Histoire d'Oedipe
Laïos est roi de Thèbes. Marié à Jocaste, il a un enfant. Les oracles annoncent que cet enfant, quand il aura grandi, tuera son père et épousera sa mère. Evidemment, Laïos n'est pas d'accord et décide de tuer l'enfant. Il confie cela à un guerrier qui, au lieu de le tuer, va le perdre dans la forêt. L'enfant, les chevilles percées et attachées par une corde à un arbre provoque la pitié d'un couple de bergers qui le recueille et le confie à Polybe, le roi de Corinthe. Il reçoit alors le nom d'Oedipe qui, en grec, signifie "pieds gonflés". A la puberté, il va à la ville de Thèbes, sans savoir qui il est. Il rencontre un vieillard (le roi de Thèbes, son père) qui, pour ne lui avoir pas laissé le passage, le combat. Oedipe le tue. A l'entrée de la ville, il rencontre le sphinx femelle défenseur de la cité, la terrorisant même complètement : elle a l'habitude de poser des énigmes aux habitants qui ne doivent la vie sauve qu'à une bonne réponse. Jusque là personne n'a pu répondre à ses énigmes. Le sphinx pose la devinette suivante à Oedipe : "Quel est l'animal qui marche à 4 pattes le matin, à 2 pattes à midi et à 3 pattes le soir ?" Oedipe trouve la réponse ("l'homme") et rentre en héros à Thèbes. La ville lui propose de monter sur le trône, puisque la place est libre. Il épouse Jocaste, en a des enfants et durant 15 ans vit le bonheur. Puis la peste ravage la ville qui demande pourquoi à l'oracle : "la peste est la punition des Dieux vis à vis d'un parricide et d'un inceste". Oedipe découvre qu'il s'agit de lui. Il se crève les yeux de désespoir, Jocaste se pend. Antigone sa fille l'accompagne hors de la ville qui l'a chassé. Ils partent tous les deux trouver asile à Athènes.
Le complexe d'Oedipe
"La psychanalyse nous a appris à apprécier de plus en plus l'importance fondamentale du complexe d'Oedipe et nous pouvons dire que ce qui sépare adversaires et partisans de la psychanalyse, c'est l'importance que ces derniers attachent à ce fait" - Sigmund Freud -
Le mot "complexe" vient du latin et signifie originellement "composé de divers éléments hétérogènes". Employé par Breuer dans les "Études sur l'Hystérie", il acquiert, par assimilation au terme allemand "komplex", le sens de "ce qui est compliqué".
L'histoire du complexe d'Oedipe est associée à la théorie freudienne ainsi qu'à l'histoire de la psychanalyse dans son ensemble. En ce qui concerne le développement d'un enfant, la psychanalyse identifie trois étapes fondamentales: le Stade Oral, le Stade Anal et le Stade Phallique. C'est lors du Stade Phallique que survient chez le garçon le complexe d'Oedipe (complexe d'Électre chez la fille). Le complexe d'Oedipe est un ensemble organisé (et structurant) de désirs amoureux et hostiles que l'enfant éprouve à l'égard de ses parents. Sous sa forme dite positive, le complexe se présente comme dans l'histoire d'Oedipe: désir de la mort de ce rival qu'est le personnage du même sexe et désir sexuel pour le personnage du sexe opposé. Sous sa forme négative, il se présente à l'inverse: amour pour le parent du même sexe et haine et jalousie envers le parent de sexe opposé.
En fait ces deux formes se retrouvent à des degrés divers dans la forme dite complète du complexe d'Oedipe. Freud situe le complexe d'Oedipe dans la période entre trois et cinq ans. Il joue un rôle fondamental dans la structuration de la personnalité et dans l'orientation du désir humain. Très tôt Freud pose les bases théoriques du complexe d'Oedipe comme étant le désir pour le parent de l'autre sexe et l'hostilité pour le parent du même sexe. Il le nomme d'abord "complexe nucléaire" puis "complexe paternel". En 1910, dans un texte intitulé : "contribution à la psychologie de la vie amoureuse", le terme "complexe d'Oedipe" est utilisé par Freud: "j'ai trouvé en moi comme partout ailleurs, des sentiments d'amour envers ma mère et de jalousie envers mon père, sentiments qui sont je pense, communs à tous les jeunes enfants".
Stade phallique
Jusque-là le père était vécu comme une mère auxiliaire. L’enfant va découvrir que le père a en fait une fonction bien particulière. Il apparaît menaçant, car inconnu, représentant une menace potentielle. L’enfant se rapproche de la mère. Il vient de se rendre compte que le père intéresse beaucoup la mère, et quelquefois malgré ses revendications d’enfant. Cela entraîne une attitude de colère et d’admiration pour ce personnage qui accapare la mère. L’enfant vient de juxtaposer la fonction parentale du père vis à vis de lui, avec la fonction d’amant vis à vis de la mère. C’est un partage difficile que celui qui lui est demandé. L’enfant se trouve plongé dans sa première solitude d’humain. Il se replie vers lui-même.
Découverte du corps
L’enfant se focalise sur un point très important de son corps : ses organes génitaux. Déplacement entre érotisme anal et érotisme urétral. L’enfant découvre que certaines personnes ont un pénis et d’autres n’en ont pas. Il y a donc ainsi ceux qui en ont, et ceux qui n’en ont pas. Toutes les grandes personnes doivent avoir un pénis. Il pose beaucoup de questions sur la procréation, la sexualité, la grossesse, les relations entre les parents… Faute de comprendre les réponses, il répondra à sa manière. Il ne peut pas admettre ce qui ne correspond pas à sa croyance fondamentale. La fécondation est reliée pour lui à ce qu’il connaît déjà, comme l’ingestion d’aliments, le baiser…Pour certains il suffit d’exhiber ses organes génitaux pour avoir un bébé. La naissance est anale, ou par l’ombilic. Ils élaborent aussi le fantasme de la "scène primitive". L’enfant peut avoir été témoin d’un coït des parents, ou seulement imaginer ce qu’il peut se passer quand il est exclus (arrivé à l’âge adulte on retrouve ce ressenti quand, à entendre chuchoter 2 personnes connues, on s’imagine être exclus et persécuté).
Les 4 fantasmes originaires |
Fantasme de la scène primitive; Fantasme de séduction; Fantasme de castration; Fantasme d’abandon. |
Souvent, dans le fantasme de la scène primitive, l’enfant s’identifie à l’un des partenaires. Soit le "passif", soit "l’actif". Il l’interprète alors comme une scène agressive de laquelle résulte pour lui un fantasme d’abandon énorme. Période de cauchemars, de besoin d’affection de la part de la mère… C’est à cette période qu’il demande à dormir dans le lit parental. Naissance du voyeurisme, visuel et auditif. Il recherche les différences anatomiques, il aime montrer son corps et se promener tout nu. Besoin de savoir, il cherche un objet précieux, inaccessible. Ce sont les prémices de la curiosité intellectuelle. L’enfant reste dans un registre très narcissique. Il investit le pénis de plusieurs qualités, entre autres celle de toute-puissance. Avec l’importance qu’il accorde au pénis, survient la peur de le perdre, l’angoisse de castration. De même qu’il a eu peur de perdre la mère, puis les excréments, à ce stade il craint la perte de son pénis.
Il n’y a aucune possibilité d’égalité entre les adultes et l’enfant. Il ne peut y avoir qu’un renversement de rôle, et appropriation des attributs supposés spécifiques à l’adulte (par ex : il met les chaussures de papa, le collier de maman …). Quand l’enfant aura grandi, les parents seront devenus petits à leur tour. Pour l’enfant, la castration est un manque imaginaire, une angoisse d’incomplétude. Cela concerne aussi bien le garçon que la petite fille. L’enfant se demande si l’adulte peut manquer aussi de quelque chose, s’il est vraiment aussi complet que l’enfant l’imagine.
L’angoisse de castration se focalise sur le père, celui-là même qui le rivalise auprès de la mère, celui qui 'force' la mère à le délaisser (quand le père réel est inexistant, le rôle paternel est tenu par tout ce qui sépare la mère de l’enfant, que ce soit le travail dans la journée, un membre de la famille, ou la parole…). La figure paternelle va récupérer à son compte toutes les anciennes frustrations vécues par l’enfant.
- On nomme "angoisse de castration" le phénomène transitoire, bénéfique et structurant;- Le "complexe de castration" est la fixation inconsciente de cette angoisse, future source de souffrances et d’auto-punitions.
Le garçon
Il se sait détenteur du pénis. Cela lui permet de se valoriser, en l'exhibant pour se réassurer. Il s'identifie à son pénis et a très peur de la castration paternelle. Pour lutter contre cette castration, il pourra d'abord refuser psychiquement la réalité : "c'est pas vrai que les filles n'en ont pas; On ne le voit pas mais c'est à l'intérieur". Il pourra aussi penser que le pénis poussera chez les personnes qui n'en ont pas : "il n'y a pas de différences entre les petites filles et les petits garçons". Il pourra enfin voir le manque de pénis comme une punition : "c'est ceux qui le méritent bien qui n'en ont pas".
Le petit garçon résorbera le conflit par l'identification au père.
La fille
Elle sait qu'elle n'en a pas. Mais elle pourra aussi se persuader qu'il suffit d'attendre et qu'il poussera. Revendications phalliques: "je veux faire comme les garçons, je veux grimper aux arbres...". Elle commence ensuite à accepter son manque, mais contre un avantage: possibilité d'avoir des enfants. Elle demandera cet enfant au père (ce dernier est considéré comme séducteur). L'enfant est l'équivalent du pénis, celui-là même qui ressortira dans la tête de la future mère, comme enfant imaginaire qu'elle demande à son propre père: il faut que le deuil ait eu lieu à la naissance pour qu'elle reconnaisse le vrai père (son mari) comme père de l'enfant.
Chez le garçon, comme chez la fille le premier objet d'amour, c'est la Mère...
L'Oedipe vécu par le garçon
Si vers 3 ans sont apparues chez lui des sensations de plaisir liées au pénis, l'enfant prend soudain conscience des relations sexuelles susceptibles de les provoquer. Il assimile ces relations à ce qu'il imagine se passer entre le père et la mère.
Il reste attaché à son premier Objet d'amour, la mère, mais cet attachement n'est pas entier. Il est ambivalent. Il veut la séduire. Il rencontre par là-même la rivalité de son père, qui de modèle devient rival. De cette rivalité surgit la menace fantasmée et angoissante de castration. Hostilité aussi envers la mère qui lui a demandé beaucoup (aux divers stades) contre peu en échange, estime t'il. Rivalité envers le père, jalousie de sa puissance, de ses droits. Il y mêle l'amour, l'attachement: cette affection plus la crainte de la castration fait qu'il vit un "Oedipe inversé" où, paradoxalement, il a des phases durant lesquelles il séduit le père et rejette la mère (créant cette impression de "complicité" entre hommes). Position homosexuelle. Être en bons termes avec le père atténue indéniablement la peur de castration. C'est l'identification au père qui permettra au garçon de sortir de l'Oedipe. La menace de castration est la sanction du père dans la rivalité qui l'oppose au garçon pour la possession de la mère. S'il veut échapper à cette situation, l'enfant doit renoncer à la satisfaction sexuelle avec sa mère. Le garçon sort du complexe d'Oedipe du fait de la menace de castration. Par identifications à la mère et au père, l'enfant se constituera sa propre personnalité. La part d'identification au père le conduira à chercher comme lui (mais il ne le sait pas encore) une femme hors du cercle familial.
Il y a donc eu d'abord désir Oedipien, tempéré par la menace fantasmatique de castration. L'angoisse est surmontée grâce à l'identification au père, mettant fin à l'Oedipe.
L'Oedipe vécu par la fille
Chez la fille comme chez le garçon, la mère est le premier Objet d'investissement libidinal. Mais à l'inverse du garçon, c'est l'angoisse de castration qui fait entrer la fille dans le processus Oedipien. Il y a changement d'Objet d'amour. L'ambivalence de la fille vis à vis de la mère est plus accentuée que celle du garçon vis à vis du père (plus tard, les rapports entre femmes seront toujours plus compliqués, tandis que ceux entre hommes seront plus simples). L'agressivité de la fille vis à vis de la mère s'est élaborée au cours des expériences de sevrage, permettant plus facilement l'Oedipe inversé. En même temps que le désir de posséder un pénis, apparaît le rejet de la mère "castrée". Puis cela se transforme en rejet du désir d'avoir un pénis comme le père, évoluant ensuite en désir d'avoir un enfant du père à la place de ce pénis qu'elle n'a pas. La mère est alors une rivale et un Objet d'identification. Phénomènes plus compliqués, plus forts. Sentiments très mitigés vis à vis de la mère, présence de culpabilité. L'Oedipe traîne plus longtemps car il n'y a aucune menace extérieure pour l'obliger à arrêter la séduction vers le père. Elle renoncera par identification à la mère, lui permettant enfin d'habiter sa personnalité féminine.
Chez la fille, le complexe d'Oedipe ne disparaît jamais tout à fait et ses effets se feront sentir dans toute sa vie de femme. L'enfant Oedipien (enfant imaginaire) est un fantasme qui restera très longtemps chez elle. La sortie de l'Oedipe demeure en effet problématique, risquant de plonger la fille soit dans une revendication infinie d'amoureuse blessée, soit dans un renoncement mortifère ou encore de la renvoyer à ses premiers amours pour la mère.
On notera que pour le garçon, l'angoisse de castration le conduit à mettre fin au complexe d'Oedipe. Il constitue donc en quelque sorte, un point d'aboutissement. Chez la fille au contraire, l'angoisse de castration constitue une sorte de point de départ.
On notera que pour le garçon, l'angoisse de castration le conduit à mettre fin au complexe d'Oedipe. Il constitue donc en quelque sorte, un point d'aboutissement. Chez la fille au contraire, l'angoisse de castration constitue une sorte de point de départ.
Nota : on appelle angoisse de castration tout ce qui est de l'ordre du manque.
La fonction symbolique de l'Oedipe
Le désir : il se différencie du besoin en ce qu'il n'est jamais véritablement assouvi. On ne sait d'ailleurs jamais comment y répondre. L'enfant désire être tout pour sa mère: il cherchera quel peut être le manque de la mère pour le combler. Son désir est d'être le désir de la mère. Ce manque fondamental est, au niveau symbolique, le phallus. Désir originaire: fusionner avec la mère.
Cas pathologique : si la mère répond entièrement à cette demande, l'enfant devient Objet de la mère. Il ne sera jamais sujet. C'est l'entrée dans la psychose.
La Loi du Père : le père sera ici le médiateur. Il interviendra comme privateur, séparant l'enfant de la mère. Il interdit à l'enfant de fusionner avec la mère: "tu ne coucheras pas avec ta mère!". C'est l'interdit de l'inceste. Le père retient la mère de s'approprier son enfant. Cet interdit s'appelle: la "Loi du Père". Pour que ceci s'effectue, il faut que la fonction du père soit reconnue par la mère, puis par l'enfant. La place de séparateur doit donc exister déjà dans l'esprit de la mère. Le père pourra être tyrannique, soumis, volage ou fidèle, il faudra néanmoins que la mère le reconnaisse comme séparateur (et non comme géniteur). Cette fonction paternelle doit exister dans l'esprit de la mère dés le début. L'enfant lui, ne la découvrira qu'au moment de l'Oedipe.
L'enfant passe du statut de celui-qui-est le Phallus de la mère à celui-qui-veut-l'avoir. Il renonce ainsi à son désir: c'est une castration symbolique. Son désir véritable va être repoussé dans l'inconscient (refoulement originaire). Il assume ici un sacrifice. Cet interdit va libérer l'enfant, car désormais séparé de la mère, il pourra disposer de lui-même. Il va s'orienter vers l'avenir et s'engager dans la quête d'objets affectifs de plus en plus éloignés de l'objet initial.
Par l'interdit, l'enfant entre dans la culture. Il devient sociétaire. Il s'incère dans une structure familiale. Il ne peut y avoir coïncidence entre les liens d'alliance et de parenté. Cette loi de limitation préserve la famille, assure les générations contre la compétition continuelle et oblige l'individu à aller chercher ailleurs ses relations. C'est une loi de communication et d'ouverture du clan. L'enfant vit, au moment de l'Oedipe, une puberté psychologique fondamentale pour la conservation de l'ordre culturel. Il passe d'une histoire individuelle à une histoire collective, car il connaît sa juste position dans la société, ses droits et ses limites.
Définition du mot Oedipe (complexe d') : Désir de l'enfant pour son parent du sexe opposé
La « phase orale » constitue l'organisation psychique du premier lien. La nourriture qui passe par la bouche est en effet la première origine de sensualité. Le plaisir produit par les zones érogènes s'étaye sur ce lien vital puis s'en éloigne, par exemple lors des préliminaires sexuels des adultes. On différencie la « phase orale de succion » de la « phase orale de morsure » qui inaugure une manifestation d'agressivité reposant sur l'ambivalence inhérente à la relation d'objet. Pour les kleiniens, le complexe d'Œdipe se manifeste déjà à cette phase orale et son déclin intervient lors de l'avènement de la position dépressive. Ensuite, la « phase anale », allant de 1 à 3 ans environ, est liée au plaisir de contrôler ses voies d’excrétion. « La phase phallique » (ou « génitale infantile »), de 3 à 6 ans environ, est liée à la masturbation. Elle connaît l'émergence puis le conflit œdipien dans sa phase la plus aiguë. La « phase de latence » s'étale ensuite de 6 ans à la pré-adolescence, et correspond au déclin du complexe d'Œdipe par le refoulement des pulsions sexuelles qui sont mises au service de la connaissance (ou « épistémophilie ») qui dure jusqu'à l'adolescence et qui est permise par le processus de sublimation. Là encore, il faut considérer que ce déclin, cette « latence » est toute relative et peut varier selon les individus, les circonstances et les moments du développement. Jacques Lacan distingue quant à lui trois phases, l'œdipe permettant l'accès au symbolique : d'abord l'enfant est l'objet du désir de la mère, à savoir le phallus puis il perd cet avantage par l'interdit de l'inceste, édicté par le père, dès lors l'enfant perd sa relation fusionnelle et privilégiée avec sa mère par une castration symbolique. Enfin l'enfant assume le nom du père et s'identifie à lui.
- Déclin du complexe et forme inversée
Il existe également, note Freud, une forme « inversée » du complexe d'Œdipe. La forme normale du complexe est en effet appelée « positive », à l'opposée de laquelle existe une forme négative appelée inversée. Le garçon voit dans son père non une figure à tuer psychiquement, mais l'objet de ses tendances sexuelles. Le père devient dès lors féminisé. Chez la fille, le schéma existe, se construisant a contrario sur la mère, investie des pulsions sexuelles objectivées. Selon Freud, les deux formes de l'Œdipe constituent le « complexe d'Œdipe complet ».
Complexe d'Œdipe et psychogenèse
- Constitution du Surmoi et vie sociale
Pour Jacques Lacan le concept de « Noms-du-Père » envisage une situation œdipienne précoce, reformulant la vision freudienne du complexe d'Œdipe. Par cette formalisation structurelle, la nature et la fonction du père sont comprises sous l'angle symbolique. Cette métaphore paternelle prend notamment sens dans la théorie lacanienne de la psychose. Elle structure le symbolique et permet le passage de l'Œdipe. Au final, elle joue un rôle dans la constitution du langage chez l'enfant.
- Étiologie des névroses
Divergences dans la théorie œdipienne
Critique du « monisme phallique » de FreudDès sa formalisation, Freud savait que ce modèle était difficile à transposer complètement pour le développement des petites filles. Il a essayé de pallier cette difficulté en aménageant le concept de l'Œdipe pour la fille, que le psychiatre et psychanalyste Carl Gustav Jung appelle par la suite le « complexe d’Électre ». Il la définit comme la tendance compulsive amenant la fille à se tourner vers le père ou une autre image paternelle de substitution et qui est conséquence du complexe de castration pré-pubertaire féminin. Si Freud admet l'existence d'un « complexe d'Œdipe au féminin », il ne lui reconnaît pas une équivalence stricte avec celui dédié au petit garçon. Ce « monisme phallique » postulé par Freud a en effet soulevé de vives protestations, du vivant même du fondateur de la psychanalyse, et en particulier de la part de femmes psychanalystes, comme Ruth Mack Brunswick, Helene Deutsch, Karen Horney ou Melanie Klein. Cette extension au sexe féminin n'a cependant jamais été totalement satisfaisante et aujourd'hui rares sont les analystes qui utilisent ce terme. Freud remarque, dès le début, en 1916 : « On ne saurait dire que le monde fût reconnaissant à la recherche psychanalytique pour sa découverte du complexe d'Œdipe. Cette découverte avait, au contraire, provoqué la résistance la plus acharnée » et ce même au sein de la théorie psychanalytique. La psychanalyste Mélanie Klein par exemple, afin d'équilibrer le concept, a insisté sur le fait que le garçon « envie » le pouvoir des femmes de donner la vie autant que la fille pourrait « envier » le phallus.
Les conséquences du déclin du complexe d'Œdipe sont différentes d'un sexe à l'autre : d'abord il s'agit du renoncement au premier objet d'amour dans les deux sexes. Le garçon se détournera de sa mère pour d'autres femmes mais la fille va, elle, s'orienter vers un objet d'amour hétérosexuel (le père duquel elle devra aussi se détourner pour d'autres hommes). Dans ce strict cadre intrapsychique, les psychanalystes considèrent que l'homosexualité est un avatar du complexe d'Œdipe. Le garçon se fixe au père, la fille à la mère par impossibilité d'intégrer l'angoisse de castration ou, sa conséquence, l'intégration de la double différence. En psychanalyse le « choix d'objet » est inconscient et il n'a rien à voir avec ce qu'on pourrait entendre par un choix d'orientation sexuelle qui serait, lui, conscient ou même délibéré. La confusion entre ces deux champs a motivé nombre de débats reposant sur une incompréhension totale. En 1953, Jacques Lacan tente lui aussi de dépasser le déséquilibre de la théorie œdipienne concernant les filles en interprétant l'Œdipe comme fonction : le père intervient en tant que loi venant rompre la fusion entre la mère et son enfant, fille ou garçon.
- Débats autour de l'origine psychique du complexe
Le psychanalyste Claude Le Guen, dans L'Œdipe originaire (1974), a par ailleurs décrit un « œdipe originaire » correspondant à une première structure triangulaire mettant en jeu le sujet naissant, sa mère et un tiers qui suscite une peur de l'étranger qui expliquerait, au 8e mois chez l'enfant, un tel sentiment pour l'Autre. Un autre psychanalyste, André Green a ainsi poursuivi et complété cette relation à trois actants. Enfin, il existe des organisations non œdipiennes, étudiées de longue date par la psychanalyse, et qui donc remettent en cause partiellement l'universalité du complexe. Ainsi, le vaste champ des structures perverses, des autismes, des psychoses enfin, infantiles ou adultes a été pris comme preuve pour récuser sa centralité dans la constitution de la personnalité. Un autre psychanalyste français, Michel Fain, développe quant à lui la notion de « censure de l'amante », qui rend compte du lien privilégié qui unit la mère à l'enfant et ce avant la constitution de l'Œdipe. Cette relation aboutirait à constituer chez l'enfant un imaginaire fantasmatique qui conditionne ensuite la relation triangulaire œdipienne.
Critiques du complexe d'Œdipe
Depuis les débuts de la psychanalyse jusqu'à ses développements les plus récents, le complexe d'Œdipe a été critiqué. Le psychanalyste Otto Rank le range ainsi derrière le traumatisme de la naissance, alors que le psychiatre Carl Gustav Jung en refuse la primauté. Le désir de la mère dans la vision jungienne n’est en effet pas relatif à l'inceste et n'est pas restreint au seul complexe d'Œdipe. D'autres l'ont ramené à un principe moral limité à la bonne société viennoise, émanant de l'état d'esprit de Freud lui-même alors que Heinz Kohut l'a minimisé au sein de ses théories sur le narcissisme. Il reste avec l'inconscient et les théories sur la sexualité infantile, une des pierres d'achoppement à la fois entre psychanalystes et entre ces derniers et leurs opposants plus ou moins radicaux.Débat sur l’universalité de l’Œdipe
L'universalité de ce complexe, par-delà les différences culturelles, a fait très tôt l'objet de critiques d'ethnologues. Ainsi, l'école culturaliste (Bronisław Malinowski, Margaret Mead et Ruth Benedict) est en opposition directe avec le postulat freudien. Le premier à émettre de telles critiques est Malinowski, à partir d’un programme d'étude mené après la Première Guerre mondiale sur les mœurs sexuelles en Mélanésie, et qu'il synthétise dans son ouvrage La Sexualité et sa répression dans les sociétés primitives (1921). Son observation des populations des îles Trobriand révèle en effet une configuration socio-culturelle qui, fondée sur un mode de parenté matrilinéaire, n’a rien à voir avec celle de la civilisation européenne. Or, puisque le complexe d'Œdipe tel que le décrit Freud suppose une identité entre le père biologique (avec lequel la mère échange un amour que l'enfant jalouse) et la figure autoritaire (qui s'interpose entre l'enfant et la mère), la notion de complexe d'Œdipe semble indissociable d'une forme familiale précise, dite « nucléaire », où le père, la mère et les enfants vivent sous le même toit et dans laquelle le père biologique exerce l'autorité sur l'enfant. Aussi, et contrairement au postulat de Freud, cette forme d'organisation familiale n'a rien d'universelle comme observé par Malinowsky : dans de nombreuses cultures, le dépositaire de l'autorité vis-à-vis de l'enfant n'est pas le père mais est par exemple l'oncle maternel dans les îles Trobriand. De là découle une fragilisation de l'édifice freudien, où il apparaît comme une hérésie de d'associer le partenaire sexuel de la mère et la figure exerçant l'autorité sur l'enfant.Les travaux de Malinowski sont contestés par Géza Róheim, qui entame en 1928 un voyage de quatre ans en Somalie et en Australie, à l'issue duquel il conclut à l’universalité du complexe d’Œdipe dans son article « Psychanalyse des cultures primitives », repris en 1950 dans son ouvrage Psychanalyse et anthropologie, publié ensuite sous le titre Psychanalyse des cultures primitives (1932). Cependant, la façon dont Róheim procède est fortement critiquée par le psychanalyste Wilhelm Reich, dans un appendice qu’il ajoute en 1934 à son livre L'Irruption de la morale sexuelle. Wilhelm Reich lui reproche son manque de rigueur ethnographique et d’avoir inféré gratuitement certaines conclusions à partir de l’étude de rêves d’autochtones peu coopératifs. Il accuse surtout le caractère prédéterminé du projet de Róheim. C’est l'ambition de prouver l’universalité de l'Œdipe qui lui en a fait voir les manifestations partout selon Wilhelm Reich. Ces reproches furent aussi adressés à Ernest Jones, qui tenta de défendre le point de vue de Róheim mais en vain, et sans avoir au préalable intégré, lui non plus, les données ethnographiques.
Claude Lévi-Strauss, dans son ouvrage Les Structures élémentaires de la parenté (1949), soutient que la prohibition de l'inceste est au fondement de toutes les cultures humaines. Pour l'approche psychanalytique, l'existence d'un tel tabou cadre parfaitement avec l'Œdipe
Controverse quant à la réalité de l’Œdipe
- De manière générale, la question de la validité du complexe d'Œdipe continue de nourrir un vif débat dans le contexte social actuel, qui voit se développer en Occident des formes nouvelles de la famille (en particulier la monoparentalité, la famille adoptive, la famille recomposée, l'homoparentalité). De nombreux psychanalystes tentent d'aménager la notion théorique de complexe d'Œdipe aux cas de figure où l'autorité paternelle s'avère absente, intermittente, ou partagée entre plusieurs pères. Se fondant sur la notion d'« entitlement » créée par Freud, le psychanalyste Arnold Rothstein explique par exemple que des enfants en souffrance nourrissent l'illusion d'être toujours en symbiose avec leur mère. Ces cas psychopathologiques semblent ne pas s'inscrire dans le schéma œdipien.
- Dans Mythe et tragédie en Grèce ancienne l'historien et anthropologue français, spécialiste de la Grèce antique, Jean-Pierre Vernant dénonce les contresens et l'anachronisme de l'interprétation psychanalytique du mythe grec ainsi que dans un article de 1967 intitulé « Œdipe sans complexe ». Pour Vernant, Freud synthétise le mythe en un schéma par trop simplificateur. Il n'inscrit pas le mythe d'Œdipe dans la mythologie grecque dans son ensemble. Le raisonnement freudien est donc selon lui un « cercle vicieux », principalement parce que Freud interprète le mythe grec avec une mentalité contemporaine, sans effectuer un travail de contextualisation historique.
- L'ethnologue Claude Lévi-Strauss, pour sa part, trouve pour le moins abusif que Freud fonde l'essentiel de la psychologie humaine sur une « pièce de théâtre de Sophocle », pièce n'ayant pas par ailleurs le côté de mythe fondateur de l'esprit européen (l'individu s'opposant à la Cité), qu'est sa tragédie Antigone. Dans son ouvrage La Potière jalouse (1985), il rédige donc une « contre-explication » parodique où il fait dériver toute cette psychologie d'une pièce d'Eugène Labiche, Un chapeau de paille d'Italie. Cet essai qualifié de « plaisant, mais rigoureux » a été mentionné par plusieurs auteurs, dont Michel Serres, comme étant l'une des critiques les plus constructives de la psychanalyse.
- Dans Folies à Plusieurs (2002) le professeur de littérature Mikkel Borch-Jacobsen prétend que Freud affirme sa théorie œdipienne de façon parfaitement arbitraire, en dehors de tout matériel clinique (si ce n'est celui, particulièrement suspect, fourni par son autoanalyse), afin de trouver une explication ad hoc aux constants récits de séduction paternelle de ses patients. Selon Borch-Jacobsen, ces récits ne sont pas dus à un quelconque œdipe décelé chez les sujets analysés, mais bien plutôt aux suggestions induites par les croyances de Freud lui-même à propos de l'étiologie sexuelle des névroses et des psychoses.
- Dans L'Anti-Œdipe, paru en 1972, le philosophe Gilles Deleuze et le psychanalyste Félix Guattari définissent le désir comme une puissance d'invention, et la psychanalyse comme étant, malgré elle, une entreprise de répression des forces créatives de l'inconscient et de celles potentiellement révolutionnaires du désir, œuvrant à la conservation de l'ordre politique et social. Le complexe d'Œdipe n'est pas, pour Deleuze et Guattari, la forme inconsciente véritable du désir, mais la forme que l'institution psychanalytique impose, via la cure psychanalytique, au désir de ses patients, et en particulier de l'institution bourgeoise et patriarcale. Ils expliquent en quoi le complexe d'Œdipe, loin pour eux de constituer une vérité sur le désir, est un moyen pour les psychanalystes de modeler et de contenir ce dernier, en le réduisant à la structure familiale, pour l'empêcher de se répandre dans le champ social et d'y mettre en œuvre sa puissance révolutionnaire.
Par ailleurs, au sein des Gender Studies, la féministe américaine Judith Butler, tout en reconnaissant l'apport freudien, critique l'unilatéralité sexuelle du complexe d'Œdipe. Dans son ouvrage Gender Trouble (1990) elle critique la conception freudienne d'une bisexualité sans véritable homosexualité telle qu'elle est présentée dans Le moi et le ça
La disparition du complexe d’Œdipe (Sigmund Freud)(1923)"De plus en plus, le complexe d’Œdipe dévoile son importance comme phénomène central de la période sexuelle de la première enfance. Puis il disparaît; il succombe au refoulement comme nous disons et le temps de latence lui succède. Mais on ne sait pas encore clairement pour quelle raison il périt; les analyses semblent nous apprendre que c'est à l'occasion de la survenue de déceptions douloureuses.La petite fille qui veut se considérer comme celle que son père aime le plus subit inévitablement un jour ou l'autre une dure punition de la part de son père et se voit chasser de tous les paradis. Le garçon qui considère sa mère comme sa propriété fait l'expérience que celle-ci détourne de lui son amour et sa sollicitude pour les porter sur un nouveau venu.La réflexion approfondit la valeur de ces influences en ce qu'elle souligne que de telles expériences pénibles qui s'opposent au contenu du complexe sont inévitables. Quand bien même ne surviendraient pas des événements comme ceux que nous avons mentionnés à titre d'exemple, inévitablement l'absence de la satisfaction espérée, l'incessante frustration de l'enfant désiré conduiraient le petit amoureux à se détourner de son penchant sans espoir. Ainsi le complexe d’Œdipe sombrerait du fait de son échec, résultat de son impossibilité interne.On pourrait aussi concevoir que le complexe d’Œdipe doit tomber parce que le temps de sa dissolution est venu tout comme les dents de lait tombent quand poussent les dents définitives. Même si le complexe d’Œdipe est vécu individuellement par le plus grand nombre des êtres humains, il n'en reste pas moins qu'il est un phénomène déterminé par l'hérédité, établi par elle et qui conformément au programme doit passer lorsque commence la phase de développement prédéterminée qui lui succède. Il est alors assez indifférent que cela arrive à telle ou telle occasion ou qu'on n arrive pas du tout à découvrir à quelle occasion.On ne peut contester à ces deux conceptions leur bon droit. Qui plus est, elles s'accommodent l'une de l'autre; il y a place pour la conception ontogénétique à côté de la conception phylogénétique, aux perspectives plus larges. L'individu tout entier, lui aussi, est bien, dès sa naissance, destiné à mourir, et sa constitution organique contient peut-être déjà l'indication de ce dont il mourra. Il n'en reste pas moins intéressant de suivre la façon dont ce programme inné est exécuté, et la manière dont les coups du sort tirent parti de la disposition.Récemment nous sommes devenus capables de mieux percevoir que le développement sexuel de l'enfant progresse jusqu'à une phase dans laquelle l'organe génital a déjà pris le rôle conducteur. Mais cet organe génital est seulement l'organe masculin, plus précisément le pénis, tandis que l'organe féminin n'a pas encore été découvert. Cette phase phallique, qui est en même temps celle du complexe d’Œdipe, ne continue pas de se développer jusqu'à l'organisation génitale définitive, mais elle est engloutie, et relayée par le temps de latence. Toutefois son départ s'accomplit d'une manière typique et en s'étayant sur des événements qui reviennent régulièrement.Lorsque l'enfant (masculin) a tourné son intérêt vers son organe génital, il trahit alors cet intérêt en le manipulant généreusement et doit ensuite faire l'expérience que les adultes ne sont pas d'accord avec ces agissements. Une menace survient plus ou moins clairement, plus ou moins brutalement : on lui dérobera cette partie à laquelle il donne tant de prix. La plupart du temps c'est des femmes qu'émane la menace de castration; il est fréquent qu'elles cherchent à renforcer leur autorité en en appelant au père ou au docteur, qui, assurent-elles, exécutera la punition.Dans un certain nombre de cas les femmes elles-mêmes apportent un adoucissement symbolique à la menace, en annonçant la suppression non pas de l'organe génital, en vérité passif, mais de la main, qui pèche activement.Il arrive très souvent que le petit garçon subisse la menace de castration, non pas parce que de sa main il joue avec son pénis, mais parce que chaque nuit il mouille son lit et qu'on n arrive pas à le rendre propre. Les personnes qui prennent soin de lui se comportent comme si cette incontinence nocturne était la suite et la preuve d'une manipulation par trop empressée de son pénis, ce en quoi elles ont vraisemblablement raison. En tout cas, la persistance de l'habitude de mouiller son lit est à assimiler à la pollution de l'adulte, comme expression de la même excitation génitale qui, à cette époque, a poussé l'enfant à la masturbation.Nous affirmons alors que l'organisation génitale phallique de l'enfant périt lors de cette menace de castration. Du reste, elle ne sombre pas tout de suite et non sans que s'y ajoutent d'autres influences. Car l'enfant tout d'abord n'accorde à la menace aucune croyance ni aucune obéissance.La psychanalyse a donné une nouvelle valeur à deux sortes d'expériences qui ne sont épargnées à aucun enfant et qui devraient le préparer à la perte de parties corporelles très prisées : au retrait d'abord temporaire puis un jour définitif du sein maternel et à la séparation quotidiennement exigée du contenu de l'intestin. Mais rien ne permet d'affirmer que ces expériences entreraient en vigueur à l'occasion de la menace de castration. Ce n'est que lorsqu'une nouvelle expérience a été faite que l'enfant commence à compter avec la possibilité d'une castration, mais là encore en hésitant, à contrecœur et non sans s'efforcer de réduire la portée de sa propre observation.L'observation qui finit par briser l'incroyance de l'enfant est celle de l'organe génital féminin. Il arrive un beau jour que l'enfant, fier de sa possession d'un pénis, a devant les yeux la région génitale d'une petite fille et est forcé de se convaincre du manque d'un pénis chez un être si semblable à lui. De ce fait la perte de son propre pénis est devenue elle aussi une chose qu'on peut se représenter, la menace de castration parvient après coup à faire effet.Il ne faut pas que nous soyons aussi bornés que les personnes qui, chargées du soin de l'enfant, le menacent de castration, et il ne doit pas nous échapper que la vie sexuelle de l'enfant, à cette époque, ne s'épuise nullement dans la masturbation. On peut démontrer que cette vie sexuelle consiste dans l'attitude oedipienne à l'égard des parents et que la masturbation n'est que la décharge génitale de l'excitation sexuelle appartenant au complexe et qu'elle devra à cette relation l'importance qu'elle aura au cours de toutes les époques ultérieures.Le complexe d’Œdipe offrait à l'enfant deux possibilités de satisfaction, l'une active et l'autre passive. Il pouvait, sur le mode masculin, se mettre à la place du père et, comme lui, avoir commerce avec la mère, auquel cas le père était bientôt ressenti comme un obstacle, ou bien il voulait remplacer la mère et se faire aimer par le père, auquel cas la mère devenait superflue. Quant à savoir en quoi consiste le commerce amoureux apportant satisfaction, l'enfant ne pouvait en avoir que des représentations très imprécises; mais ce qui était sur c'est que le pénis jouait un rôle là-dedans comme en témoignaient ses sensations d'organe.Il n'avait pas encore eu l'occasion de douter de l'existence du pénis chez la femme. L'acceptation de la possibilité de la castration, l'idée que la femme est castrée, mettait alors un terme aux deux possibilités de la satisfaction dans le cadre du complexe d’Œdipe. Toutes deux comprenaient, en effet, la perte du pénis l'une, la masculine, comme conséquence de la punition; l'autre, la féminine, comme présupposition.Si la satisfaction amoureuse, sur le terrain du complexe d’Œdipe, doit coûter le pénis, alors on en vient nécessairement au conflit entre l'intérêt narcissique pour cette partie du corps et l'investissement libidinal des objets parentaux. Dans ce conflit, c'est normalement la première de ces forces qui l'emporte; le moi de l'enfant se détourne du complexe d’Œdipe.Dans un autre texte, j'ai expliqué en détail de quelle façon cela se passe. Les investissements d'objet sont abandonnés et remplacés par une identification. L'autorité du père ou des parents, introjectée dans le moi, y forme le noyau du surmoi, lequel emprunte au père la rigueur, perpétue son interdit de l'inceste et ainsi, assure le moi contre le retour de l'investissement libidinal de l'objet. Les tendances libidinales appartenant au complexe d’Œdipe sont en partie désexualisées et sublimées, ce qui vraisemblablement arrive lors de toute transformation en identification, et en partie inhibées quant au but et changées en motions de tendresse.Le procès dans son ensemble a, d'un côté, sauvé l'organe génital, il a détourné de lui le danger de le perdre et, d'un autre côté, Il l'a paralysé, il a supprimé son fonctionnement. Avec lui, commence le temps de latence qui vient interrompre le développement sexuel de l'enfant.Je ne vois aucune raison de refuser le nom de " refoulement au fait que le moi se détourne du complexe d’Œdipe bien que des refoulements ultérieurs se produisent la plupart du temps avec le concours du surmoi, lequel n'est ici qu'en formation. Mais le procès que nous avons décrit est plus qu'un refoulement, il équivaut, si les choses s'accomplissent de manière idéale, à une destruction et à une suppression du complexe. Nous sommes portés à admettre que nous sommes tombés, ici, sur la ligne frontière, jamais tout à fait tranchée, entre le normal et le pathologique. Si vraiment le moi n'est pas parvenu à beaucoup plus qu'à un refoulement du complexe, alors, ce dernier subsiste, inconscient, dans le ça et il manifestera plus tard son effet pathogène.L'observation analytique permet de connaître ou de deviner de telles connexions entre organisation phallique, complexe d’Œdipe, menace de castration, formation du surmoi et période de latence. Elles justifient la thèse selon laquelle le complexe d’Œdipe sombre du fait de la menace de castration. Mais le problème n'est pas réglé pour autant; il y a encore place pour une spéculation théorique qui renverse le résultat acquis ou le place sous un nouveau jour.Mais avant de nous engager dans cette voie nous devons nous tourner vers une question qui a été soulevée pendant nos discussions précédentes et depuis lors a été laissée de côté. Le processus que nous avons décrit se rapporte seulement, comme nous l'avons dit explicitement, a l'enfant masculin. Comment s'accomplit le développement correspondant chez la petite fille?Ici, notre matériel devient - d'une façon incompréhensible - beaucoup plus obscur et lacunaire. Le sexe féminin lui aussi connaît un complexe d’Œdipe, un surmoi et un temps de latence. Peut-on lui attribuer aussi une organisation phallique et un complexe de castration ? La réponse est affirmative mais ce ne peut pas être la même chose que chez le garçon. La réclamation féministe d'une égalité de droits entre les sexes n'a pas ici une grande portée, la différence morphologique devant se manifester dans des différences dans le développement psychique.Pour transposer un mot de Napoléon : l'anatomie c'est le destin. Le clitoris de la fille se comporte d'abord tout à fait comme un pénis, mais l'enfant faisant la comparaison avec un camarade de jeux masculin le perçoit comme "un peu court" et ressent ce fait comme un préjudice et une cause d'infériorité. Elle se console encore un moment avec l'espoir d'obtenir, plus tard, en grandissant, un appendice aussi grand que celui d'un garçon. C'est ici que se branche le complexe de masculinité de la femme.L'enfant ne comprend pas que son manque actuel de pénis est un caractère sexuel, mais elle l'explique par l'hypothèse qu'elle a possédé autrefois un membre tout aussi grand, et qu'elle l'a perdu par castration. Elle ne paraît pas étendre cette conclusion à d'autres, à des femmes adultes, mais elle suppose plutôt que celles-ci possèdent un grand organe génital complet, tout à fait dans le sens de la phase phallique, pour tout dire un organe masculin. Il s'ensuit donc cette différence essentielle : la fille accepte la castration comme un fait déjà accompli, tandis que ce qui cause la crainte du garçon est la possibilité de son accomplissement.S’il faut mettre hors de cause l'angoisse de castration, c'est aussi un motif puissant d'édification du surmoi et de démolition de l'organisation génitale infantile qui fait défaut. Ces modifications paraissent être bien plus que chez le garçon un résultat de l'éducation, de l’intimidation extérieure qui menace de la perte de l'amour. Le complexe d’Œdipe de la fille est bien plus univoque que celui du petit porteur de pénis; d'après mon expérience, il va rarement au-delà de la substitution à la mère et de la position féminine à l'égard du père.Le renoncement au pénis n'est pas supporté sans une tentative de compensation. La fille glisse - on devrait dire le long d'une équation symbolique - du pénis à l'enfant, son complexe d’Œdipe culmine dans le désir longtemps retenu de recevoir en cadeau du père un enfant, de mettre au monde un enfant pour lui. On a l'impression que le complexe d’Œdipe est alors lentement abandonné parce que ce désir n'est jamais accompli. Les deux désirs visant à la possession et d'un pénis et d'un enfant demeurent fortement investis dans l'inconscient et aident à préparer l'être féminin pour son futur rôle sexuel.La force réduite de l'apport sadique à la pulsion sexuelle, que l'on peut bien rapprocher du rabougrissement du pénis, facilite la transformation des tendances directement sexuelles en tendances tendres inhibées quant au but. Mais dans l'ensemble il faut avouer que notre intelligence des processus de développement chez la fille est peu satisfaisante, pleine de lacunes et d'ombres.Je ne doute pas que les relations temporelles et causales que nous décrivons ici entre complexe d’Œdipe, intimidation sexuelle (menace de castration) formation du surmoi et entrée en scène du temps de latence soient d'une espèce typique; mais je ne veux pas affirmer que ce type est le seul possible. Des changements dans la suite temporelle et dans l'enchaînement de ces processus devront être très lourds de signification pour le développement de l'individu.Depuis la publication de l'intéressante étude d'O. Rank sur Le traumatisme de la naissance, on ne peut même pas accepter sans autre discussion le résultat de cette petite recherche, à savoir que le complexe d’Œdipe du garçon périt du fait de l'angoisse de castration. Mais il me semble prématuré d'entrer maintenant dans cette discussion, et peut-être inopportun d'entreprendre ici la critique ou l'éloge de la conception de Rank."
Certains conflits entre parents et enfants suscitent de nombreuses discussions, occupant parfois l'espace médiatique, sans que soient apportés des éléments clairs permettant de les comprendre. Evoquons l'un de ces conflits sans doute un peu trop connu.
Dans le monde freudien, le conflit entre parents et enfants se déroule dans un cadre tout à fait différent. La période critique se situe entre 2 et 5 ans, Freud considérant que le jeune garçon entre en compétition avec son père pour l'accès sexuel à la mère, ce qui induit des menaces de castration de la part du père et, de la part du garçon, des angoisses et des comportements hostiles envers son père (le complexe d'Oedipe), ce qui devrait se résoudre dans les années qui suivent par une renonciation à l'attirance sexuelle envers la mère et par une identification au père. Pour les filles, la situation est globalement symétrique. D'après Freud, le complexe d'Oedipe trouve sa réalité historique dans un paricide originel, et sa portée humaine universelle d'être aux origine de la religion, de la culture et de la prohibition de l'inceste.
L'attirance sexuelle du fils envers sa mère ou de la fille envers son père, entre deux et cinq ans, est difficile à mettre en évidence : les contes pour enfants n'en font pas mention, alors qu'ils abordent toutes les questions et problèmes spécifiques à chaque âge; la tradition culturelle n'en parle pas. Enfin, les parents n'observent rien de spécialement sexuel durant cette période, en dehors de la curiosité qui caractérise les enfants de n'importe quel âge. Plus formellement, les recherches dans plusieurs pays sur les enfants montrent une préférence envers le parent de même sexe, contrairement à l'hypothèse oedipienne; les auteurs concluent "qu'il n'y a aucune indication qui confirme le complexe d'Oedipe comme un processus existant dans la vie familiale ou le développement normal de l'enfant" (Goldman & Goldman 1982).
Le freudisme contourne cette difficulté en considérant que le conflit est seulement intériorisé, sans manifestation extérieure directe, et donc n'est pas directement observable : une nouvelle difficulté surfit là, et il devient alors difficile de soumettre cette manifestion à l'épreuve de la critique scientifique.
Qu'en est-il au moins du parricide originel, acte fondateur, d'après Freud, de la culture et de la religion ? Un parricide existe bien dans la légende grecque d'Oedipe, mais est-ce un thème traditionnel fréquent ? Laissons répondre l'historien des religions Mircea Eliade : "On serait incapable de dénicher un seul exemple d'un père assassiné dans les religions ou les mythologies primitives. Ce mythe [du père assassiné] a été créé par Freud" (Eliade 1973). Difficile d'être plus clair. Freud a inventé le complexe d'Oedipe au début du XX° siècle, époque où il était courant d'expliquer des faits sans prendre en compte leur histoire, ce qui conduisait à proposer des théories ne s'appuyant pas sur une base solide. Les observations sur lesquelles Freud se base sont plutôt des interprétations personnelles présentées dans le cadre d'une construction théoriqiue arbitraire; elles n'ont d'ailleurs pas été confirmées.
Comme ses contemporains, Freud croyait que la culture n'existe pas chez les primates, ce qui l'amenait à penser que l'évitement de l'inceste était inconnu chez les singes. Sur ce point et sur bien d'autres, on sait maintenant qu'il avait tort : chez les chimpanzés, par exemple, les primatologues nosu disent que les femelles réceptives copulent avec pratiquement tous les mâles de la troupe, mais jamais ou rarement avec leur fils adulte, que son père soit présent, absent, mort ou inconnu. L'événement des croisements entre apparentés, entre mères et fils par exemple, a chez les mammifères une explication génétique générale (basée sur la dépression de consanguinité) (Dixson 1998).Freud s'est également trompé de conflit : il y a bien un conflit parent-enfant, mais il porte sur l'investissement parental, et non sur le sexe. Il s'est aussi trompé d'âge : le conflit pour l'investissement parental n'est pas particulièrement cantonné à la période entre deux et cinq ans. Un conflit sexuel entre le père et le fils peut exister, mai plus tard, au moment de l'adolescence, auquel cas l'enjeu ne sera jamais la mère, mais d'autres femmes, en général plus jeunes (Daky & Wilson 1990).
Le complexe d'Oedipe fait maintenant partie de l'histoire des sciences, les chercheurs l'ayant relegué dans mes curiosités du passé, à côté de l'alchimie et autres théories désormais obsolètes. La France fait exception, le complexe d'Oedipe y poursuit une carrière honorable dans le savoir populaire, et il est toujours enseigné par toute une école psychanalytique bien vivante; une remise en question semble poindre, cependant (Meyer 2005, Van den Berghe 1987, Sulloway 1991).
L'alchimie considérait que la matière peut se transformer, ce qui n'est pas faux. Quelques vérités ne sont cependant pas suffisantes pour accréditer une science fondée sur des considérations arbitraires : en faisant le ménage, la chimie est allée naturellemnt bien plus loin. De la même façon, certaines idées du freudisme ne sont pas fausses, mais le cadre explicatif n'a pas d'utilité. Exemple, l'importance accordée à la petite enfance pour déterminer des comportements adultes, sans aucune preuve scientifique. On sait maintenant que la préférence pour tel ou tel partenaire sexuel semble se construire durant l'enfance à partir des caractéristiques des parents. Ainsi, une fille ayant un père âgé dédaignera, une fois adulte, des prétendants trop jeunes; le fils fera de même en préférant pour une relation à long terme, une partenaire proche des caractéristiques de sa mère lorsqu'il était enfant (Perret et al. 2002, Bereczkei et al. 2002).
Il en va de même pour la couleur des yeux et des cheveux (Little et al. 2003). Dans le cas de couple d'ethnicité mixte, les enfants préféreront se marier avec une personne du même groupe ethnique que leur parent du sexe opposé, cet effet persistant lors d'un deuxième mariage (Jedlicka 1980). Comment expliquer cet effet ? Remarquons qu'il n'est pas cantonné à l'homme; on observe la même chose par exemple chez un oiseau australien, le mouton et la chèvre, ce qui limite l'interprétation freudienne (Vos 1995, Kendrick et al. 1998).
Cela fait sans doute partie d'un phénomène plus large d'acquisition d'informations sociales par l'environnement familial, informations utilisées ensuite pour le choix de partenaires; ceci s'observe chez les oiseaux et les ongulés, par exemple (Bateson 1980, Horn 1986). Si le phénomène est bien réel, i la été par contre peu étudié, et sa fonction n'est pas encore complètement élucidée (Wismer Fries et al. 2005, Cantlon & Brannon 2007).