Le rêve chez Honoré de Balzac



 

Le rêve d'Annette Gérard
Une ligne rouge sur le cou


Cependant Annette dormait, et son sommeil, par un effet du hasard, se trouvait empreint de ses pensées de la veille. L'influence qu'un rêve avait sur son esprit nous oblige à le raconter tel qu'il fut, et ainsi qu'elle le raconta souvent par la suite quand elle récapitulait toutes les petites circonstances que nous avons fidèlement rapportées, et qui lui servaient de présages.
Elle rêva, elle qui était si chaste et si pure, et cette partie de son rêve lui donna la souffrance horrible du cauchemar; elle rêva qu'après bien des combats Argow se trouvait à côté d'elle, sur son propre lit virginal, dans cette chambre de Paris que nous avons décrite au commencement de cette histoire. Là, une fois que cet être extraordinaire y était parvenu, elle éprouvait de lui une multitude infinie de soins et de délicatesses, un respect même qui ne semblait pas compatible avec les manières et le caractère qu'on devait supposer à son époux d'après son aspect; car, en effet, elle se rappelait l'avoir épousé, mais cette souvenance, dans son rêve, n'arrivait qu'alors que M. de Durantal franchissait l'obstacle qu'Annette avait élevé entre elle et lui.
Cette jeune fille, poussée par l'influence absurde du rêve, triomphait de sa propre pudeur et de toutes ses idées; enfin, pour vaincre le respect étonnant de ce singulier être, qui voyait en elle une divinité et la traitait comme telle, Annette folâtrait et badinait avec lui; elle jouait, et, en jouant, elle prenait cette tête énorme aux cheveux bouclés et l'appuyait sur son épaule d'albâtre, passait sa main dans la chevelure, et, par ces caresses enfantines et pures, elle semblait l'encourager. Pourquoi ? elle l'ignorait; mais une chose qui la flattait au dernier degré, c'était de voir deux yeux étinceler et se baisser tour à tour.
Ce fut alors que, posant cette tête sur son sein, elle aperçut sur le cou une ligne rouge imperceptible, fine comme la lame d'un couteau, et cette ligne, rouge comme du sang, faisait le tour du cou de son époux, précisément au milieu. À peine ses yeux eurent-ils vu cette marque, qu'une sueur froide la saisit et l'arrêta : comme une statue, elle garda la même attitude; elle voulait parler sans le pouvoir, et une horrible peur la glaçait. Elle s'éveilla dans les mêmes dispositions, tremblante, effrayée, et son coeur battait si fortement qu'il ressemblait, par son bruit, à une voix entrecoupée.
Dans les idées d'Annette, un rêve était un avertissement émané du domaine des esprits purs qui saisissaient l'instant où le corps n'agissait plus sur l'âme pour guider, par des images informes de l'avenir, les êtres que leur amour pour les cieux rendaient dignes de l'attention spéciale de ces esprits intermédiaires qui voltigent entre la terre et le ciel.
Or, ce rêve avait une signification qu'Annette n'osait même pas entendre : elle écoutait, tressaillait; et, dans son appartement faiblement éclairé par sa lampe, elle tâchait de ne rien regarder, parce qu'elle tremblait d'apercevoir cette tête de son rêve, et, par-dessus tout, elle voulait oublier cette ligne de sang. Elle se rendormit pourtant après avoir secoué sa terreur, mais elle revit encore en songe, et dans un songe dénué de toutes les circonstances du premier, cette même tête, scindée par cette même ligne qui semblait marquer son époux d'un horrible sceau.
Les teintes fraîches et pures de l'aurore la trouvèrent encore dans cette même horreur, mais en proie à l'irrésolution et à tout le vague de l'interprétation d'un tel songe.

Honoré de Balzac
Annette et le criminel
France   1824 Genre de texte
roman
Contexte
Ce rêve se situe dans le volume 1, tome 2, fin du chapitre 8. Annette et sa mère, madame Gérard, résident chez madame Servigné en attendant le mariage d'Adélaïde, cousine de l'héroïne. La tension est grande entre les deux familles surtout depuis qu'Annette a rompu ses fiançailles avec son cousin Charles qui a grimpé dans l'échelle sociale de manière un peu obscure. Durant la fête qui suit le mariage, la jeune femme est enlevée par des brigands. Dans la fuite qui s'ensuit, leur chef, Argow, surgit et emmène Annette à travers bois jusqu'au château de Durantal. Elle y passe la nuit pendant laquelle elle fait ce rêve.
Notes
Annette est l'héroïne de cette histoire. Elle se trouvait au mariage de sa cousine lors de son enlèvement par Argow. Argow est un grand criminel qui tombe follement amoureux d'Annette. Il est également le marquis de Durantal, ayant hérité cette propriété de ses parents.
Commentaires
Comme on peut s'en douter, ce rêve aura valeur prémonitoire dans le roman, car Argoww sera finalement arrêté par la police et mené à l'échafaud. En donnant ce rêve à son héroïne, le jeune Balzac se situe donc dans la tradition narrative ancienne, qui aimait «téléphoner ses effets» en annonçant bien à l'avance les événements à venir et se servait souvent pour cela de récits de rêve  .
Texte témoin
Horace de Saint-Aubin, Annette et le criminel ou Suite du vicaire des Ardennes, tome II, Paris, Buissot, 1824, p. 25-28.
Édition originale
Horace de Saint-Aubin [pseudonyme de Balzac], Annette et le criminel ou Suite du vicaire des Ardennes, Paris, Buissot, 1824, 2 vol.
Édition critique
Honoré de Balzac, Annette et le criminel, éd. André Lorant, Paris, Garnier-Flammarion, 1982, p. 135-136.




Le rêve de Jésus-Christ en Flandre

Dans une cathédrale
À force de regarder ces arcades merveilleuses, ces arabesques, ces festons, ces spirales, ces fantaisies sarrasines qui s'entrelaçaient les unes dans les autres, bizarrement éclairées, mes perceptions devinrent confuses. Je me trouvai, comme sur la limite des illusions et de la réalité, pris dans les pièges de l'optique et presque étourdi par la multitude des aspects. Insensiblement ces pierres découpées se voilèrent, je ne les vis plus qu'à travers un nuage formé par une poussière d'or, semblable à celle qui voltige dans les bandes lumineuses tracées par un rayon de soleil dans une chambre. Au sein de cette atmosphère vaporeuse qui rendit toutes les formes indistinctes, la dentelle des roses resplendit tout à coup. Chaque nervure, chaque arête sculptée, le moindre trait s'argenta. Le soleil alluma des feux dans les vitraux dont les riches couleurs scintillèrent. Les colonnes s'agitèrent, leurs chapiteaux s'ébranlèrent doucement. Un tremblement caressant disloqua l'édifice, dont les frises se remuèrent avec de gracieuses précautions. Plusieurs gros piliers eurent des mouvements graves comme est la danse d'une douairière qui, sur la fin d'un bal, complète par complaisance les quadrilles. Quelques colonnes minces et droites se mirent à rire et à sauter, parées de leurs couronnes de trèfles. Des cintres pointus se heurtèrent avec les hautes fenêtres longues et grêles, semblables à ces dames du Moyen Âge qui portaient les armoiries de leurs maisons peintes sur leurs robes d'or. La danse de ces arcades mitrées avec ces élégantes croisées ressemblaient aux luttes d'un tournoi. Bientôt chaque pierre vibra dans l'église, mais sans changer de place. Les orgues parlèrent, et me firent entendre une harmonie divine à laquelle se mêlèrent des voix d'anges, musique inouïe, accompagnée par la sourde basse-taille des cloches dont les tintements annoncèrent que les deux tours colossales se balançaient sur leurs bases carrées. Ce sabbat étrange me sembla la chose la plus naturelle, et je ne m'en étonnai pas après avoir vu Charles X à terre. J'étais moi-même doucement agité comme sur une escarpolette qui me communiquait une sorte de plaisir nerveux, et il me serait impossible d'en donner une idée. Cependant, au milieu de cette chaude bacchanale, le choeur de la cathédrale me parut froid comme si l'hiver y eût régné. J'y vis une multitude de femmes vêtues de blanc, mais immobiles et silencieuses. Quelques encensoirs répandirent une odeur douce qui pénétra mon âme en la réjouissant. Les cierges flamboyèrent. Le lutrin, aussi gai qu'un chantre pris de vin, sauta comme un chapeau chinois. Je compris que la cathédrale tournait sur elle-même avec tant de rapidité que chaque objet semblait y rester à sa place. Le Christ colossal, fixé sur l'autel, me souriait avec une malicieuse bienveillance qui me rendit craintif, je cessai de le regarder pour admirer dans le lointain une bleuâtre vapeur qui se glissa à travers les piliers, en leur imprimant une grâce indescriptible. Enfin plusieurs ravissantes figures de femmes s'agitèrent dans les frises. Les enfants qui soutenaient de grosses colonnes, battirent eux-mêmes des ailes. Je me sentis soulevé par une puissance divine qui me plongea dans une joie infinie, dans une extase molle et douce. J'aurais, je crois, donné ma vie pour prolonger la durée de cette fantasmagorie, quand tout à coup une voix criarde me dit à l'oreille : — Réveille-toi, suis-moi !
Une femme desséchée me prit la main et me communiqua le froid le plus horrible aux nerfs. Ses os se voyaient à travers la peau ridée de sa figure blême et presque verdâtre. Cette petite vieille froide portait une robe noire traînée dans la poussière, et gardait à son cou quelque chose de blanc que je n'osais examiner. Ses yeux fixes, levés vers le ciel, ne laissaient voir que le blanc des prunelles. Elle m'entraînait à travers l'église et marquait son passage par des cendres qui tombaient de sa robe. En marchant, ses os claquèrent comme ceux d'un squelette. À mesure que nous marchions, j'entendais derrière moi le tintement d'une clochette dont les sons pleins d'aigreur retentirent dans mon cerveau, comme ceux d'un harmonica.
— Il faut souffrir, il faut souffrir, me disait-elle.
Nous sortîmes de l'église, et traversâmes les rues les plus fangeuses de la ville; puis, elle me fit entrer dans une maison noire où elle m'attira en criant de sa voix, dont le timbre était fêlé comme celui d'une cloche cassée : — Défends-moi, défends-moi !
Nous montâmes un escalier tortueux. Quand elle eut frappé à une porte obscure, un homme muet, semblable aux familiers de l'inquisition, ouvrit cette porte. Nous nous trouvâmes bientôt dans une chambre tendue de vieilles tapisseries trouées, pleine de vieux linges, de mousselines fanées, de cuivres dorés.
— Voilà d'éternelles richesses ! dit-elle.
Je frémis d'horreur en voyant alors distinctement à la lueur d'une longue torche et de deux cierges, que cette femme devait être récemment sortie d'un cimetière. Elle n'avait pas de cheveux. Je voulus fuir, elle fit mouvoir son bras de squelette et m'entoura d'un cercle de fer armé de pointes. À ce mouvement, un cri poussé par des millions de voix, le hurrah des morts, retentit près de nous !
— Je veux te rendre heureux à jamais, dit-elle. Tu es mon fils !
Nous étions assis devant un foyer dont les cendres étaient froides. Alors la petite vieille me serra la main si fortement que je dus rester là. Je la regardai fixement, et tâchai de deviner l'histoire de sa vie en examinant les nippes au milieu desquelles elle croupissait. Mais existait-elle ? C'était vraiment un mystère. Je voyais bien que jadis elle avait dû être jeune et belle, parée de toutes les grâces de la simplicité, véritable statue grecque au front virginal.
— Ah ! ah ! lui dis-je, maintenant je te reconnais. Malheureuse, pourquoi t'es-tu prostituée aux hommes ? Dans l'âge des passions, devenue riche, tu as oublié ta pure et suave jeunesse, tes dévouements sublimes, tes moeurs innocentes, tes croyances fécondes, et tu as abdiqué ton pouvoir primitif, ta suprématie tout intellectuelle pour les pouvoirs de la chair. Quittant tes vêtements de lin, ta couche de mousse, tes grottes éclairées par de divines lumières tu as étincelé de diamants, de luxe et de luxure. Hardie, fière, voulant tout, obtenant tout et renversant tout sur ton passage, comme une prostituée en vogue qui court au plaisir, tu as été sanguinaire comme une reine hébétée de volonté. Ne te souviens-tu pas d'avoir été souvent stupide par moments ? Puis tout à coup merveilleusement intelligente, à l'exemple de l'Art sortant d'une orgie. Poète, peintre, cantatrice, aimant les cérémonies splendides, tu n'as peut-être protégé les arts que par caprice, et seulement pour dormir sous des lambris magnifiques ? Un jour, fantasque et insolente, toi qui devais être chaste et modeste, n'as-tu pas tout soumis à ta pantoufle, et ne l'as-tu pas jetée sur la tête des souverains qui avaient ici-bas le pouvoir, l'argent et le talent ! Insultant à l'homme et prenant joie à voir jusqu'où allait la bêtise humaine, tantôt tu disais à tes amants de marcher à quatre pattes, de te donner leurs biens, leurs trésors, leurs femmes même, quand elles valaient quelque chose ! Tu as, sans motif, dévoré des millions d'hommes, tu les as jetés comme des nuées sablonneuses de l'Occident sur l'Orient. Tu es descendue des hauteurs de la pensée pour t'asseoir à côté des rois. Femme, au lieu de consoler les hommes, tu les as tourmentés, affligés ! Sûre d'en obtenir, tu demandais du sang ! Tu pouvais cependant te contenter d'un peu de farine, élevée comme tu le fus, à manger des gâteaux et à mettre de l'eau dans ton vin. Originale en tout, tu défendais jadis à tes amants épuisés de manger, et ils ne mangeaient pas. Pourquoi extravaguais-tu jusqu'à vouloir l'impossible ? Semblable à quelque courtisane gâtée par ses adorateurs, pourquoi t'es-tu affolée de niaiseries et n'as-tu pas détrompé les gens qui expliquaient ou justifiaient toutes tes erreurs ? Enfin, tu as eu tes dernières passions ! Terrible comme l'amour d'une femme de quarante ans, tu as rugi ! tu as voulu étreindre l'univers entier dans un dernier embrassement, et l'univers qui t'appartenait t'a échappé. Puis, après les jeunes gens sont venus à tes pieds des vieillards, des impuissants qui t'ont rendue hideuse. Cependant quelques hommes au coup d'oeil d'aigle te disaient d'un regard : — Tu périras sans gloire, parce que tu as trompé, parce que tu as manqué à tes promesses de jeune fille. Au lieu d'être un ange au front de paix et de semer la lumière et le bonheur sur ton passage, tu as été une Messaline aimant le cirque et les débauches, abusant de ton pouvoir. Tu ne peux plus redevenir vierge, il te faudrait un maître. Ton temps arrive. Tu sens déjà la mort. Tes héritiers te croient riche, ils te tueront et ne recueilleront rien. Essaie au moins de jeter tes hardes qui ne sont plus de mode, redeviens ce que tu étais jadis. Mais non ! tu t'es suicidée ! N'est-ce pas là ton histoire ? lui dis-je en finissant, vieille caduque, édentée, froide, maintenant oubliée, et qui passe sans obtenir un regard. Pourquoi vis-tu ? Que fais-tu de ta robe de plaideuse qui n'excite le désir de personne ? où est ta fortune ? pourquoi l'as-tu dissipée ? où sont tes trésors ? qu'as-tu fait de beau ?
À cette demande, la petite vieille se redressa sur ses os, rejeta ses guenilles, grandit, s'éclaira, sourit, sortit de sa chrysalide noire. Puis, comme un papillon nouveau-né, cette création indienne sortit de ses palmes, m'apparut blanche et jeune, vêtue d'une robe de lin. Ses cheveux d'or flottèrent sur ses épaules, ses yeux scintillèrent, un nuage lumineux l'environna, un cercle d'or voltigea sur sa tête, elle fit un geste vers l'espace en agitant une longue épée de feu.
— Vois et crois ! dit-elle.
Tout à coup je vis dans le lointain des milliers de cathédrales, semblables à celles que je venais de quitter, mais ornées de tableaux et de fresques; j'y entendis de ravissants concerts. Autour de ces monuments, des milliers d'hommes se pressaient, comme des fourmis dans leurs fourmilières. Les uns empressés de sauver des livres et de copier des manuscrits, les autres servant les pauvres, presque tous étudiant. Du sein de ces foules innombrables surgissaient des statues colossales, élevées par eux. À la lueur fantastique, projetée par un luminaire aussi grand que le soleil, je lus sur le socle de ces statues : SCIENCES. HISTOIRE. LITTÉRATURES.
La lumière s'éteignit; je me retrouvai devant la jeune fille, qui, graduellement, rentra dans sa froide enveloppe, dans ses guenilles mortuaires, et redevint vieille. Son familier lui apporta un peu de poussier, afin qu'elle renouvelât les cendres de sa chaufferette, car le temps était rude; puis, il lui alluma, à elle qui avait eu des milliers de bougies dans ses palais, une petite veilleuse afin qu'elle pût lire ses prières pendant la nuit.
— On ne croit plus ! ...dit-elle.
Telle était la situation critique dans laquelle je vis la plus belle, la plus vaste, la plus vraie, la plus féconde de toutes les puissances.
— Réveillez-vous, monsieur, l'on va fermer les portes, me dit une voix rauque.
En me retournant, j'aperçus l'horrible figure du donneur d'eau bénite, il m'avait secoué le bras. Je trouvai la cathédrale ensevelie dans l'ombre, comme un homme enveloppé d'un manteau.
— Croire ! me dis-je, c'est vivre ! Je viens de voir passer le convoi d'une Monarchie, il faut défendre l'ÉGLISE !
Paris, février 1831.

Honoré de Balzac
Jésus-Christ en Flandre
France   1831 Genre de texte
roman
Contexte
Ce rêve se situe à la fin de la nouvelle. Quelques personnes, un soir, sont assises dans une barque chargée de les faire traverser la mer de l'île de Cadzant à Ostende, un gros bourg flamand. Juste avant le départ, un homme surgit et demande à monter. Une tempête se lève durant le voyage et les conditions s'aggravent tellement que la barque chavire. L'étranger se lève à travers les flots et dit à ses compagnons : « Ceux qui ont la foi seront sauvés; qu'ils me suivent ! » (p. 605). Dans une chaumière de pêcheur où les survivants se sont réunis, on a construit le couvent de la Merci où le narrateur de cette histoire se trouve en 1830. C'est dans cette église qu'il fera le rêve qui changera sa vie en lui redonnant la foi en Dieu.
Notes
Charles X : roi de France régnant durant la révolution de juillet 1830. Messaline : femme de l'empereur Claude célèbre pour ses débauches et ses crimes.
Texte témoin
Honoré de Balzac, la Comédie humaine : Jésus-Christ en Flandre, vol. 27, Paris, Louis Conard libraire-éditeur, 1910, p. 310-316.
Édition originale
Honoré de Balzac, Romans et contes philosophiques : Jésus-Christ en Flandre, Paris, Gosselin, 1831.
Édition critique
Honoré de Balzac, la Comédie humaine : Jésus-Christ en Flandre, tome IX, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), 1950, p. 261-266. Honoré de Balzac, la Comédie humaine : Jésus-Christ en Flandre, tome II, Paris, Rencontre, 1976, p. 607-613.

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Le rêve de Constance Birotteau

Un cas de dédoublement

Au milieu de ce point d'orgue qui, dans la grande symphonie du tapage parisien, se rencontre vers une heure du matin, la femme de monsieur César Birotteau, marchand parfumeur établi près de la place Vendôme, fut réveillée en sursaut par un épouvantable rêve. La parfumeuse s'était vue double, elle s'était apparu à elle-même en haillons, tournant d'une main sèche et ridée le bec-de-cane de sa propre boutique, où elle se trouvait à la fois et sur le seuil de la porte et sur son fauteuil dans le comptoir; elle se demandait l'aumône, elle s'entendait parler à la porte et au comptoir.
[...]
Je viens de me voir mendiante à ma propre porte, quel avis du ciel ! Dans quelques temps, il ne nous restera que les yeux pour pleurer (p. 199).
[...]
Tu as été juge au tribunal de commerce, tu connais les lois, tu as bien mené ta barque, je te suivrai, César ! Mais je tremblerai jusqu'à ce que je voie notre fortune solidement assise, et Césarine bien mariée. Dieu veuille que mon rêve ne soit pas une prophétie ! (p. 204).
[...]
Oh ! le vilain rêve ! Mon Dieu ! se voir soi-même ! Mais c'est affreux ! (p. 204).

Honoré de Balzac
Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau
France   1837 Genre de texte
roman
Contexte
Ce rêve se situe au Début du premier chapitre de la première partie. Le roman de Balzac débute par le rêve de Constance Birotteau, la femme de César qui est parfumeur dans le premier arrondissement. Ce cauchemar annonce la chute de son mari qui, en tentant de faire prospérer son commerce afin de s'élever dans la sphère sociale, contracte de trop grandes dettes et sombre dans la faillite. Leurs proches, mais surtout Pillerault, l'oncle de Constance, et aussi Anselme Popinot, leur ancien commis et l'amoureux de leur fille Césarine, tenteront de les sauver et resteront toujours à leurs côtés.
Notes
Place Vendôme : place du premier arrondissement de Paris. Bec-de-cane : poignée de la porte.
Texte témoin
Honoré de Balzac, Œuvres complètes : Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau, tome II, Paris, Alexandre Houssiaux, 1866, p. 188-191.
Édition originale
Honoré de Balzac, César Birotteau, Paris, Boulé, 1837, 2 vol.
Édition critique
Honoré de Balzac, la Comédie humaine : Histoire de la grandeur et de la déchéance de César Birotteau, éd. Pierre-Georges Castex, tome VI, Paris, Gallimard, 1977, p. 35-312.

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Les trois premiers rêves d'Ursule Mirouët

Une lettre cachée

Quoique l'opinion publique de la petite ville (1) eût reconnu la parfaite innocence d'Ursule, Ursule se rétablissait lentement (2). Dans cet état de prostration corporelle qui laissait l'âme et l'esprit libres, elle devint le théâtre de phénomènes dont les effets furent d'ailleurs terribles et de nature à occuper la science, si la science avait été mise dans une pareille confidence. Dix jours après la visite de madame de Portenduère (3), Ursule subit un rêve qui présenta les caractères d'une vision surnaturelle autant par les faits moraux que par les circonstances pour ainsi dire physiques. Feu Minoret (4), son parrain, lui apparut et lui fit signe de venir avec lui; elle s'habilla, le suivit au milieu des ténèbres jusque dans la maison de la rue des Bourgeois où elle retrouva les moindres choses comme elles étaient le jour de la mort de son parrain. Le vieillard portait les vêtements qu'il avait sur lui la veille de sa mort, sa figure était pâle, ses mouvements ne rendaient aucun son; néanmoins Ursule entendit parfaitement sa voix, quoique faible et comme répétée par un écho lointain. Le docteur amena sa pupille jusque dans le cabinet du pavillon chinois où il lui fit soulever le marbre du petit meuble de Boulle(5), comme elle l'avait soulevé le jour de sa mort; mais au lieu de n'y rien trouver, elle vit la lettre que son parrain lui recommandait d'aller y prendre; elle la décacheta, la lut ainsi que le testament en faveur de Savinien (6). — Les caractères de l'écriture, dit-elle au curé, brillaient comme s'ils eussent été tracés avec les rayons du soleil, ils me brûlaient les yeux. Quand elle regarda son oncle pour le remercier, elle aperçut sur ses lèvres décolorées un sourire bienveillant. Puis, de sa voix faible et néanmoins claire, le spectre lui montra Minoret (7)écoutant la confidence dans le corridor, allant dévisser la serrure et prenant le paquet de papiers. Puis, de sa main droite, il saisit sa pupille et la contraignit à marcher du pas des morts afin de suivre Minoret jusqu'à la Poste. Ursule traversa la ville, entra à la Poste, dans l'ancienne chambre de Zélie (8), où le spectre lui fit voir le spoliateur décachetant les lettres, les lisant et les brûlant. — Il n'a pu, dit Ursule, allumer que la troisième allumette pour brûler les papiers, et il en a enterré les vestiges dans les cendres. Après, mon parrain m'a ramenée à notre maison et j'ai vu monsieur Minoret-Levrault se glissant dans la bibliothèque, où il a pris, dans le troisième volume des Pandectes (9), les trois inscriptions de chacune douze mille livres de rentes, ainsi que l'argent des arrérages en billets de banque. — Il est, m'a dit alors mon parrain, l'auteur des tourments qui t'ont mise à la porte du tombeau; mais Dieu veut que tu sois heureuse. Tu ne mourras point encore, tu épouseras Savinien ! Si tu m'aimes, si tu aimes Savinien, tu redemanderas ta fortune à mon neveu. Jure-le moi ? En resplendissant comme le Sauveur pendant sa transfiguration, le spectre de Minoret avait alors causé, dans l'état d'oppression où se trouvait Ursule, une telle violence à son âme, qu'elle promit tout ce que voulait son oncle pour faire cesser le cauchemar. Elle s'était réveillée debout, au milieu de sa chambre, la face devant le portrait de son parrain qu'elle y avait mis depuis sa maladie. Elle se recoucha, se rendormit après une vive agitation et se souvint à son réveil de cette singulière vision; mais elle n'osa pas en parler. Son jugement exquis et sa délicatesse s'offensèrent de la révélation d'un rêve dont la fin et la cause étaient ses intérêts pécuniaires, elle l'attribua naturellement à la causerie par laquelle la Bougival l'avait endormie, et où il était question des libéralités de son parrain pour elle et des certitudes que conservait sa nourrice à cet égard. Mais ce rêve revint avec des aggravations qui le lui rendirent excessivement redoutable. La seconde fois, la main glacée de son parrain se posa sur son épaule, et lui causa la plus cruelle douleur, une sensation indéfinissable. — Il faut obéir aux morts ! disait-il d'une voix sépulcrale. Et des larmes, dit-elle, tombaient de ses yeux blancs et vides. La troisième fois, le mort la prit par ses longues nattes et lui fit voir Minoret causant avec Goupil (10) et lui promettant de l'argent s'il emmenait Ursule à Sens. Ursule prit alors le parti d'avouer ces trois rêves à l'abbé Chaperon.
— Monsieur le curé, lui dit-elle un soir, croyez-vous que les morts puissent apparaître ?
— Mon enfant, l'histoire sacrée, l'histoire profane, l'histoire moderne offrent plusieurs témoignages à ce sujet; mais l'Église n'en a jamais fait un article de foi; et, quant à la Science, en France elle s'en moque.
— Que croyez-vous ?
— La puissance de Dieu, mon enfant, est infinie.
— Mon parrain vous a-t-il parlé de ces sortes de choses ?
— Oui, souvent. Il avait entièrement changé d'avis sur ces matières. Sa conversion date du jour, il me l'a dit vingt fois, où dans Paris une femme vous a entendue à Nemours priant pour lui, et a vu le point rouge que vous aviez mis devant le jour de saint Savinien à votre almanach.
Ursule jeta un cri perçant qui fit frémir le prêtre : elle se souvenait de la scène où, de retour à Nemours, son parrain avait lu dans son âme et s'était emparé de son almanach.
— Si cela est, dit-elle, mes visions sont possibles. Mon parrain m'est apparu comme Jésus à ses disciples. Il est dans une enveloppe de lumière jaune, il parle ! Je voulais vous prier de dire une messe pour le repos de son âme et implorer le serours de Dieu afin de faire cesser ces apparitions qui me brisent.
Elle raconta dans les plus grands détails ses trois rêves en insistant sur la profonde vérité des faits, sur la liberté de ses mouvements, sur le somnambulisme d'un être intérieur, qui, dit-elle, se déplaçait sous la conduite du spectre de son oncle avec une excessive facilité. Ce qui surprit étrangement le prêtre, à qui la véracité d'Ursule était connue, fut la description exacte de la chambre autrefois occupée par Zélie Minoret à son établissement de la Poste, où jamais Ursule n'avait pénétré, de laquelle enfin elle n'avait jamais entendu parler.
[...] 11
— Si vous saviez en quelles terreurs je m'endors ! quels regards me lance mon parrain ! La dernière fois il s'accrochait à ma robe pour me voir plus longtemps. Je me suis réveillée le visage tout en pleurs (p. 181).
[...]
Le lendemain, en descendant de l'autel, après sa messe, il [l'abbé Chaperon] fut frappé par une pensée qui prit en lui-même la force d'un éclat de voix; il fit signe à Ursule de l'attendre, et alla chez elle sans avoir déjeuné.
— Mon enfant, lui dit le curé, je veux voir les deux volumes où votre parrain des rêves prétend avoir mis ses inscriptions et ses billets.
Ursule et le curé montèrent à la bibliothèque et y prirent le troisième volume des Pandectes. En l'ouvrant...

Honoré de Balzac
Ursule Mirouët
France   1841 Genre de texte
roman
Contexte
Ces rêves se situent vers la fin de l'ouvrage, fin de la deuxième et dernière partie: « La succession Minoret ». Ursule Mirouët, orpheline, a été recueillie toute jeune par le docteur Minoret. Il l'élève comme sa fille et la désigne comme son héritière. Mourant, il lui indique où trouver son testament mais François Minoret-Levreault, son neveu, entend cette conversation, s'empare du document et hérite de la fortune de son oncle. Ursule se retire donc dans une simple maison et continue sa vie de piété et d'honnêteté. Cependant, son parrain lui apparaît en rêve pour lui faire prendre conscience que l'héritage lui appartenait de droit.
Notes
(1) L'histoire se passe dans le petite ville de Nemours (Seine-et- Marne), 60 km au sud de Paris. (2) Objet de plusieurs machinations de la part de Goupil, toutes orchestrées par Minoret-Levreault, Ursule vient d'être victime d'un scandale public : une sérénade qui lui aurait été offerte par un anonyme « amant ».
(3) Mme de Portenduère est la mère de Savinien. Elle est venue consoler Ursule, gravement malade, affaiblie par ses nombreux déboires.
(4) Feu Denis Minoret : son parrain, mort depuis peu et qui lui avait légué sa fortune.
(5) « Balzac aimait beaucoup les meubles de Boulle (1642-1732).
(6) Savinien de Portenduère : le prétendant d'Ursule.
(7) François Minoret-Levreault, maître de poste : le neveu du parrain. C'est lui qui a volé l'héritage d'Ursule.
(8) Zélie Minoret : la femme de Minoret.
(9) Pandectes : nom grec (« somme ») du recueil latin Digesta sive Pandecta Juris. Dans la bibliothèque du docteur Minoret, l'ouvrage se présente sous la forme d'une série d'in-folio (apparemment en trois tomes).
(10) Goupil : un clerc qui a fait un pacte avec Minoret-Levreault. Ce dernier ne respectant pas ses engagements, Goupil se venge en allant raconter toute la vérité à Savinien, le prétendant d'Ursule.
(11) L'exposé scientifique se poursuit sur plusieurs pages, sous forme de dialogue, dont une réplique d'Ursule, comme on le voit plus bas, nous ramène à son rêve récurrent.
(12) Le lendemain d'une conversation entre le curé et le juge de paix, tous deux convaincus de la culpabilité du maître de poste, n'en cherchant plus que la preuve.
(13) La preuve de la culpabilité du neveu se trouvera en effet sur la page de garde de l'ouvrage où le docteur avait inscrit les numéros des rentes d'État qu'il destinait à Ursule et Savinien.

Texte témoin
Honoré de Balzac, la Comédie humaine. Ursule Mirouët, vol. 15, Paris, Furne, Hetzel et Dubochet et Cie éditeurs, 1843, p. 177-179 et 181.
Édition originale
Honoré de Balzac, Ursule Mirouët, Paris, Le Souverain, 1841.
Édition critique
Honoré de Balzac, la Comédie humaine. Ursule Mirouët, édition de Marcel Bouteron, tome III, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), 1951-1952, p. 451-453 et 455. Honoré de Balzac, la Comédie humaine. Ursule Mirouët, sous la direction de P.-G. Castex, édition de Madeleine Ambrière-Fargeaux, tome III, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), 1976, p. 959-961 et 979.

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Le quatrième rêve d'Ursule Mirouët

Le spectre de son oncle

Cette nuit même, Ursule eut une apparition qui se fit d'une façon étrange. Il lui sembla que son lit était dans le cimetière de Nemours, et que la fosse de son oncle (1) se trouvait au bas de son lit. La pierre blanche où elle lut l'inscription tumulaire lui causa le plus violent éblouissement en s'ouvrant comme la couverture oblongue d'un album. Elle jeta des cris perçants, mais le spectre du docteur se dressa lentement. Elle vit d'abord la tête jaune et les cheveux blancs qui brillaient environnés par une espèce d'auréole. Sous le front nu les yeux étaient comme deux rayons, et il se levait, comme attiré par une force supérieure. Ursule tremblait horriblement dans son enveloppe corporelle, sa chair était comme un vêtement brûlant, et il y avait, dit-elle plus tard, comme une autre elle-même qui s'agitait au dedans. — Grâce, dit-elle, mon parrain ! — Grâce ! il n'est plus temps, dit-il d'une voix de mort selon l'inexplicable expression de la pauvre fille en racontant ce nouveau rêve au curé Chaperon (2). Il a été averti, il n'a pas tenu compte des avis. Les jours de son fils sont comptés. S'il n'a pas tout avoué, tout restitué dans quelque temps, il pleurera son fils, qui va mourir d'une mort horrible et violente. Qu'il le sache ! Le spectre montra une rangée de chiffres (3) qui scintillèrent sur la muraille comme s'ils eussent été écrits avec du feu, et dit : — Voilà son arrêt ! Quand son oncle se recoucha dans sa tombe, Ursule entendit le bruit de la pierre qui retombait, puis dans le lointain un bruit étrange de chevaux et de cris d'homme (4).
Le lendemain, Ursule se trouva sans force. Elle ne put se lever, tant ce rêve l'avait accablée.
[...]
— Vous êtes bien tourmenté, monsieur Minoret (5), dit le prêtre en se montrant au coupable. Vous m'appartenez, car vous souffrez. Malheureusement, je viens sans doute augmenter vos appréhensions. Ursule a eu cette nuit un rêve horrible. Votre oncle a soulevé la pierre de sa tombe pour prophétiser des malheurs dans votre famille. [...] Vous êtes menacé de perdre votre fils. (p. 188)

Honoré de Balzac
Ursule Mirouët
France   1841 Genre de texte
roman
Contexte
Ursule Mirouët, orpheline, a été recueillie toute jeune par le docteur Minoret. Il l'élève comme sa fille et la désigne comme son héritière. Mourant, il lui indique où trouver son testament mais Minoret-Levreault, son neveu, entend cette conversation, s'empare du document et hérite de la fortune de son oncle. Ursule se retire donc dans une simple maison et continue sa vie de piété et d'honnêteté. Cependant, son parrain lui apparaît en rêve pour lui faire prendre conscience que l'héritage lui appartenait de droit.
Notes


(1)Oncle : le docteur Minoret est l'oncle et le parrain d'Ursule. En mourant, il lui léguait sa fortune mais son neveu, François Minoret-Levreault, a tout volé (2) Curé Chaperon : un des hommes qui lutteront beaucoup afin qu'Ursule retrouve son héritage. Il est le confident des rêves de la jeune femme.
(3)Certainement les numéros consécutifs des trois rentes d'État prises « au porteur » pour qu'Ursule les tienne de Sauvinien et dont la clé s'en trouvait explicitement dans le rêve récurrent ou le récit des trois premier rêves d'Ursule, comme le curé le comprendra dans les jours qui viennent. Cf. « Les trois premiers rêves d'Ursule Mirouët ».
 (4)Hennissements et hurlements préfigurant l'accident qui vient d'être prophétisé et dont Désiré Minoret- Levreault sera en effet victime à la toute fin du roman. Entre l'accident et le décès du jeune homme, Ursule est encor le sujet d'une apparition dont elle s'évanouit : « j'ai vu mon parrain à la porte [de l'église où on se rendait prier pour la survie de Désiré], dit-elle, et il m'a fait signe qu'il n'y avait aucun espoir » (Pléiade, éd. 1976, p. 986).
(5) Minoret-Levreault : le neveu du docteur Minoret et voleur de l'héritage d'Ursule.

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Le rêve de l’usurier Cérizet
Vision de bonnes affaires

Cérizet avait donc passé la nuit la plus heureuse; il s'était endormi dans un beau rêve, il se voyait en passe de faire un honnête métier, de devenir bourgeois comme Thuillier, comme Minard, comme tant d'autres. Il renonçait alors à l'acquisition de la maison en construction rue Geoffroy-Marie. Mais il eut un réveil auquel il ne s'attendait point; il trouva la Fortune debout, lui versant à flots ses cornes dorées, dans la personne de Mme Cardinal.

Honoré de Balzac
Les Petits bourgeois
France   1850 Genre de texte
roman
Contexte
Ce rêve se situe vers la fin du roman qui compte 22 chapitres, au chapitre XXI intitulé « Une cliente à Cérizet ». Théodose propose à Cérizet à qui il doit de l’argent de lui faire acquérir la maison Thuillier. Enthousiasmé par la perspective de faire du profit en louant la maison et de vendre son fonds d’usurier, Cérizet fait ce songe.
Notes
Mme Cardinal est une femme avec qui Cérizet fait des affaires.
Texte témoin
La Comédie humaine : t. 8. Études de mœurs : scènes de la vie parisienne, édition publiée sous la direction de Pierre-Georges Castex, Paris, Gallimard, 1977, p. 171-172. 

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Rêve prémonitoire

Bizarreries des songes

Cependant à travers cet océan d'idées, j'ai remarqué dans la voiture un homme dont la vue a produit sur moi un effet singulier. Sa seule présence, son visage, ses manières, qui du reste annoncent un homme d'une classe élevée, m'ont fait concevoir une antipathie très décidée pour lui. Tu sais que nous avons souvent observé ces pressentiments involontaires qui nous préviennent soit pour, soit contre les individus à leur simple aspect. Non, jamais ils ne furent plus forts, plus prononcés chez moi que dans cette circonstance. Ce n'est pas un léger mouvement de l'âme, c'est une aversion complète, que m'inspire la nature comme elle en inspire tant d'autres. Enfin la fatigue me procura un instant de sommeil et je frémis encore en t'écrivant le songe que je fis, bizarre comme tous les songes. J'étais d'abord dans un jardin délicieux nageant dans un torrent de voluptés brûlantes; la gaze la plus légère, qu'un souffle enlève, n'a pas la transparence, le diaphane argenté des objets de ce bocage. J'allais savourer un fruit qui me semblait tellement agréable qu'une eau mensongère inondait mes lèvres sans doute desséchées; cet homme vient et me dispute ma proie; ces sortes de combat sont terribles dans les rêves, ils sont lourds, pesants, comme les gestes que l'on essaye, on croit ressentir des commotions galvaniques; enfin je l'emporte, je dévore mon fruit, et dans le lointain se forme une femme, ou plutôt une sylphe. Le jardin, l'homme, le fruit et la vapeur féminine, tout disparaît avec la rapidité de l'éclair, et je me trouvai face à face avec mon ennemi que je poignardais avec une sorte de plaisir pour éviter la mort qu'il voulait me donner en m'empoisonnant; il était pâle, livide, et du haut d'un tombereau m'ouvrait les dents avec force pour me faire boire la coupe envenimée. A tout cela se mêlaient des cris, des flammes infernales, je respirais un air d’une chaleur intolérable et mon sang coulait à gros bouillons, une femme soulevait mon cadavre, et mille absurdités semblables. A mon réveil, le regard fixe, la pâleur et la contenance de cet homme m'imprimèrent une terreur, ouvrage de mes sens émus; il avait le même geste, le même œil, la même convulsion que dans mon rêve. – Je repris bientôt mon calme stoïque en me raisonnant sur ces faiblesses tout au plus dignes d'une femme; néanmoins, je conservai contre cet individu très innocent, la haine la plus forte qu'on puisse avoir; je l'abhorre sans le connaître, il est pour moi, le serpent qu'un voyageur irrite – dans sa route et dont il voit la tête horrible s'élever contre lui, en sifflant. – Je n'en dirai pas plus sur cet homme : car tu m'accuserais de superstition, ce dont je suis bien éloigné. Cependant tu sais que je suis le champion des songes, * j'ai toujours soutenu contre vous tous, que les rêves n’étaient pas rien dans la Nature qui ne produit jamais rien de rien, ni rien en vain. Et quelle singulière puissance en l'homme que celle de songer : en lui tout sommeille, une mort apparente étend son voile demi-funèbre; car à peine la vie est-elle indiquée, et néanmoins les objets jouent en lui-même, il les meut, il les superpose; en leur absence, il en voit qu'il n'a jamais vus et qu'il verra peut-être un jour. Cette vue interne, ces sens, à posteriori, mis en réserve, agissent et nous offrent les larves, * les lémures * de la vérité, l'ombre de la Nature; on palpe ces fantômes, et cette fumée légère dont les tableaux fugitifs dessinent également l’avenir, le passé, l’infini et rendent des idées sous des formes matérielles. L'âme réagit sur elle-même : que de fois l'on prononce des phrases imaginaires pleines de sens; elle se souvient, elle exerce ses facultés apâlies par le sommeil. C'est une force véritable de plus en l'homme sur laquelle on n'a jamais assez médité. Je m’arrête, j'ai peur de l'homme aux objections (1) avec ses mais et ses si, et ses froids raisonnements; apprends malgré tes car, que je ne serais pas embarrassé pour placer ma croyance dans notre système philosophique, * elle s'y coordonne parfaitement.

Honoré de Balzac
Sténie, ou Les erreurs philosophiques
France   1820 Genre de texte
Roman épistolaire
Contexte
Le rêve se situe dans la toute première lettre de ce roman épistolaire qui prend l’allure d’un texte philosophique. Jacob del Ryès fait des confidences à son grand ami Vanehrs. Dans cette lettre, Jacob raconte son départ de Paris pour aller aux armées. Pendant son voyage, il fait la rencontre d’un homme qui vient le visiter dans son rêve. Plus tard dans le roman, Jacob del Ryès revient à Tours pour retrouver sa sœur de lait, Stéphanie de Formosand, qu’il n’a pas vue depuis près de sept ans. Il la revoit enfin et les deux jeunes gens tombent amoureux. Toutefois, la mère de Stéphanie organise le mariage de sa fille avec M. de Pancksey, ce qui plonge Jacob dans le désespoir. Le rêve annonce le duel entre M. de Plancksey et Jacob, qui tentera tout pour avoir le cœur de sa bien-aimée.
Notes
(1)
Larves: d’après le Dict. infernal de Collin de Plancy, ce sont « les âmes des méchants, que l’on dit errer çà et là pour épouvanter les vivants ». Ce mot est employé par Balzac au sens de fantômes, comme l'indique la suite du texte. Et surtout des songes prémonitoires, comme le prouve le roman de Sténie. Dans Louis Lambert, p. 100-1003, Balzac proposera une interprétation mystique des phénomènes du même ordre, extase, divination, prémonition. Lémures: « génies malfaisants ou âmes des morts damnés qui reviennent tourmenter les vivants, et dans la classe desquels il faut mettre les vampires ».
L'homme aux objections: Vanehrs, son correspondant et ami.
* Il est question de ce « système philosophique » dans Louis Lambert, p. 90, et il était exprimé dans l'hypothétique Traité de la Volonté confisqué par le « terrible Haugoult ». L'idée essentielle de cet ouvrage, c'est que intelligence et volonté sont enchaînées par un lien matériel commun, siège de toute conscience. Quant à la volonté, elle n'est d'après Louis Lambert, p. 90, que « le milieula pensée fait ses évolutions ».
Source dess : Sténie, ou, Les erreurs philosophiques, A. Prioult, Paris : G. Courville, 1936, p. 6-9.

Texte témoin
Honoré de Balzac, Sténie, ou, Les erreurs philosophiques. Texte inédit établi par A. Prioult, Paris : G. Courville, 1936, p. 6-9

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