Rêves d'enfants


 

Le fait qu'au cours de la consultation psychologique des personnes parlent souvent d'un de leurs rêves d'enfant, ne nous permet pas de contourner un chapitre par ailleurs inaccesible à l'amateur qui veut lui-même interpréter de tels rêves. Ces personnes remarquent qu'un de ces rêves est revenu à plusieurs reprises. : c'est par exemple une énorme masse gris noir qui fondit sur eux, c'est une grande femme debout à la porte de la chambre à coucher, ou encore une immense masse d'eau qui coule dans la rue. Ils disent aussi avoir souvent participé à un combat ou vu un oiseau merveilleux et multicolore assis sur le rebord de la fenêtre qui se mirait dans le bassin du jardin. Certains de ces rêves ont l'air d'être directement découpés dans un conte.
Vers la troisième année de sa vie, l'enfant commence à être relativement conscient de ce qui se passe. Il racontera qu'au cours de la nuit, il « a vu quelque chose ». Cet événement interne n'est évidemment pas nettement délimité par rapport aux réalités de la journée. A cet âge, sa vie elle-même est un peu conçue comme un rêve, un rêve dans lequel il projettera, une fois parvenu à un certain âge, un intense sentiment de bonheur.
Spitteler raconte dans une vision rétrospective de sa première enfance : «... les paysages des rêves d'adultes ont beau avoir des qualités merveilleuses, les paysages que peignent les rêves d'enfant sont encore bien plus doux et plus délicieux. Les deux premières années de ma vie constituent ma plus belle collection d'images et mon livre de poésies préféré. » Voilà bien un intense sentiment de bonheur projeté sur les rêves d'enfant. Entre trois et sept ans, il arrive que les enfants racontent au matin le rêve de la manière suivante : « J'ai pensé quelque chose de très drôle cette nuit ». Ou bien : « Cette nuit en dormant, quelque chose de merveilleux m'est venu à l'esprit ». Ou encore : « J'ai eu peur cette nuit, mais j'ai quand même dormi. Maman était partie et il y avait à sa place trois vieilles femmes qui me regardaient méchamment. Elles voulaient me donner quelque chose que je devais manger. J'ai refusé, mais je crois que j'ai finalement accepté ». Certains enfants éprouvent évidemment de la difficulté à accepter la vie qui se trouve devant eux, à la digérer. Il n'y a que des peintres et des poètes enfantins pour représenter les Trois Parques sous une forme aussi inofîensive, qui correspond à la qualité de leur propre mentalité.
Ce n'est pas le lieu ici de parler en détail de la psychologie du petit enfant ; celle-ci est déterminée par le fait que le nouveau-né est le plus âgé des êtres humains, car il n'est encore rien d'autre qu'un passé impersonnel — une masse héréditaire et une entéléchie qui commence à l'instant à se réaliser. Il participe encore magiquement à un autre monde qui lui apporte en rêve le symbole d'une vie future tiré d'une inépuisable réserve d'images vivantes.
Remarquons tout de même au sujet des enfants, que ce sont particulièrement ceux d'entre eux qui ont une jeunesse heureuse, qui vivent entre parents s'aimant tendrement, qui sont par ailleurs tourmentés par des rêves pénibles. C'est comme un avertissement, une préparation à ce que peut être l'existence humaine, c'est-à-dire un horrible calvaire, un labeur dont on ne peut venir à bout qu'à force de peur, de sang et de larmes. Voilà ce que l'inconscient peut vouloir leur apprendre. Nietzsche émet l'idée que dans les rêves l'homme s'exerce en vue de situations futures.
L'activité incompréhensible des adultes se reflète souvent d'une façon angoissante dans les rêves d'enfant — qui seront eux aussi un jour des adultes, incompréhensibles dans leur activité et encore plus incompréhensibles dans la façon de supporter leur destin.
Certains rêves d'enfant sont même le reflet d'une future incapacité caractérielle, d'un manque de vitalité ou d'une mort prématurée, événements qui anticipent l'avenir car ils sont exprimés par un savoir venant d'un fondement psychique universel. Nous reviendrons sur ce phénomène à propos d'autres problèmes.
Les rêves d'enfance dont nous nous souvenons encore plus, tard, qui nous apparaissent beaux et étranges dans l'aurore d'une lointaine jeunesse, étaient et sont encore d'une très haute importance. En eux s'est révélée dès le début de la vie — l'expérience pratique le prouve abondamment — l'expression symbolique de tout un plan de vie. En faisant plus tard la comparaison avec les événements, on voit combien souvent l'âme savait à l'avance jusque dans les infimes détails quels seraient la direction, le mode de vie et les difficultés du destin. Ce qui nous avait frappés étant enfants a touché de ce fait des points latents en nous. Il est naturellement difficile de réunir après coup tout le matériel qui a jadis servi au rêve, d'en expliquer tout le contexte dans ses lointaines ramifications. Le fait que les rêves d'enfant contiennent parfois l'expression symbolique de leur vie future ne doit pas inciter les parents et les éducateurs à questionner les petits au sujet de leurs rêves et encore moins à commenter ceux-ci quand ils leur en font part. Mais ils seront certains que leur fiston est en bonne voie lorsque celui-ci leur dit un jour : « Je suis allé dans une forêt. Alors le loup est venu ; j'ai eu très peur. Mais il ne m'a pas mangé, c'est moi qui l'ai mangé. Après ça mon ventre était tout gros ! »
Lorsque des enfants font souvent des rêves d'angoisse, d'incendie ou de cambrioleurs, les parents feront alors bien de se demander, comme nous le dirons plus loin, si leur propre vie est normale, s'il n'y a pas des tensions latentes, de graves conflits de ménage qui influencent l'inconscient de l'enfant. Car l'enfant est véritablement relié à l'inconscient de ses parents, il participe à leur existence sans le savoir, il est un lieu de résonance.
Les enfants qui d'eux-mêmes racontent leurs rêves peuvent montrer aux parents combien ceux-ci se trompent de route, ils peuvent leur donner l'occasion de réexaminer et d'améliorer le contenu et la forme de leur communauté. La psychologue américaine F. G. Wickes écrit : « Le fait qu'un enfant se réveille après un rêve ou raconte celui-ci sans angoisse ni émotion apparentes, est le signe et la preuve que cet enfant se sent à l'aise parmi les siens. » Un tel récit, il faut l'écouter comme une histoire gaie, bizarre ou triste, en montrant selon le cas telle ou telle mimique expressive compréhensible à l'enfant. Lorsque nous pressentirons le sens pénible et douloureux d'un rêve, nous le garderons pour nous, mais nous essaierons de préserver l'enfant des dangers qui l'attendent dans la vie tout en renforçant sa confiance et le sentiment de sa propre force.
L'interlocuteur ne doit jamais faire part à l'enfant des menaces qui le guettent pour ne pas augmenter son angoisse, car son esprit n'est pas mûr, il n'est pas assez fort pour un tel enseignement.
L'interprétation des rêves d'enfant est une entreprise extrêmement délicate même pour celui qui possède les connaissances scientifiques et psychologiques requises. Le mieux est de ne pas y toucher.
Mais adulte, on essaiera de reprendre ses propres rêves d'enfance, d'en comprendre la profonde portée, profonde parce que les rêves sont encore vivants dans notre mémoire. On sera étonné de reconnaître combien de motifs et de problèmes de notre vie ont déjà été indiqués dans de précoces rêves enfantins et sont en gros toujours restés les mêmes. Si les choses allaient bien, nous avions alors pas à pas, de plus en plus consciemment lutté et surmonté ces problèmes pour notre plus grand profit. Peut-être avons-nous reçu la grâce de résoudre ce que la vie nous a donné sous une forme chaotique.

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