut-être sur le concept de « névrose de contre-transfert » introduit par Racker (1968), visant chez l’analyste cette part contre-transférentielle névrotique qui entrave le travail analytique.2. Il est donc d’autant plus surprenant que les idées de Paula Heimann aient semblé tellement nouvelles et stimulantes à l’ensemble de la communauté psychanalytique, non seulement aux partisans de la neutralité analytique préconisée par Freud, mais aussi aux disciples de Mélanie Klein, son analyste et sa formatrice. Il est fort intéressant de retrouver en Klein et Heimann les protagonistes d’une version au féminin du même désaccord qui avait opposé Freud et Ferenczi vingt ans plus tôt.

Comment Freud analysait(Paul Roazen)(5ème partie)L’homme aux loups, Dora et quelques autresEn 1910, Freud disait déjà qu'il avait pris conscience du «contre-transfert» qui s'établit chez l'analyste « par suite de l'influence qu'exerce le patient sur ses sentiments inconscients ». Il était « presque enclin à penser que [analyste] doit reconnaître en lui ce contre-transfert et le dépasser ». A cette époque, il croyait qu'une auto-analyse permettrait de contrôler les inclinations personnelles de l'analyste. Mais dans les années vingt, l'analyse didactique devint la règle. Au moins pendant un temps, Freud crut que pour l'analyste « il n'est pas suffisant [...] qu'il soit lui-même à peu près normal, il doit s'être soumis à une purification psychanalytique ». Mais la tendance au contre-transfert, aussi sérieuse qu'ait été la formation de l'analyste, ne peut jamais être totalement éliminée, car il est inévitable que le patient et l'analyste, comme n'importe quel couple d'êtres humains, agissent l'un sur l'autre d'une façon inattendue et même irrationnelle. Freud espérait que « les interprétations [de l'analyste] [seraient] indépendantes de [ses] traits de caractère personnels et [atteindraient] leur but ». Il savait que la personnalité de l'analyste n'était pas « indifférente », et que «le facteur individuel [jouerait] toujours un rôle plus important en psychanalyse que dans tout autre domaine ». Mais ses analogies étaient peu réalistes, comme lorsqu'il déclare que ce «facteur individuel» est «quelque chose de comparable à ( l'équation personnelle) dans les observations astronomiques ». Même s'il concédait que l'analyse avait certaines limites, il paraissait parfois se fonder sur des normes utopiques; il admettait qu'au cours du traitement d'un patient, peuvent se rencontrer « des moments où l'on est gêné par quelque considération personnelle - à savoir quand on est dangereusement tombé en dessous du niveau de l'analyste idéal ». Cependant, tout au moins à la fin de sa vie, il reconnut que «les conditions particulières du travail analytique peuvent en effet être cause de ce que les défauts propres de l'analyste l'empêchent d'évaluer correctement ce qui se passe chez son patient et d'y réagir utilement ».S'il a donc bien noté l'existence des sentiments de contre-transfert, il n'a pas développé ce sujet. Peut-être avait-il dans l'idée que les seuls troubles émotionnels importants étaient ceux de ses patients, et pas les siens. Peut-être pensait-il que l'intérêt de ses contemporains pour le contre-transfert était excessif, mais alors, il est allé à l'extrême opposé. Le transfert était pour lui une sorte d'erreur, et ne devait logiquement pas se produire chez un analyste. Comme il le dit un jour: « Ce contre-transfert doit être complètement dominé par l'analyste; cela seul fera de lui le maître de la situation psychanalytique. » L'exigence en la matière de la psychanalyse d'aujourd'hui serait moins absolue, mais si un analyste est sérieusement sujet au contre-transfert, son « patient [...] n'est pas un véritable objet, mais seulement l'instrument fortuit qui sert à résoudre une situation conflictuelle » propre au seul analyste. En conséquence, « la capacité de l'analyste à comprendre, à répondre, à tenir le patient en mains, à interpréter dans le bon sens » sera gêné. Le récit de cas le plus important de Freud, bien que composé en réponse à ses controverses avec Adler et Jung, éclaire un peu sa politique de clinicien. Celui qui est désormais connu comme l'Homme aux loups - il avait souffert, dans sa petite enfance, d'une peur excessive des loups - fut suivi par Freud de 1910 à 1914, après quelques vaines tentatives de thérapie par d'autres méthodes, pour une grave inaptitude d'adulte, mais qui avait à faire avec la phobie infantile de l'homme. A cet égard, Freud cherchait à prouver que l'importance générale de l'enfance n'était pas le produit du désir du patient d'échapper à la réalité actuelle, mais plutôt que la structure d'une névrose infantile pouvait être comprise dans les termes de la théorie freudienne des instincts. A l'époque de son analyse, le patient était un riche propriétaire terrien russe; puis il fut ruiné par la Révolution. En 1919, il revint à Vienne, et Freud lui prescrivit une autre analyse, qui dura quelques mois (et fut gratuite). Dans les années vingt, l'Homme aux loups reprocha à Freud de lui avoir déconseillé de rentrer en Russie pour sauver sa fortune. Freud considérait qu'il s'agissait là d'une résistance a cette seconde analyse.) Il n'est cependant pas évident que cette plainte ait été en quelque manière justifiée. S'adaptant à sa nouvelle situation financière, l'Homme aux loups prit un modeste emploi dans une compagnie d'assurance viennoise, et de ce moment, fit partie intégrante de la vie psychanalytique. Après ses deux analyses avec Freud, l'Homme aux loups en fit deux autres avec Ruth Mack Brunswick. Depuis la Seconde Guerre mondiale, il a encore subi deux autres thérapies à Vienne, où il réside toujours; il est en contact avec plusieurs analystes intéressés par l'histoire de l’œuvre de Freud, et depuis quinze ans, un analyste américain fait tous les étés le voyage à Vienne pour mener avec lui des séances quotidiennes. Un volume est récemment paru, qui comporte un essai autobiographique sur son enfance et sa jeunesse, ses souvenirs de Freud, le fameux récit que fit Freud de son cas, une contribution additive au compte rendu de Freud écrite par Ruth Mack Brunswick, et un essai sur l'Homme aux loups par Muriel Gardiner. De toutes ces contributions, la plus intéressante demeure le riche et fascinant récit de Freud. Il y analyse en particulier un trouble de l'enfance à travers les souvenirs de l'adulte mature, en vouant un immense respect à la complexité de la vision infantile du monde. Ses interprétations du rêve aux loups sont magistrales; et sa reconstruction des toutes premières années de l'enfance de son patient, si elle n'est pas convaincante, présente, au moins pour l'époque, une audacieuse série d'hypothèses. Comme on a pu le dire avec justesse: « Des écrivains médiocres feront penser d'une histoire vraie qu'elle a été fabriquée, tandis qu'un grand écrivain fera paraître comme une vérité l'histoire la moins plausible. » Freud vit l'Homme aux loups comme un être rongé par des conflits ambivalents avec son père et tous les futurs substituts du père.Il pensait que cette peur infantile du père, et le désir concomitant d'obtenir de lui une satisfaction sexuelle dominèrent la vie ultérieure de son patient. (Cependant Freud curieusement, ne tint pas compte des pratiques sexuelles anales du sujet adulte.) Freud avait annoncé la « levée finale » des symptômes de l'Homme aux loups en 1914, et dit qu'il « se séparait de lui, le considérant comme guéri ». Cependant, il concéda - contrairement à la doctrine de certains de ses disciples ultérieurs - qu'avec un patient aussi sérieusement atteint, « le traitement psychanalytique ne peut provoquer aucune révolution instantanée, ni porter les choses au même niveau qu'un développement normal: il ne peut qu'éliminer les obstacles et dégager le chemin, afin que les influences de la vie puissent se développer selon une ligne plus nette.La première cure de l'Homme aux loups, qui dura quatre ans, fut exceptionnellement longue pour cette époque, et si Freud n'avait été qu'un observateur rigoureux, ne tolérant pas l'irrationalité, il n'aurait jamais gagné cette éternelle gratitude que lui voua son patient. En dépit de son propre athéisme et de sa conviction que des sentiments ambivalents envers le père étaient à la base de toute religion, Freud reconnut tout à fait l'utilité de la religion pour l'Homme aux loups dans sa jeunesse. Freud écrivit un jour à Pfister: « D'un point de vue thérapeutique, je ne peux que vous envier d'avoir la chance de pouvoir susciter la sublimation dans la religion. » De surcroît, abasourdi par le souvenir qu'avait gardé l'Homme aux loups du suicide de son unique sœur - il avait alors pensé que la somme d'argent qu'il hériterait désormais de ses parents serait bien plus importante - Freud interpréta généreusement son avarice comme une défense contre d'autres sentiments qui lui auraient été alors insupportables.Ruth Mack Brunswick était l'une des élèves les plus brillantes de Freud, et Freud lui adressa l'Homme aux loups en 1926, au moment où se déclencha chez lui une hallucination paranoïde concernant son nez. Psychiatre et tout particulièrement intéressée par la psychose, elle pensa que peut-être, la première analyse de l'Homme aux loups avec Freud l'avait « privé des types de solution névrotiques ordinaires », en rendant possible des genres de réactions plus primitifs. Elle avait le sentiment que le déséquilibre qu'il avait présenté au milieu des années vingt avait été déclenché par le fait que Freud avait été dangereusement atteint par le cancer, insinuant qu'à l'encontre des buts de l'analyse, L'Homme aux loups ne s'était pas dégagé de l'influence de la personnalité de Freud.Le récit que fait Brunswick du cas de l'Homme aux loups est rempli d'ingénieuses interprétations de rêves; rétrospectivement, on se demande cependant, en raison de son intérêt pour l'enfance de l'Homme aux loups, dans quelle mesure elle comprit ses propres sentiments à son égard. il est clair que le fait que Freud lui ait adressé ce cas célèbre constituait un cadeau personnel, un témoignage de sa considération pour elle, et une invitation à achever son interminable essai. Dans l'analyse, elle mit délibérément à mal fantasme de l’Homme aux loups selon lequel il était le fils préféré de Freud; elle accentua le fait qu'il était absent de la vie sociale de Freud, souligna l'attitude purement professionnelle de ce dernier à l'égard de son ancien patient, le fait que l'Homme aux loups ne connaissait pas la famille Freud, et que d'autres avaient été en traitement avec Freud plus longtemps que lui. En dehors de ses objectifs rationnels, Ruth Brunswick, qui était elle-même une patiente de longue date de Freud, a dû ressentir un intense sentiment de rivalité avec l'Homme aux loups. Ses relations avec Freud étaient si étroites qu'elle trouvait difficile de discerner quel rôle elles jouaient dans le traitement de ce patient.Il est saisissant de constater que ce qui fut probablement la plus belle histoire d'amour de l’Homme aux loups, celle qu'il eut avec Freud et la psychanalyse, n'a à ce jour suscité ni débat ni interprétation. Se souvenant de son enfance, l'Homme aux loups trouvait curieux que « sans effort de [sa] part [il abandonna] sa religion si facilement ». « La question est: qu'est-ce qui a rempli le vide ainsi créé? », se demandait-il, et il répondit: peut-être la littérature ou la peinture - sans mentionner que sa vie entière fut absorbée par la psychanalyse. L'Homme aux loups a écrit des articles sur la philosophie et l'art vus sous un angle psychanalytique; il a même vendu quelques-unes de ses toiles à des analystes. Pendant des années, Freud collecta des dons d'argent pour son ancien patient qui, comme le dit Ruth Brunswick, « avait si bien servi les fins de l'analyse ». (Il n'est pas non plus inconcevable que Freud se soit senti quelque peu coupable du revers de fortune qu'avait subi l'Homme aux loups.) Cet argent, l'Homme aux loups s'en servait aussi bien pour s'offrir de petits voyages que pour payer son loyer et ses dépenses médicales. Et au jour d'aujourd'hui encore, alors que la vie de l'Homme aux loups est devenue moins facile avec l'âge, écrire sur son expérience avec Freud lui a donné une raison de vivre.Muriel Gardiner a déclaré: « L'analyse de Freud a sauvé l'Homme aux loups d'une existence d'infirme, et la ré-analyse du Dr Brunswick a triomphé d'une crise aiguë et grave, toutes deux ayant permis à l'Homme aux loups de vivre longtemps en assez bonne santé. » Quoi qu'il en soit, et contrairement à certains de ses disciples, Freud avait l'esprit assez scientifique pour s'intéresser aux échecs autant qu'aux réussites thérapeutiques, et ce n est pas trahir sa pensée que de mentionner, parallèlement aux bénéfices que l'Homme aux loups a tirés de l'analyse, les déficiences qu'il n'a pu surmonter. Il fit sans aucun doute plus de progrès avec Freud qu'avec les autres thérapeutes de l'époque, mais en fin de compte, peut-on dire qu'il a été aidé par les lumières de l'analyse? Ne l'a-t-il pas plutôt été par le soutien émotionnel permanent de Freud et du mouvement analytique?Freud voulait être enseigné par ses erreurs, et il fit un long compte rendu d'un revers thérapeutique, le cas d'une jeune fille connue sous le nom de « Dora ». Il confessa: « J'ignore quelle sorte d'aide elle avait voulu de moi, mais je promis de lui pardonner de m'avoir privé de la satisfaction de la débarrasser plus radicalement de son mal. Freud ayant choisi de présenter ses cas « sous forme de fragments » dans le but d'élucider certains problèmes particuliers sur lesquels il travaillait, il est difficile de reconstituer à partir de tel récit de cas les événements cliniques. Alors qu'il étudiait la télépathie par exemple, il évoque à deux reprises un cas où il intervint activement en faveur d'un projet de mariage particulier, ce qui aujourd'hui paraîtrait curieux. il évoque « un jeune homme [qui] s'adressa à moi et me fit une impression particulièrement sympathique, de sorte que je lui donnai la préférence sur beaucoup d'autres ». Ce patient avait eu une longue liaison avec sa belle-sœur (désignée dans l'écrit de Freud seulement comme « une femme mariée de son proche entourage ». L'un des résultats de son analyse avec Freud, selon le récit de ce dernier, fut que l'homme en question se libéra des entraves qui le liaient à une fille de classe sociale inférieure, « qui n'était pour lui qu'un souffre - douleur sur lequel il pouvait satisfaire tous les ressentiments et toute la jalousie qu'il éprouvait en réalité pour l'autre femme ». Le patient tomba alors amoureux de sa nièce, la fille de son ancienne maîtresse. Quand le garçon prit la décision d'épouser cette jeune fille, Freud qui pouvait se montrer remarquablement affranchi des valeurs bourgeoises, « appuya son intention, qui correspondait à une issue irrégulière, mais toutefois possible, d'une situation difficile ».La jeune fille, cependant, refusa la demande en mariage de son oncle. Sur ce, Freud conseilla de l'envoyer en analyse. (La façon dont Freud tourne les choses est la suivante: « il fut décidé qu'elle devait être analysée. ») Freud dit à l'analyste de la jeune fille (Hélène Deutsch) qu'il y avait un secret dans l'affaire, et que quand elle le découvrirait, elle devrait lui en parler. Environ une semaine plus tard, Deutsch vint chez Freud pour lui apprendre que non seulement le secret avait été dévoilé, mais qu'il y avait un autre secret dont il n'avait pas connaissance.La jeune fille était évidemment au courant de la liaison de sa mère avec son prétendant. C'était ce que Freud avait voulu savoir. Mais il ne savait pas que la jeune fille avait un fantasme: elle pensait être le fruit de cette union illicite entre son oncle et sa mère - ce qui expliquait tout à fait son hésitation à l'idée d'avoir des relations sexuelles avec lui. Freud écrivit: « La jeune fille avait inconsciemment parfaitement connaissance des relations qui avaient uni sa mère et son fiancé, et son attachement à se dernier était à mettre au compte du complexe d’œdipe.») Une fois averti du monde intérieur de la jeune fille, Freud laissa tomber l'idée du mariage.Lorsqu'il écrivit ce cas pour la publication, il tenta de passer sous silence, sans aucun doute par discrétion, le lien de famille qui unissait les partenaires de l'éventuel mariage. Mais tout à la fin de son compte rendu, il y a un retour du dissimulé. Selon Freud, le patient choisit finalement pour femme « une jeune fille respectable, en dehors de son milieu familial ».Or, jusqu'à ce point de son récit, il n'a fait aucune allusion au fait que l'un des amours du patient avait fait partie du « milieu familial ». Pour ce qu'il avait à dire de la télépathie - son patient avait eu l'occasion de consulter un graphologue - le compte rendu de Freud était assez explicite, mais en tant que récit de cas, ce n'est qu'une vignette. Cela montre combien il pouvait être activiste dans sa pratique. Comme il l'écrivit un jour: « Les faits et gestes d'un patient dépendent aussi d'une combinaison de circonstances externes. Devrions-nous hésiter à modifier cette combinaison en intervenant convenablement? » Mais cette suppression du détail des relations familiales fait qu'il est pratiquement impossible de comprendre de quoi il s'agit.En 1915, Freud avait énoncé comme un principe une règle à laquelle il n'était pas toujours capable de se conformer. « Avant de poursuivre, écrit-il pathétiquement dans le compte rendu d'un autre cas, je dois avouer que j'ai modifié le milieu du patient afin de préserver l'incognito des personnes concernées, mais que je n'ai rien changé d'autre. Je considère qu'il est mauvais, quelque excellents que puissent en être les motifs, de modifier aucun détail dans la présentation d'un cas. On ne sait jamais quel détail pourra être relevé par un lecteur au jugement impartial, et l'on risque alors de l’égarer. »Et en 1924, Freud ajouta une note à l'une de ses relations de cas où il avait déguisé son matériel: « Kartherina n'était pas la nièce mais la fille [...] La jeune fille, par conséquent, tomba malade après que son propre père eut tenté d'avoir avec elle des relations sexuelles. Des distorsions semblables à celle que j'ai introduite ici doivent être évitées dans un récit de cas. »Quel que soit le tort que de telles distorsions puissent faire à l'avenir scientifique de la psychanalyse, le mouvement de Freud aurait rencontré de bien plus grands obstacles s'il avait pu être démontré que sa technique thérapeutique avait des résultats négatif. Freud reconnaissait qu'il était légitime de se demander si la psychanalyse pouvait faire du mal: « Si un bistouri ne coupe pas, il ne peut pas non plus servir à guérir. »Mais comme la psychanalyse ne peut faire du bien que de manière limitée, Freud pensait qu'elle ne pouvait pas faire grand mal. Comme la chirurgie, elle fait mal pour des raisons constructives; qui plus est, Freud le maintenait, « l'activité d'un analyste sans formation fait moins de mal à ses patients que celle d'un chirurgien inexpérimenté [...] A ce que j'en juge, l'aggravation sérieuse ou durable d'un état pathologique n'est pas à craindre, même d'un usage inexpérimenté de l'analyse. Les réactions importunes cessent après un temps [...] Simplement, l'essai thérapeutique était malvenu et n'a fait aucun bien au patient ». Freud était persuadé que « le patient n'a aucun préjudice à craindre quand le traitement est mené avec intelligence » . Il n'en reste pas moins que les analystes savent que l'état de certains patients se dégrade sous traitement. Freud pensait que de tels patients avaient de très fortes tendances masochistes qui ruinaient le but thérapeutique; pour désigner leur comportement, il inventa la catégorie de « réaction thérapeutique négative ».Même un catalogue minutieux des psychothérapies ayant mal tourné ne pourrait contredire le fait qu'elles demeurent sous-employées. Lorsqu'ils traitent des problèmes de technique, les analystes expérimentés citent souvent aujourd'hui la rigidité de la pratique des analystes comme la cause de la plupart des difficultés qu'ils rencontrent. Alors les transferts s'accumulent, ou s'installe une réaction thérapeutique négative réfractaire; si l'analyste n'y peut rien, il vaut mieux qu'il ne s'en défende pas mais le dise honnêtement à son patient. Ici, le caractère de l'analyste joue nécessairement un rôle. S'il n'est pas trop narcissique, il adressera le patient à un autre praticien.A ses débuts d'analyste, Freud n'était pas assez prudent dans sa façon de manier son invention; cependant, ses erreurs résultaient souvent de son ouverture d'esprit. Il pouvait voir une énorme influence sur ses patients. Il connaissait sa force: « Je n'ai trouvé en moi-même qu'un seul attribut de première qualité: une sorte de courage qui n'est pas touché par les conventions. »Ses commentaires s'ancraient dans la mémoire de ses patients pour la vie. Une remarque qu'il fit à la fin d'une brève analyse de trois mois avant la Première Guerre mondiale est significative de son comportement: il complimenta sa patiente et lui dit que l'une des raisons pour lesquelles il avait eu plaisir à travailler avec elle était que dès qu'elle avait compris quelque chose, elle était capable d'en faire usage. Freud supposait que ses patients avaient l'esprit fondamentalement sain, que comme lui-même, ils pouvaient au besoin tirer profit de la critique. Dans une lettre, il affirma un jour: « Les conditions optimum pour [la psychanalyse] existent lorsqu'elle n'est pas nécessaire - c'est-à-dire chez les gens bien portants. »Bien qu'il ait été plongé dans le «monde souterrain » de l'inconscient, Freud gardait en les lumières de la raison la confiance que leur accordaient les philosophes. « Rien dans la vie en est plus onéreux que la maladie - et la sottise. » L'idéal freudien d'une vie minutieusement contrôlée est très astreignant pour l'analyste: « Ce qui est donné au patient ne doit jamais être un affect spontané, mais toujours consciemment assigné, et en quantité plus ou moins grande selon le besoin; à l'occasion beaucoup, mais jamais de par le propre ics [inconscient] de l'analyste. Je considère cela comme la formule. En d'autres termes, on doit toujours reconnaître son contre-transfert et s'élever au-dessus de lui, c'est seulement ainsi qu'on est libre soi-même. »Freud avait commencé sa carrière en jouant avec l'idée que « l'interprétation des rêves est comme une fenêtre par laquelle nous pouvons jeter un coup d’œil sur l'intérieur de cet appareil [mental] ». Bien qu'au cours des ans, sa terminologie et son intelligence des choses aient changé, sa tournure d'esprit fondamentalement rationnelle (demeura identique à elle-même. Dans l'Interprétation des rêves, il écrivait que « la psychothérapie ne peut suivre d'autre voie que de soumettre l'Ics. (inconscient) à la domination du Pcs. (préconscient) Dans les fameux termes de sa vieillesse: « Où était le ça, là doit être le moi. »L' « instrument essentiel » du traitement psychanalytique était les « mots »; par l'établissement d'une distance rationnelle, le patient pouvait atteindre la maîtrise de soi. Freud, nous l'avons vu, visait en fin de compte un réordonnancement intérieur de la vie du patient plutôt que des changements manifestes dans son comportement: « La névrose semblerait résulter d'une sorte d'ignorance [...] Il y a savoir et savoir: il existe différentes sortes de savoirs, qui sont loin d'avoir la même valeur psychologique [...] Il y a plus d'une sorte d'ignorance [...] Tout ce que nous avons à ajouter est que le savoir [en psychanalyse] doit reposer sur un changement intérieur chez le patient. Lorsque Freud prit en considération les problèmes de la philosophie sociale, il dit (dans la ligne de sa confiance en la puissance thérapeutique de la raison) que «les conditions idéales seraient évidemment une communauté d'hommes ayant subordonné leur vie instinctuelle à la dictature de la raison ».Il avait d'abord pensé que la psychanalyse était un « art de l'interprétation ». Progressivement, il se désintéressa des souvenirs du patient pour se consacrer à ses résistances. Il admettait: « Je croyais alors [dans les années 1890] (j'ai depuis reconnu que je m'étais trompé) que j'avais accompli ma tâche quand j'avais informé mon patient du sens caché de ses symptômes. » Et il concluait: « Le patient n'a tien à gagner de la confrontation directe avec ses symptômes que lui imposerait le médecin. »Cependant, en 1910 encore, nous voyons Freud faire l'une de ses stupéfiantes reconstructions afin de pousser un patient à terminer sa cure: « L'extravagant récit de Freud d'un événement que je n'avais jamais soupçonné (du moins consciemment) s'avéra [...] Freud m'avait sous-estimé. Il croyait qu'il pouvait tout me dire. »De chaque individu, Freud exigeait le meilleur, et ses injonctions implicites avaient toujours pour but de forcer l'attention du patient, afin d'enrichir la séance suivante. Un de ses patients fit un jour l'acquisition, pour quatorze dollars, d'un beau livre sur Rome et le montra à Freud, qui convint qu'il était splendide. « Veillez à le mériter! » fait son seul commentaire. Malgré son moralisme, il pouvait se montrer pragmatique, et au même patient, il dit que les fantasmes masturbatoires pendant les relations sexuelles étaient acceptables s'ils contribuaient à l'hétérosexualité.Analyse signifiait pour Freud décomposition des problèmes. « L'unité de ce monde est pour moi quelque chose qui se comprend de soi, qui n'a pas besoin d'être souligné. Ce qui m’intéresse, c'est la séparation et le morcellement en parties constituantes de ce qui sinon ne serait qu'une boue primitive.». S'opposant au type de traitement que Jung en était venu à préférer, il tenait pour certain que « dans la technique de la psychanalyse, il n'y a besoin d'aucun travail de synthèse particulier; l'individu le fait pour lui-même bien mieux que nous ne le ferions ». Il lui parut nécessaire de répondre à ceux qui s'inquiétaient de ce que l'on « donne peut-être au patient trop d'analyse et pas assez de synthèse ». Il pensait que « la psycho-synthèse [...] s'accomplit durant le traitement analytique sans notre intervention, automatiquement et inévitablement ».La psychanalyse porte en elle, implicite, une morale qui lui est propre. Comme Freud l'expliquait un jour à un patient: « Le moi moral est le conscient, le moi mauvais l'inconscient. » (A l'adresse de ses lecteurs, il écrivit que ce n'était là qu'une vérité approximative.) Ailleurs, il dit: « Nous libérons la sexualité par notre traitement, non pas en sorte que l'homme soit désormais dominé par la sexualité, mais afin de rendre possible une suppression - un renoncement aux instincts sous l'action d'une instance plus élevée [...] Nous tentons de remplacer le processus pathologique par le renoncement. ».Freud voyait la situation analytique comme « une lutte entre le médecin et le patient, entre la vie intellectuelle et la vie instinctive, entre l'intelligence des choses et l'envie d'agir ».Le contre transfert est, évidemment, la réaction inévitable du thérapeute envers le transfert du client ou envers le client. Ici aussi, il est préférable qu’il soit positif. Mais le thérapeute est la seule personne qui doit gérer cette dynamique appelée transfert / contre transfert. Plus il est compétent et mature et plus il saura gérer le transfert d’une façon utile de façon à améliorer la qualité de la thérapie et non pas la ralentir ou contrecarrer son cours normal. Il y aura toujours la personne charmante et séduisante qui démontrera des signes de « transfert amoureux » intenses, et les bons thérapeutes compétents; ceux qui ont résolus leur propres problèmes psychologiques en thérapie eux-mêmes, surmonteront facilement une tentation possible, ou ne tomberont tout simplement pas en tentation.

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