HOMERE, FREUD, LE GOFF, ELIADE, JOUVET.. " Quand on rêve on ne tombe pas hors du monde. " La neurophysiologie moderne semble confirmer cette formule freudienne. L'hypothèse de J. Allan Hobson, dite " activation-synthèse ", présente le rêve comme un état particulier au cours duquel des neurones sont " allumés " comme s'ils recevaient réellement des informations sensorielles alors que le " cerveau-esprit " (le cortex) doit, à partir de ces fausses informations, structurer un scénario qui se tienne tant bien que mal. Le cerveau-esprit ferait en quelque sorte son travail, avec le peu dont il dispose, pour donner du sens à ce qui n'en a pas : des salves électriques, des " allumages " plus ou moins anarchiques de neurones. Cette hypothèse peut paraître étrange: elle fait du cerveau un double de l'organisme qui obéit à sa propre nature, donner du sens. Malgré cette conception philosophiquement problématique, l'hypothèse de Hobson a un très grand mérite : elle permet de mieux comprendre pourquoi Pénélope, dans les rêves rapportés par Homère, ne se voit pas sortir de son corps ou courir nue sur la place publique. Pénélope rêve " comme " une Grecque du XIIIe siècle, avec ce que son cortex " a sous la main " quand des salves électriques lui parviennent pendant le sommeil. Or, qu'y a-t-il dans sa boîte à outils pour fabriquer ses rêves ? Des informations stockées dans des neurones, agencées en réseaux qui correspondent aux structures du monde dans lequel elle vit. Ces informations comprennent ce que Freud présente dans son Interprétation des rêves, à savoir le matériel somatique (les informations venant du corps) et des souvenirs divers: restes diurnes (ce que Pénélope a vécu dans la journée), souvenirs d'enfance, mythes, contes, légendes, croyances religieuses, modes de rapports sociaux, etc., bref tout ce qui fait lí " acculturation " d'un individu à une société donnée. C'est ce qu'enseignent les approches anthropologiques des rêves : un roi grec rêve des oracles qui parlent du pouvoir qu'il assume. Un Indien d'Amérique rêve que son âme part rejoindre le royaume des ancêtres et des morts, le monde du totem. Parce que les romantiques sont baignés dans les croyances piétistes et l'ésotérisme qui a persisté en Allemagne, ils rêvent de l'âme du monde, et leur cortex leur permet la nuit de renouer avec l'harmonie qui les obsède. L'étude des rêves doit donc tenir compte du caractère des cultures dans lesquelles on rêve. Mais cette approche mène inévitablement à s'interroger sur l'ensemble de nos convictions contemporaines sur les songes. Dans chaque culture, en effet, on rêve du monde qu'on a dans la tête; et quand on rêve on ne tombe pas hors du monde. Pour comprendre le sens profond de cette formule, il convient chaque fois de situer les rêves dans le cadre culturel global dans lequel ils surviennent. C'est à ce voyage que convie la bibliographie qui suit. Ce livre a fait l'objet de nombreuses critiques, notamment de la part de certains anthropologues. Il a pourtant un immense mérite : il invite à un regard passionnant sur le monde grec; on a beaucoup reproché à Dodds d'importer dans ce monde des outils d'analyse adaptés en fait aux Occidentaux du XXe siècle. On trouve en effet ici et là des interprétations psychanalytiques assez anachroniques; cet inconvénient surmonté, le livre de Dodds permet de comprendre que la pensée grecque ne peut être réduite aux écrits philosophiques. Dodds accorde une large part aux rêves. Les poèmes homériques, écrits au VIIIe et VIIe siècles, constituent le point de départ de l'analyse: on y trouve de nombreux récits de rêves dans lesquels un personnage nommé Oneiros, dieu ou héros mythique, entre dans la chambre du dormeur et délivre un message. Plus l'homme est important, plus le message aura valeur d'oracle. Dans d'autres récits, le rêve est une vision qui nécessite une interprétation. Comme la plupart des autres peuples, les Grecs font une distinction entre ceux qui sont vrais et passent par la " porte de corne " et ceux qui trompent et passent par la " porte d'ivoire ". Le rêve grec présente un caractère particulier: il est " vu " par un donneur passif, alors que nous, Occidentaux contemporains, " faisons " un rêve. Le rêve homérique est envoyé au dormeur par un autre monde, tout aussi objectif que celui de la veille, celui des dieux et des héros; il est reçu comme un " présent " et est en cela recherché. Dodds montre ensuite la manière dont l'attitude des Grecs face au rêve se modifie sous l'influence principalement des Scythes venus d'Asie centrale. Leur conviction s'amplifie peu à peu - en raison de la culture chamanique que les Scythes apportent en Thrace - que l'âme est séparable du corps au moment de la mort et pendant le sommeil: ses voyages d'alors correspondent au vécu onirique. Les poèmes attribués au mythique Orphée propagent cette conviction au VIe siècle et la mêlent à celle, religieuse, de la Grèce classique. Le rêve devient un voyage de l'âme vers le royaume des morts. Ces croyances sont au moins aussi influentes dans la Grèce antique que l'attitude rationnelle à l'égard du rêve, celle d'Aristote par exemple qui fait du rêve prophétique une simple coïncidence (symbolon) et se révèle en cela presque trop " moderne " pour une civilisation qui entretient avec le monde un rapport surnaturel. Ce livre peut donner envie de lire : Homère : L'Iliade et l'Odyssée, dans une de leurs nombreuses éditions; Aristote: Parva Naturalia - Petits traités d'histoire naturelle, Belles Lettres, Paris, 1965; La Vérité des songes, De la divination dans le sommeil, traduit du grec et présenté par Jackie Pigeaud, Rivages poche, Paris, 1995; et bien sûr les livres de J. -P. Vernant.
Jacques Le Goff L'imaginaire médiéval | Ce grand livre, qui fait suite aux essais publiés en 1977 dans Pour un autre Moyen Age, éclaire davantage encore sur líintérêt de l'auteur pour l'imaginaire qu'il prend, fort heureusement, la peine de définir. Ce livre passionnant fait apparaître la solidarité profonde qui unit l'ensemble des productions imaginaires d'une époque donnée. Après avoir analysé le coeur même de l'imaginaire médiéval, le merveilleux, carrefour de la religion, de la création littéraire et de la pensée, Le Goff étudie les images du temps et de l'espace, puis, essentielles, celles du corps, tellement méprisé par l'Eglise, tellement investi par l'imaginaire. Le livre fait ensuite une large place à l'attitude médiévale à l'égard du rêve. Cette attitude est double; elle allie, comme c'est souvent le cas, la fascination à la méfiance : à côté d'une profusion de récits de rêves dont le contenu est très lié aux préoccupations religieuses, une volonté de l'Eglise de dénoncer l'origine diabolique des rêves et de se détourner de toute étude de leur contenu. On retrouve dans le christianisme une distinction antique entre les rêves vrais, envoyés par Dieu et reçus par les martyrs et les saints, et les rêves trompeurs, envoyés par le diable. Comme la distinction entre eux n'est pas toujours aisée, l'Eglise préfère en détourner le chrétien, et puisque personne ne peut entrer en contact avec le monde invisible, il faut qu'elle intercède. Le Goff montre combien la société médiévale est une " société aux rêves bloqués "; l'interdiction qui frappe l'imaginaire provoque le recours aux sorciers, à un surnaturel clandestin, puis dans le Moyen Age plus tardif, une " épidémie de rêves ". Ce livre peut donner envie de lire : Jean-Claude Schmitt: Les Revenants; les vivants et les morts dans la société médiévale, Gallimard, Paris,1994; Martine Dulaey:Le Rêve dans la vie et la pensée de saint Augustin, Etudes augustiniennes, Paris, 1973. |
Lucien Lévy-Bruhl La Mentalité primitive | Ce classique de la littérature ethnologique est l'oeuvre d'un philosophe qui s'intéresse à la science des moeurs comme étude des comportements qui varient avec les époques et les lieux. Lucien Lévy-Bruhl est convaincu de l'existence díune différence irréductible entre l'esprit de l'homme civilisé et celui de l'homme qu'il qualifie comme ses contemporains de " primitif ". La " mentalité " primitive se caractérise essentiellement par la croyance en un monde non sensible, animé par les esprits des morts, des animaux et des végétaux. Pour un primitif, ce monde est réel, inextricablement mêlé au monde sensible. La Mentalité primitive, composé de quatorze chapitres, comporte deux parties: la première, théorique, tente de caractériser, la mentalité primitive par une conception mystique de la causalité. La seconde illustre cette définition par l'absence de la pensée que nous qualifions de logique et le recours à la magie. C'est dans ce cadre que Levy-Bruhl consacre un chapitre aux rêves : dans les sociétés archaïques, le rêve constitue un voyage de l'âme pendant le sommeil; son absence provoque une immobilité qui préfigure celle de la mort. Au cours de ses voyages nocturnes, l'âme s'en va visiter le monde invisible peuplé des ancêtres, des animaux, des forces naturelles. Lucien Lévy-Bruhl rapporte de nombreux récits (sans avoir toujours un regard suffisamment critique sur ses sources) qui étayent la croyance selon laquelle ce qui est vécu en rêve est véritable et aussi important que ce qui est vécu en veille. L'étude du rêve primitif montre le rôle social de celui-ci : non seulement il met l'individu en relation avec le monde non visible mais il assigne à chacun sa place; l'âme du donneur est un fragment de l'âme tutélaire du groupe, constitué de tout ce qui confère au groupe son identité. L'ouvrage de Lucien Lévy-Bruhl a fait l'objet de critiques (les premières venant de l'auteur lui-même) contre sa conviction que la mentalité primitive ignorerait les principes logiques. Mais ce livre est toujours un ouvrage de référence et rapporte les récits de rêves sur lesquels se sont fondées de nombreuses études ethnologiques. Ce livre peut donner envie de lire: J. G. Frazer: Le Rameau d'or, Robert Laffont, collection Bouquins, Paris, 1981 (1ère édition: 1890), un grand classique de la littérature ethnologique; Mircea Eliade: Mythes, rêves et mystères, Gallimard, Paris, 1957. Il faudrait lire aussi les textes recueillis par Roger Caillois dans Le Rêve et les sociétés humaines, Gallimard, Paris, 1967... dont on attend la réimpression. |
Gotthilf Heinrich Schubert La Symbolique du rêve | Schubert expose ici le point de vue des romantiques sur le rêve. Eduqué dans la foi piétiste, il a été l'élève des fondateurs de la Naturphilosophie allemande dont il a brillamment poursuivi l'oeuvre. Lorsque, plus tard, il fut influencé par le philosophe mystique Franz Baader, il infléchit sa pensée dans une direction plus métaphysique. Comme tous les romantiques, Schubert est moniste : il considère l'univers comme un gigantesque organisme dont l'étude résiste au mécanisme de l'époque des Lumières. Loin de la raison et de ses calculs, il revendique l'intuition du monde, la nécessité de dépasser les limites inhérentes à la connaissance rationnelle par un retour à l'intériorité, retour à ce morceau de l'âme du monde contenue en soi, pour comprendre le langage universel du grand Livre de la Création. Dans La Symbolique du rêve, Schubert révèle l'unité profonde du langage de la poésie et du rêve qui a sa source dans les côtés nocturnes de notre être, côtés que Carus, maître philosophe de la Nature, va bientôt nommer " inconscient ", sans y mettre le contenu freudien. Le langage onirique est l'activité naturelle de l'âme qui s'exprime en harmonie avec l'inconscient cosmique dont elle relève. La langue du rêve est poétique, elle prophétise et révèle le destin poétiquement; toute tentative pour l'interpréter rationnellement, dans le langage de la prose, ne serait que vanité. Le monde invisible n'est plus transcendant au monde sensible, il lui est immanent, chacun porte en lui une part du sacré. Dans la seconde partie de l'ouvrage, l'auteur tente de mettre en accord ces conceptions mystiques avec la physiologie romantique qui oppose le système cérébral et le système ganglionnaire responsable des états de clairvoyance, de semi-conscience, de rêve. Il évoque, dans le poète caché qui sommeille en nous, le démon plein de passions et de vices inavouables qui peuplera l'inconscient freudien. Cette condition de mortel ne peut être surmontée que dans l'amour divin, exhortation qui clôt le livre. Ce livre peut donner envie de lire: Les nombreux ouvrages que G. Gusdorf a consacrés au romantisme chez Payot; et bien sûr l'ouvrage d' Albert Béguin L'Ame romantique et le rêve, Corti, Paris, 1939.
Stephen LaBerge Le Rêve lucide; le pouvoir de l'éveil et de la conscience dans vos rêves | Ce livre célèbre est tout autant inspiré par le courant New Age californien que par la neurophysiologie du sommeil paradoxal. Héritier d'Hervey de Saint-Denys, Stephen LaBerge a entrepris de réhabiliter le rêve lucide auprès des scientifiques: ceux-ci doutent encore de la possibilité d'être à la fois lucide et endormi. Il s'agit en fait de rêves spécifiques, auxquels certains dormeurs sont plus aptes que d'autres, durant lesquels on a conscience d'être en train de rêver; avec quelque entraînement, on peut diriger le scénario de son rêve. Toute la polémique porte bien sûr sur l'état réel dans lequel se trouve alors le dormeur : est-il en sommeil paradoxal ou en semi-éveil ? LaBerge fait preuve de beaucoup d'enthousiasme, d'une grande force de conviction et profite fort bien de l'attirance du publie pour ces états paranormaux; l'étude du rêve lucide a d'ailleurs été, avant LaBerge, du ressort presque exclusif des parapsychologues. L'intérêt pour la méditation transcendantale et le yoga, le discours initiatique de Stephen LaBerge, contribuent au scepticisme persistant des scientifiques. Le succès auprès du grand publie demeure pourtant intact, tant l'auteur écrit de façon plaisante et parfaitement accessible. Ce livre peut donner envie de lire : Patricia Garfield : La Créativité onirique, la Table ronde, Paris, 1983, qui a eu beaucoup de succès aux Etats-Unis. Hervey de Saint-Denys : Les Rêves et les moyens de les diriger, Editions d'Aujourd'hui, Le Plan de la Tour, Var, 1977; Editions Oniros (édition intégrale), Ile Saint-Denis, 1995.
Sigmund Freud L'interprétation des rêves | Alors que dans le romantisme, le rêve est une expérience psychique privilégiée, il est pour Freud un moyen d'investigation psychologique. Tel est l'apport fondamental inauguré par ce livre achevé et paru en novembre 1899 (bien que l'éditeur est daté la parution de 1900), traduit pour la première fois en français par Ignace Meyerson en 1926). Sur la base de son expérience clinique avec les névrosés, Freud analyse ses propres rêves et va fonder sur cette étude sa conception de l'inconscient. Pour Freud, l'inconscient est constitué des contenus de la sexualité infantile refoulés sous la pression de la censure sociale; ces contenus refoulés, investis d'énergie pulsionnelle, tentent d'émerger mais, en raison des exigences de la conscience, ils ne peuvent le faire que sous forme déguisée, après avoir " formé des compromis ". Le rêve résulte de l'un de ces compromis, quotidien et normal le seul que l'homme sain puisse former. Il est une voie royale d'accès à l'inconscient puisqu'en démontant les déformations que le psychisme imprime sur les contenus inconscients, le psychanalyste peut espérer approcher ces contenus et connaître l'inconscient. Ces déformations constituent le " travail de rêve ", qui permet de passer du contenu latent au contenu manifeste, grâce à des mécanismes tels le déplacement et la condensation. L'étude minutieuse de ces procédures de travail du rêve constitue la partie la plus conséquente de L'Interprétation des rêves, dans laquelle Freud élabore une véritable logique de l'imaginaire, qu'il étend d'ailleurs à d'autres formes symboliques que le rêve. Après un exposé très complet et précieux de l'ensemble de la littérature sur le rêve, le père de la psychanalyse en vient à la description des matériaux de ces déguisements : les souvenirs récents (restes diurnes) ; le matériel somatique, parmi lesquels le désir de dormir; les souvenirs du passé d'enfant et un ensemble de symboles plus ou moins universels (qui représentent surtout des contenus sexuels) sur lequel la vulgate freudienne, contrairement à Freud, a mis l'accent. Le rêve est donc ici un message envoyé au dormeur par une force intérieure à celui-ci. Comme chez les romantiques, le rêve est l'occasion de renouer avec la totalité de l'être, mais cet être est uniquement l'auteur de lui-même et tout se joue au-dedans de lui. Cet ouvrage est un véritable monument dans l'histoire des conceptions du rêve, très agréable à lire parce qu'il comporte de nombreux récits de songes à côté de considérations assez ardues. Mais mieux vaut lire l'oeuvre elle-même que ses commentateurs qui, bien souvent, n'y ont trouvé que ce qu'ils y ont mis. Ce livre peut donner envie de lire : tous les autres livres de Freud, et de très nombreux ouvrages comme celui par exemple de Géza Roheim, anthropologue freudien, Les Portes du rêve, Payot, Lausanne, 1973.
J. Allan Hobson Le Cerveau rêvant | La thèse de J. Allan Hobson sur le rêve présentée dans cet ouvrage est sans doute la plus stimulante de ces dernières années. Neurophysiologiste et professeur de psychiatrie à Harvard , Hobson s'emploie à montrer que la théorie freudienne ne peut être maintenue devant les progrès de la neurophysiologie et propose un point de vue réellement novateur mais non réductionniste de l'activité onirique. Il propose une hypothèse qui rend compte des états de l'organisme pendant le sommeil paradoxal et du résultat de cette activité : les scénarios de rêves recueillis. La première partie de cet ouvrage est consacrée aux différents étapes de la science des rêves, y compris les conceptions de Freud et Jung, avec une nette préférence pour ce dernier. La deuxième partie présente un exposé très complet et très clair de l'ensemble des connaissances neurophysiologiques sur les états de conscience et le sommeil paradoxal. Hobson expose ensuite son hypothèse selon laquelle le cerveau, à intervalle régulier, est activé par un générateur interne, qui " mime " l'activation neuronale se produisant pendant la veille. Devant cette activation, le cortex effectue, parce que c'est son travail, une synthèse des informations " allumées " avec les moyens du bord, c'est-à-dire avec l'information stockée dans le cerveau: les restes de la journée, les souvenirs divers des événements de sa vie et de l'ensemble des choses qu'il a apprises: " Le cerveau-esprit fait de son mieux pour donner un sens aux signaux díorigine interne... [il] doit peut-être aller chercher au plus profond de ses mythes pour trouver une structure narrative susceptible de rassembler toutes les données. " On aura compris que le livre de Hobson soulève des questions philosophiques, et que c'est l'un de ses mérites. Ce livre peut donner envie de lire : Sigmund Freud : L'interprétation des rêves, PUF, Paris, 1967; ou un autre livre de J. Allan Hobson, avec une iconographie très attrayante : Sleep, Scientific American Library, New York,1995.
Carl Gustav Jung L'Homme à la découverte de son âme | Il s'agit de textes épars de Carl Gustav Jung, le grand psychanalyste suisse, réunis par Roland Cohen en 1943. On y trouve exposés les fondements de son oeuvre complexe, et le plus souvent méconnue en France. Jung a été, pendant quelques années, le dauphin de Freud, mais il diverge de celui-ci sur l'importance accordée par Freud à la sexualité dans la constution de l'inconscient. Pour Jung, l'inconscient, en tant que composante du psychisme, est aussi collectif; proche de l'inconscient cosmique des romantiques, il est peuplé et structuré par des archétypes, des structures mentales universelles qui s'expriment dans le vécu sous forme d'images archétypales, que l'on découvre dans les rêves, et qui tiennent en partie leur contenu de l'univers culturel du rêveur et des mythes humains. Après l'exposé des fondements de la conception yungienne de l'inconscient, plus empreint de spiritualité que de refoulement, et l'analyse de sa théorie des complexes, la troisième partie de l'ouvrage est consacrée aux rêves et à leur imbrication avec les mythes. Pour Jung, le rêve est à lui-même sa propre interprétation ; comme les romantiques, il recommande de les comprendre de l'intérieur : le rêve exprime directement, dans un langage symbolique, l'inconscient individuel et collectif. Ce livre peut donner envie de lire : un autre ouvrage de Jung, et pourquoi pas en guise d'introduction à cette oeuvre difficile, Ma vie (souvenirs, rêves et pensées) Gallimard, Paris, 1985, autobiographie réalisée juste avant sa mort, en 1961.
William C. Dement Dormir, rêver | William Dement a été l'un des artisans de la conception contemporaine du sommeil paradoxal. Avant de constituer une clinique d'étude du sommeil à Stanford, il a travaillé dans le laboratoire de Chicago avec Nathaniel Kleitman et Eugen Aserinsky et isolé le sommeil à mouvements oculaires rapides comme étant celui dans lequel surviennent les rêves. Il a découvert que ce sommeil existe aussi chez le chat et ainsi ouvert la voie aux expériences décisives sur l'animal. Dormir, Rêver s'adresse d'abord aux étudiants et aux non-spécialistes, ce qui en fait un ouvrage très accessible, agréable à lire. Dement prend le soin de répondre clairement aux questions que chacun se pose: quels sont les effets de la privation de rêve (ou de sommeil en général, domaine dans lequel Dement a réalisé des travaux pionniers) ? Pourquoi ne se souvient-on que de certains rêves? Y a-t-il des relations entre les rêves d'une même nuit, des séries de rêves ? Après avoir abordé les points principaux des connaissances sur le rêve, Dement analyse, dans la deuxième partie du livre, les différents troubles du sommeil en général et leurs liens avec les maladies mentales, en particulier chez les schizophrènes : il semble que les psychotiques ne connaissent pas l'effet de rebond de sommeil paradoxal après la privation de ce sommeil, comme c'est le cas chez les sujets " normaux ". Dement relie ce phénomène à une insuffisance de sérotonine qui serait aussi à l'origine des hallucinations à l'état de veille. Ce livre peut donner envie de lire : Jean-Michel Gaillard : Le Sommeil; ses mécanismes et ses troubles, Doin, Paris, 1990, Payot, Lausanne, 1990, qui constitue un livre de référence sur ce sujet.
Michel Jouvet Le Sommeil et le rêve | Il s'agit d'un recueil des principaux articles de Michel Jouvet sur le sommeil paradoxal. Spécialiste de la neurobiologie des états de vigilance, Jouvet a largement contribué à caractériser l'état paradoxal en étant le premier à tenir compte d'une caractéristique essentielle : l'atonie musculaire qui accompagne l'intense activité corticale. Il a mis en évidence, chez le chat principalement, les structures responsables de cet état. A travers plusieurs de ces articles, Jouvet présente son hypothèse quand à la fonction du sommeil paradoxal, à partir des constatations suivantes : on trouve ce type de sommeil chez les espèces homéothermes mais non chez les poïkilothermes (sans régulation thermique); ce sommeil n'est présent chez le nouveau-né qu'à l'achèvement de la maturation nerveuse. Pour le chercheur lyonnais, le sommeil paradoxal serait un substitut de la neurogenèse, de la fabrication des cellules neuronales qui cesse chez les homéothermes avec la maturation alors qu'elle dure toute la vie chez les poïkilothermes. Ce sommeil aurait pour rôle de " réengrammer " des informations génétiques contenues dans les neurones, qui disparaissent et ne sont pas remplacées quand il n'y a pas ou plus de neurogenèse. Le rêve servirait donc à passer en revue cette information héréditaire et à la réactiver. Cette hypothèse explique pourquoi le chat qui a subi certaines lésions ne montre pendant son sommeil paradoxal que les comportements typiques de son espèce (léchage, fuite, attaque ... ) . Ce livre peut donner envie de lire : les autres livres de cette rubrique bibliographique. Ou bien encore le livre de Pierre Cheymol: Les Empires du rêve, Corti, Paris, 1994, dont l'ambition encyclopédique permet de bien situer l'entreprise neuropsychologique.
Claude DebruNeurophilosophie du rêve | C'est le livre d'un philosophe, historien des sciences, passionné par le travail de laboratoire de neurobiologie de Michel Jouvet. Claude Debru a passé plusieurs mois auprès du chercheur lyonnais et, grâce à son regard de philosophe -souvent émerveillé -, il a initié une réflexion nouvelle sur le cerveau, la pensée et, singulièrement, le rêve. Ce livre est donc une somme, qui représente ce que le philosophe a dû apprendre pour s'intégrer à l'équipe de Jouvet. On y trouve la description minutieuse de l'ensemble des travaux qui ont précédé ceux de Jouvet, puis l'apport du maître, ses hésitations, ses errements peut-être et ses découvertes. Les études menées sur les chats ont été, on le sait, décisives pour Jouvet et lui ont permis d'élaborer sa théorie tout autant que de caractériser magistralement l'état paradoxal. Une longue partie leur est consacrée, très détaillée. De même, un long développement très documenté explique la neurochimie de la phase paradoxale. Debru nous présente enfin l'état des connaissances en matière d'ontogenèse du sommeil paradoxal, point tout aussi décisif pour la thèse de Jouvet qui fait du rêve un substitut de la neurogenèse. Au total, un livre extrêmement précieux car Claude Debru ne laisse rien dans l'ombre. Un livre aride peut-être mais indispensable: il présente l'ensemble des connaissance en neurobiologie mieux que ne le fait un spécialiste, avec un bien plus grand souci de clarté. Ce livre peut donner envie de lire : les articles de Michel Jouvet et des livres de Georges Canguilhem sur la démarche scientifique, comme Idéologie et rationalité dans l'histoire des sciences de la vie, Vrin, Paris, 1977, ou Etudes d'histoire et de philosophie des sciences, Vrin Paris, 1968.
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