Rêves lucides et créatifs


Le rêve est une manifestation psychique fugitive de l'inconscient survenant durant notre sommeil et dont nous gardons partiellement le souvenir au réveil. (Pierre Genève : La Science des Rêves, Euredif 1972)

 
On dit que Jérôme Cardan a trouvé la solution de l'équation du troisième degré en rêvant. Giuseppe Tartini aurait composé la "Sonate du Diable" en dormant. Et ce fut lors d'un songe que Jean de La Fontaine imagina la fable des "Deux pigeons".

 
Des inventeurs, et non des moindres, des hommes de science prestigieux ont avoué avoir puisé leur inspiration créatrice dans leur sommeil, au cours d'un rêve.

 
Paul Ehrlich : la structure des cellules; Elias Howe: La machine à coudre; Mendeleïev: sa table de classification des éléments; Von Stradonitz : le Benzol; Otto Loewi, prix Nobel de physiologie, avoua qu'il avait découvert le secret de la transmission chimique de l'influx nerveux en rêve comme Niels Bohr la structure de l'atome, etc.

 
«Que penser de ces récits de songes créateurs qui tendent à accréditer l'idée d'une intelligence - sinon d'un génie - onirique?» se demande Nicolas Witkowski.

 
Guérisons, Inventions, Exploits sportifs grâce au Rêve

Au cours de son enquête sur les opérations cardiaques en vue de la publication de son livre Les Possédés du Cœur, le Dr Antoine Beneroso, rencontra le professeur Christian Barnard, auteur de la première greffe du cœur.

Lors de cette interwiew, le célèbre chirurgien lui confia comment, au cours du mois précédant sa première opération, il assista plusieurs fois en rêve, de bout en bout, avec une très grande précision, à sa prochaine intervention.

Chaque difficulté, chaque instant de découragement, le moindre incident de parcours, une hémorragie imprévue même lui étaient apparus en songe, et Barnard avoua à son confrère que le jour J, il avait opéré son patient en véritable état second, comme si sa main était guidée d'en haut...»

Beneroso ajoute : «Barnard étant alors un jeune chirurgien inconnu, Sud-africain de surcroît, méchamment critiqué par des pontifes jaloux de son exploit, il n'osa aggraver son cas en confiant cette anecdote à la presse.»

 
(Pierre Genève entretien avec le Dr Antoine Beneroso - 1993).

 
Pouvoir créateur des Rêves
Le Rêve de Descartes

Tout potache se souvient de ce fameux troisième rêve, fait le 10 novembre 1619 que raconta Descartes (à la troisième personne) : «Ce qu'il y a de singulier à remarquer, c'est que doutant si ce qu'il venait de voir était songe ou vision, non seulement il décida en dormant que c'était un songe, mais il en fit encore l'interprétation avant que le sommeil le quittât.» De ce rêve résulta le fameux Je pense donc je suis qui aurait pu être avantageusement remplacé par Je rêve donc je crée."

 
Les rêves de Carl Friedrich Burdach
(1776-1847)

Carl Friedrich Burdach, neuro-physiologiste allemand Burdach travaillait à la rédaction de son célèbre traité sur le cerveau, lorsque, dans la nuit du 17 mai 1818, il rêva d'un «plexus céphalique de la cinquième paire de nerfs cérébraux» qui l'intrigua beaucoup. Le 11 octobre suivant, un nouveau songe lui indiqua que la «forme de la "Voûte à trois piliers" était déterminée par celle de la Voûte radiante». Il raconte: «Tout joyeux de la vive lumière que ces rêves me semblaient répandre sur une grande masse de phénomènes vitaux, je m'éveillai, mais aussitôt tout rentra dans l'ombre, parce que ces vues étaient trop en dehors de mes préoccupations et de mes recherches du moment. Pourtant, un peu plus tard, le souvenir de ces deux songes resté assez précis dans ma mémoire, me subjuguèrent littéralement, car ils apportaient à pic la réponse à un problème que je ne parvenais pas à résoudre.»

 

Source : Traité de Physiologie, Burdach

 
Otto Loewi
(1873-1961)

Allan Hobson, psychiatre américain, rapporte une curieuse découverte du prix Nobel de physiologie Otto Loewi: "Au moment même où Freud promulguait sa théorie du rêve, Otto Loewi se débattait depuis des mois à essayer de comprendre un problème qu'il ne parvenait pas à résoudre : pourquoi la stimulation électrique d'un nerf (le nerf vague) avait pour effet de ralentir le coeur [ .... ] Après s'être colleté quelque temps avec son problème expérimental, Loewi se réveille un jour ayant rêvé qu'il avait trouvé la solution. Mais impossible de se rappeler le rêve!"

"La nuit suivante, il va au lit avec la ferme intention de rêver de nouveau à cette expérience cruciale." Et cela marche!

Au réveil, Loewi prépare deux grenouilles, prélève le sang de l'une, dont il a ralenti les battements cardiaques, et l'injecte dans le coeur de l'autre... qui ralentit aussitôt. Loewi vient de découvrir les curieux effets de l'acétylcholine.

 
Témoignage
Le Pouvoir du Rêve

Ann Faraday relate dans Dream Power, le cas d'un gynécologue qui découvre lors d'un rêve comment faire de la main gauche une ligature chirurgicale au fond du pubis.

Soucieux de réussir l'opération délicate qu'il devra assumer le lendemain matin, le Dr John Foster Harrimann voit son sommeil perturbé par un rêve obsédant au cours duquel il découvre avec une grande précision le déroulement de l'intervention chirurgicale prévue.

A un moment donné, comme le film se déroule pour la troisième fois, il constate avec angoisse, qu'il ne parviendra pas à réaliser correctement de la main gauche la ligature chirurgicale nécessitée par l'emplacement du champ opératoire.

Or le Dr Harrimann est gaucher!

Soudain, toujours dans son rêve, il découvre le truc tout bête qui lui permettra d'effectuer sans problème sa ligature.
La sensation de joie qu'il éprouve à ce moment donné le réveille.

Dans la matinée l'opération se passe parfaitement bien, comme dans le rêve du praticien.

(Ann Faraday : Dream Power)

 
Le Rêve du Dr William Dement

En 1975, le Dr William Dement prévoyait qu'un jour notre connaissance du sommeil REM aurait suffisamment progressé pour que nous puissions l'utiliser couramment à des fins thérapeutiques. Pour nous convaincre de cette fantastique possibilité, Dement rapporte ce témoignage:

«Voici quelques années je fumais énormément - plus de deux paquets par jour.

Puis une nuit, je fis un rêve exceptionnellement réaliste et précis, dans lequel j'étais atteint d'un cancer du poumon inopérable. Je me revois comme si c'était hier découvrant l'ombre sinistre sur les radios de ma poitrine, et comprenant que tout le poumon droit était affecté.

L'examen physique à la suite duquel un de mes collègues détectait des métastases jusque dans ma zone axillaire et mes ganglions lymphatiques inguinaux était aussi très net.

Je ressentis l'affreuse angoisse de savoir que ma vie tirait à sa fin, que je ne verrais jamais grandir mes enfants, et que rien de tout cela ne serait arrivé si j'avais abandonné la cigarette la première fois où j'avais entendu parler de son pouvoir cancérigène.

Jamais je n'oublierai la divine surprise, la joie stupéfiante et le soulagement merveilleux que j'éprouvai à mon réveil quand je me rendis compte que tout cela n'avait été qu'un mauvais rêve. Je me sentais ressuscité. Il va sans dire que l'expérience suffit à me faire abandonner le tabac. Ce rêve avait à la fois anticipé un avenir possible sinon probable tout en résolvant le problème d'une manière radicale.

Ce rêve qui me révélait une alternative future épouvantable comme si elle était réelle me convainquit en même temps par son réalisme d'agir immédiatement pour y échapper.

Rares sont ceux qui auraient continué à fumer après un tel rêve!

Dement ajoutait :

Combien de victimes du cancer des poumons auraient pu être sauvées par une anticipation en rêve des conséquences probables de leur attachement à la nicotine ? Mais aussi, combien de fumeurs feraient un tel rêve s'ils avaient le choix ? Combien d'entre nous ont-ils le courage d'affronter les possibilités du futur ?

(D'après Stephen LaBerge : Le Rêve Lucide - Oniros 1991)

 
Mais les plus spectaculaires guérisons réalisées grâce à un diagnostic obtenu au cours de séances de rêves lucides, furent celles attribuées à l'Américain Edgar Cayce dont nous parlons plus loin dans ce Numéro.

 
LE RÊVE LUCIDE

Nombre sont les génies et les auteurs célèbres du passé, qui relatèrent dans leurs souvenirs ou leurs mémoires des exemples où des rêves ont apporté durant leur sommeil la solution d'un problème qui les tracassait. De grands artistes, d'éminents savants, des sportifs de haut niveau, ont ainsi apporté un témoignage précieux illustrant le rôle joué par les rêves dans le processus d'invention et de création.

 

  Mendeleiev :
La table de classification des éléments chimiques

Le chimiste russe Dimitri Mendeleiev (1834-1907) avait travaillé pendant des années à la mise au point de la méthode de classification des éléments selon leur poids atomique qui porte aujourd'hui son nom.

Une nuit de 1869, il se jeta sur son lit, après avoir consacré de longues heures à ce problème et s'endormit totalement épuisé.

Dans son sommeil, Mendeleiev vit en rêve une table sur laquelle tous les éléments se mettaient à leur place de la manière requise.

A son réveil, avant que la vision ne se soit dissipée, il nota fébrilement le tableau qu'il avait vu en songe.

Selon Kedrov, son biographe, Mendeleiev affirma que ce fut de cette manière qu'il inventa sa fameuse table des éléments, découverte fondamentale de la physique moderne, et «qu'une seule correction lui avait paru nécessaire avant sa publication».

 
Elias Howe:
La machine à coudre

Prenons un autre exemple de rêve créatif. L'Américain Elias Howe (1819-1867) était un ouvrier lorsqu'il réinventa après le Français Thimmonnier, une machine à coudre qu'il fit breveter.

Cet homme simple avait travaillé des années durant sur cette idée avant de parvenir au succès.

Lors de ses nombreuses tentatives infructueuses, Howe fabriquait pour sa machine des aiguilles avec un chas au milieu de la tige. Obsédé nuit et jour par cette invention, son cerveau travaillait jusque dans son sommeil.

Une nuit, raconte-t-il, il rêva qu'il avait été capturé dans la brousse africaine par une tribu de sauvages qui l'amenèrent prisonnier devant leur roi.

- Elias Howe, rugit le monarque, je vous ordonne de terminer cette machine immédiatement, sous peine de mort.

Dans son cauchemar, son front se couvrit d'une sueur froide, ses mains tremblèrent de peur, il se mit à claquer des dents, ses genoux s'entrechoquèrent. Quoi qu'il tentât, le dormeur ne pouvait trouver la clef du problème sur lequel il travaillait depuis si longtemps.

Au cours du songe, tout lui semblait si vrai qu'il se mit à pousser de grands cris. Sa vision se peupla de guerriers nus, à la peau sombre et au visage féroce, peints de couleurs vives, qui l'escortaient jusqu'au lieu de son exécution.

Soudain, il remarqua, à la pointe des lances que portaient ses gardes, des trous en forme d'œil. Il venait de trouver le truc, le secret recherché. Ce dont il avait besoin pour le fonctionnement de sa machine, c'était d'une aiguille avec un chas près de la pointe!

Lorsqu'il s'éveilla, il bondit hors de son lit et réalisa aussitôt le dessin de l'aiguille avec le chas entrevu dans son rêve, grâce auquel il put mener à bien le prototype de sa machine à coudre.

(D'après W. Kaempffert A popular history of american Invention).

Les expériences de Howe et de Mendeleiev illustrent excellemment la manière dont semble fonctionner la résolution créative des problèmes au cours de notre sommeil.

 
Les quatre phases de la création

Ce processus se divise en quatre phases: la phase de préparation qui correspond à la quête d'information, à la mise au point du plan de travail.

 
Suit la phase des tâtonnements préliminaires au cours de laquelle diverses approches sont explorées, le plus souvent infructueuses.

 
La phase de l'incubation, s'ouvre quand le chercheur ou le créateur fatigués renoncent par découragement à tenter de résoudre activement le problème.

 
Howe et Mendeleiev étaient manifestement entrés dans cette phase lorsqu'ils se sont endormis en oubliant leur obsession.

 
Puis vient la phase de l'illumination, où la solution surgit spontanément dans leur rêve, apportant la solution instantanée du problème.

 
L'illumination est aussi la phase du processus créatif sur laquelle nous avons le moins de contrôle.

 
Apprentissage du rêve lucide

Stephen LaBerge estime que l'apprentissage du rêve lucide pourrait fournir ce contrôle dès lors que nous disposons dans nos rêves d'un fond de connaissances beaucoup plus vaste que celui que nous possédons à l'état de veille. Ce que Jung appelle notre inconscient collectif.

Il faciliterait à chacun de nous la résolution créative des problèmes nous permettant d'accéder à la phase de l'illumination.

Jusqu'à présent nous n'avions aucun moyen de savoir quand, ou même si, un rêve créatif surviendrait. Grâce au rêve lucide, affirme LaBerge, l'extraordinaire créativité onirique, incertaine jusqu'ici, passerait enfin sous le contrôle de notre conscience.

Il nous donne quelques exemples de cette troublante possibilité.

 
Le rêve du golfeur Jack Nicklaus

Le joueur de golf Jack Nicklaus raconte comment il vit en rêve la solution pour améliorer la performance de son swing qui lui posait problème jusque là.

Après avoir remporté un certain nombre de tournois, il avait connu un long passage à vide; avant de retrouver du jour au lendemain la forme olympique.

«J'avais tout tenté pour découvrir ce qui n'allait pas et j'en étais arrivé au point de considérer un score de 76 comme plutôt bon.

Mais, une nuit, j'ai fait un rêve gratifiant relatif à mon swing. Je jouais plutôt bien, frappais la balle à la perfection, lorsque soudain, je me rendis compte qu'en fait je ne tenais pas mon club comme je le tenais en réalité ces temps derniers.

Alors que je peinais à faire descendre mon bras droit le coude serré contre mon corps, j'y réussissais parfaitement dans mon rêve.

Aussi, hier matin, en arrivant sur le terrain ai-je essayé de tenir mon club comme dans mon rêve, et ça a marché du premier coup.

J'ai réalisé d'emblée un score de 68, puis de 65 aujourd'hui, ce qui représente un net progrès sur le passé. Aussi, même si cela devrait paraître difficile à l'avouer, je sais que je dois cette progression à mon rêve. Je n'ai rien eu de plus à faire que de modifier un peu mon grip.

 
(Dr William Dement : Some Must Watch While Some Must Sleep).

L'aveu de Nicklaus, qui trouve stupide d'admettre que c'est grâce à son rêve qu'il a progressé, laisserait entendre que d'autres personnes ont vécu des expériences similaires sans jamais mentionner leur source d'inspiration.

 
Patinage et Hockey sur glace

Dans une lettre à Stephen LaBerge, une rêveuse affirme avoir amélioré, grâce à un rêve lucide, sa manière de patiner en hockey sur glace.

Tanya Vissevskaïa raconte qu'elle était une patineuse honnête, mais quelque chose en elle lui disait qu'elle végétait, qu'il lui restait beaucoup à améliorer dans sa technique du patinage. Et puis une nuit, en rêve lucide, elle fit l'expérience du «patinage accompli».

«Dans mon rêve, je me trouvais avec mon équipe. Nous disputions une partie de hockey et je patinais comme je l'avais toujours fait, de manière efficace mais hésitante.

C'est alors que je pris conscience que j'étais en train de rêver et, dans cet état de demi sommeil, j'enjoignis à ma volonté de prendre les rênes de ma conscience et me voilà soudain détendue, folle de joie et parfaitement sûre de moi, patinant à la perfection.

Je n'éprouvais plus ni peur ni hésitation; je patinais comme une pro et me sentais aussi libre qu'un oiseau. A mon réveil, j'avais un moral formidable et je me sentais pousser des ailes.»

»Quand je suis retournée à la patinoire, j'ai décidé d'essayer cette technique du lâcher prise. J'ai retrouvé à l'état de veille la qualité de l'expérience onirique.

Me souvenant de la manière dont je m'étais sentie durant mon rêve et je me suis glissée comme une actrice dans son rôle, dans celui de patineuse accomplie. Je me suis lancée alors sur la glace... et mes pieds ont suivi mon cœur.

J'étais libre et légère. Heureuse. Cela se passait il y a environ deux ans et demi. Depuis ce jour, j'ai toujours patiné avec cette même sensation de légèreté, de liberté, d'élégance, et le même phénomène s'est reproduit spontanément pour le patin à roulette et le ski.».

(Stephen LaBerge : Le Rêve Lucide - Oniros 1991)

 
LE RÊVE DANS LA CRÉATION LITTÉRAIRE
 Les faisans de Gœthe

Gœthe, tout enfant déjà, était un grand rêveur. Même plus tard, lorsqu'il aimait à faire figure de réaliste, il racontait à ses amis le rêve symbolique des faisans qu'il eut à un tournant de sa vie et qu'il décrit dans son Voyage en Italie.

Pour en saisir la symbolique et mieux le comprendre, il faut savoir que Gœthe, à l'époque, avait trente-six ans et traversait une crise.

Il désirait fuir la monotone vie bourgeoise qu'il menait à Weimar et d'aller puiser en Italie un renouveau d'inspiration poétique.

Mais laissons-lui la parole:

« Je me trouvais dans un canot qui abordait une île verdoyante, célèbre pour ses admirables faisans. Je m'entendis avec les indigènes qui m'apportèrent quelques dépouilles de ces oiseaux splendides que mon rêve avait idéalisés.

Ils avaient de longues queues chatoyantes, pareilles à celles du paon ou de l'oiseau de paradis.

Les bêtes furent amoncelées dans le canot, les têtes à l'intérieur de l'embarcation. Leurs queues pendaient dans l'eau et scintillaient de mille feux sous les rayons du soleil.

Les oiseaux étaient si nombreux que les rameurs eurent peine à reprendre leur place. C'est ainsi que nous franchîmes les flots et regagnâmes la terre ferme.

Je me réjouissais déjà à l'idée de distribuer les splendides animaux en cadeau à mes amis. Finalement, je me retrouvai dans un vaste port où je me perdis entre les nombreux voiliers pour retrouver l'emplacement réservé à mon canot.»

Un an plus tard, au cours de son voyage en Italie, Gœthe se souvient de son beau rêve de 1785. Les beaux oiseaux entrevus en songe sont pour lui l'image de l'inspiration poétique qu'il était aller chercher en Italie.

Il écrit dans son journal: « Le rêve des faisans commence à se réaliser. Mon inspiration renouvelée est comparable au plumage étincelant de ces oiseaux de rêve et j'en prévois le fécond développement. » Avant d'arriver à Rome, il note: «Je ne souhaite plus rien que d'atterrir au port, dans mon canot plein de faisans, de retrouver mes amis bien portants et pleins de bonne volonté.»

Iphigénie, le Tasse et de nombreux ouvrages que Gœthe écrivit en Italie furent la «cargaison» du canot de faisans. Gœthe, si sensible à tous les secrets de la nature, avait compris le sens symbolique de son rêve. Il lui annonçait une abondante moisson d'impressions poétiques et un renouveau artistique qui se manifesta de 1786 à 1788. Ce fut un Gœthe rajeuni qui revint à Weimar.

 
Samuel Taylor Coleridge
 (1772-1834)

Le poète anglais Samuel Taylor Coleridge raconte qu'un jour il s'endormit à sa table de travail pendant une heure et que plusieurs centaines de vers de son poème Koubla Khan lui apparurent distinctement en rêve.

A son réveil, il saisit une plume, de l'encre et du papier et entreprit la transcription des vers dont il se souvenait avec précision. Mais, au bout d'un quart d'heure il fut interrompu par un visiteur importun et, quand il retourna à son travail, il ne lui resta en mémoire que huit à dix vers épars. "Tout le reste s'était évanoui comme les images à la surface d'une rivière où l'on a jeté une pierre."

 
Heinrich Brugsch-Pacha
 Écriture démotique

L'Égypte antique connut trois sortes d'écriture: hiéroglyphique, hiératique et démotique. La première fut déchiffrée par Champollion.

La seconde, simplification de la première, fut élucidée au XIXe siècle, mais la troisième écriture, l'écriture démotique, modification de la seconde, plus concise, fut la plus difficile à traduire. L'égyptologue Heinrich Brugsch-Pacha y consacra sa vie. Dans son livre Ma vie et mes voyages il parle de ses travaux et se souvient:

«Ce travail me passionnait. Chaque découverte que je faisais me plongeait dans une joie profonde. Mes recherches étaient facilitées par l'immense documentation que j'avais rassemblée au cours de mes nombreux voyages. Je vivais dans un perpétuel enchantement qui influait sur mon système nerveux et provoquait les visions les plus extraordinaires.

L'une d'elles, particulièrement étrange, se reproduisit plusieurs fois. C'est pourquoi je tiens à la décrire.

Je passais des nuits entières devant une inscription pour tâcher d'en fixer la prononciation, pour trouver la signification grammaticale d'un signe ou d'un groupe de mots. Éreinté, je m'allongeai un soir sur le lit qui se trouvait dans mon cabinet de travail et m'endormis profondément.

Je continuai alors mes recherches en rêve et trouvai subitement la solution tant cherchée. Je sautai à bas de mon lit et l'écrivis sur une feuille de papier, puis me recouchai pour dormir jusqu'au matin.

«Je fus fort étonné, en m'éveillant, de trouver devant moi un papier sur lequel était clairement notée la solution de l'énigme.

Je me rappelais bien le rêve, mais me demandai en vain comment j'avais pu écrire des phrases entières, parfaitement lisibles, dans la plus complète obscurité. »

 
Solutions de problèmes pratiques durant notre sommeil

Parfois, les problèmes que nous nous posons durant la journée et que nous ne parvenons pas à résoudre en état de veille trouvent leur solution pendant notre sommeil, en état de rêve!

Certains chercheurs ont constaté que l'interruption d'un travail intellectuel provoque souvent, au cours du sommeil, des images qui aident le dormeur à trouver la solution de problèmes ardus.

Malheureusement, on ne se rappelle pas au réveil ce qu'on a rêvé durant la nuit. L'atmosphère du rêve frappe plus la mémoire que les faits du rêve proprement dit.

Celui qui se rappellerait ces faits dans tous leurs détails pourrait en tirer un immense profit. L'exemple suivant, rapporté par Moufang et Stevens, en fait foi.

L'anecdote, soigneusement vérifiée, fut publiée par F.W.H. Myers, dans son livre, La Personnalité humaine.

Un homme, particulièrement tracassé par une erreur de comptabilité qu'il ne parvenait pas à trouver, finit par lassitude à abandonner ses recherches.

Il savait néanmoins que l'erreur devait se cacher dans les comptes du dernier mois de septembre.

Il avait cessé d'y penser depuis quelque temps lorsque, au cours d'une nuit de décembre, il découvrit tout naturellement en rêve l'erreur tant cherchée, due à une transcription erronée. Tout en dormant, l'homme prit machinalement une feuille de papier et un crayon et nota l'erreur pour pouvoir tranquillement la rectifier plus tard. Puis son rêve s'évanouit brusquement.

En se réveillant, il avait complètement oublié son rêve et très occupé par son travail, il ne pensa plus du tout à ce problème.

L'après midi, il rentra chez lui, se déshabilla et se rasa. Voulant nettoyer son rasoir, il prit un bout de papier qui traînait sur la table. Quel ne fut pas son étonnement d'y lire la note écrite la nuit précédente durant son sommeil.

A ce moment précis, son rêve lui revint en mémoire.

«L'effet produit fut si grand, écrit-il, que je retournai immédiatement à mon bureau et parcourus le registre de caisse. Je découvris que j'avais trouvé en dormant l'erreur vainement cherchée.»

Il déclara plus tard: «Je ne me rappelle plus du tout où j'ai trouvé le papier et le crayon pour écrire la note que j'avais certainement rédigée en pleine obscurité. Le crayon n'était pas celui que je porte habituellement sur moi. »

Le côté extraordinaire de l'histoire fut que le comptable dut se lever pendant son sommeil, pour trouver du papier et un crayon malgré l'obscurité, afin de noter où se trouvait l'erreur.

 
Paul Ehrlich (1834-1915)

Le chimiste allemand Justus von Liebig, assistant de Paul Ehrlich, prix Nobel de médecine en 1908, et qui travailla longtemps avec le grand savant allemand, raconte que son maître lui avait avoué un jour devoir en partie une de ses grandes découvertes, celle de la théorie des cellules, à une vision vécue dans son sommeil.

Après avoir longtemps travaillé sur le problème de la cellule et de sa protection, Ehrlich fit une nuit un rêve étrange au cours duquel lui apparut l'image qui concrétisa la solution du problème cherché.

Étudiant avec le japonais Hata, sans grand résultat jusque là, les anticorps secrétés par l'organisme capables de le protéger contre les affections microbiennes, ce fut également en songe qu'il imagina la combinaison des arsénobenzènes capables de vaincre la syphilis.

 
Niels Bohr (1885-1962)

Niels Bohr, le savant connu pour la théorie atomique, qui porte son nom, eut, lui aussi, un rêve étrange, alors qu'il était encore étudiant.

Il cherchait, depuis quelque temps la solution d'un problème de physique théorique, lorsqu'il s'endormit et se vit soudain transporté en rêve sur un Soleil de gaz brûlant, d'où il pouvait observer la Terre.

Des planètes passaient rapidement devant le Soleil. Reliées à celui-ci par de minces filaments elles tournaient à toute vitesse autour de lui.

Soudain, le corps gazeux sur lequel il croyait se trouver se solidifia tandis que le Soleil et les planètes se réduisirent comme une peau de chagrin. Les planètes se mirent à tourner de plus en plus vite autour du Soleil atteignant une vitesse prodigieuse.

C'est ainsi que, selon le célèbre savant, fut imaginée en rêve sa théorie de la structure de l'atome qui en révolutionna les conceptions classiques.

 
Karl Duisburg (1889-?)

Un autre savant, chimiste de formation, Karl Duisburg, attaché aux laboratoires de la célèbre firme Bayer, fut l'inventeur d'un grand nombre de matières colorantes et de combinaisons chimiques.

Il eut lui aussi, une nuit, selon Wilhelm Moufang et William O. Stevens un rêve très significatif. Il se voyait en train de réaliser selon un processus nouveau et une formulation très précise, une matière colorante bleue, très originale et très belle, lorsqu'un ami le réveilla à l'improviste.

L'image de son rêve s'estompa lentement mais il eut le temps de noter les ingrédients et d'écrire la formule.

Dès le lendemain, sans hésitation, se référant au processus imaginé dans son rêve, il commença une série d'expériences précises couronnées de succès, élaborant les solutions chimiques entrevues durant son sommeil.

C'est ainsi que Karl Duisburg découvrit une nouvelle matière colorante dont l'exploitation rapporta des millions de marks à sa firme et lui valut la célébrité. (Le Mystère des Rêves - Encyclopédie Planète)

 
Auguste Kekulé von Stradonitz
(1829-1896)

La contribution à la science du chimiste Auguste Kekulé von Stradonitz, élève de Liebig, fut immense.

Ce fut pendant un rêve qu'il fit une découverte capitale. Il raconta lui-même cette anecdote dans un discours prononcé à l'occasion du jubilé de sa découverte de la théorie du benzol.

« Lors d'un séjour prolongé que je fis à Londres, je passai plusieurs soirées à Islington, chez un ami, nous entretenant généralement de problèmes de chimie.

»Un soir d'été que je somnolais sur l'impériale de l'omnibus qui me ramenait chez moi, je vis défiler devant mes yeux une surprenante combinaison d'atomes.

J'avais souvent imaginé des atomes en mouvement, mais je n'étais jamais parvenu à définir exactement ce mouvement.

»Le soir en question, je vis nettement comment, de toutes parts, les atomes s'unissaient en couples qui s'assemblaient en groupes plus importants, eux-mêmes attirés par des formations plus puissantes encore, et tous ces corpuscules tourbillonnaient très distinctement devant moi en une sarabande effrénée.

»De retour chez moi, je passai une partie de la nuit à transcrire très exactement la vision de mon rêve. La théorie de la structure atomique était trouvée.

 
Benzol

»Il en fut de même pour la théorie du benzol. Pendant mon séjour à Gand, j'habitais dans la rue principale.

»Mon cabinet de travail, donnant sur une impasse, était sombre. C'est là qu'un jour, au cours d'une somnolence, je vis de nouveau les atomes jongler devant mes yeux.

»Mais cette fois, les petits groupes se tenaient discrètement à l'écart. Habitué à de telles images, mon cerveau distingua alors des groupes plus importants de formations variées.

»De longues rangées étroitement combinées tournoyaient progressant par des reptations lentes. Je vis bientôt l'un des serpents saisir sa propre queue et cette création se mit à tournoyer devant mes yeux.

»Je fus réveillé comme par un éclair. Cette fois encore, je passai le restant de la nuit à étudier les conséquences de l'image du rêve. »

 
Le domaine du rêve contient une grande partie de notre vie spirituelle en germe, que peuvent développer de rares esprits doués et ouverts à la nouveauté.

Ceux-ci se servent de l'idée mystérieuse et la transforment en action vivante. Pour Kekulé von Stradonitz, le rêve se présente lorsque le savant somnole, d'abord sur l'impériale de l'omnibus, ensuite dans la pénombre de son cabinet de travail.

Ces rêves appartiennent probablement à la catégorie de « rêves entre la veille et le sommeil ». Ce sont des rêves perçus à l'état de somnolence.

Les expériences de Kekulé von Stradonitz s'apparentent à la transe et si elles ressemblent à la somnolence par la légèreté du sommeil comportemental elles s'apparentent aussi à l'éveil d'au-delà le rêve, à l'illumination mentale.

 
Nicolas Witkowski raconte la même histoire à sa façon:

 
«Je tournai ma chaise vers le feu et tombai dans un demi-sommeil. De nouveau, les atomes s'agitèrent devant mes yeux [...] De longues chaînes, souvent associées de façon plus serrée, étaient toutes en mouvement, s'entrelaçant et se tortillant comme des serpents. Mais attention, qu'était-ce que cela ? Un des serpents avait saisi sa propre queue, et cette forme tournoyait de façon ironique devant mes yeux. Je m'éveillai en un éclair [...]»

August Kekulé von Stradonitz, fondateur de la chimie du carbone, ou chimie organique, était non seulement un grand rêveur, mais aussi un récidiviste. Déjà, en 1858, la structure des molécules organiques lui était venue en rêvassant. En 1865, c'est en somnolant devant un feu qu'il "voit" la structure molécuaire cyclique, du benzène telle une chaîne d'atomes de carbone se refermant sur elle-même, "comme un serpent se mordant la queue ". Il en déduisit la structure de la molécule de benzène six atomes de carbone disposés en cercle.

«On comprend mal, nous dit Nicolas Witkowski, que les universités allemandes n'aient pas aussitôt institué des cours obligatoires de sieste créative - avec travaux pratiques puisque apparemment la découverte onirique réclame un certain entraînement.»

Kekulé s'est cependant bien gardé de parler de son rêve au moment de sa découverte. Il ne l'a fait que trente-cinq ans plus tard, lors d'un banquet donné en son honneur. Sage précaution. Sans cela, sa glorieuse carrière aurait très certainement pris une toute autre direction...

«Apprenons à rêver concluait-il, mais gardons-nous de rendre publics nos rêves avant qu'ils n'aient été mis à l'épreuve par notre esprit bien éveillé.»

 
SOURCES :
Le Mystère des Rêves
de Wilhelm Moufang et William O. Stevens
in Encyclopédie Planète
sous la direction de Louis Pauwels).
 
Nicolas Witkowski
directeur de la collection Points Sciences au Seuil

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