Fuite dans la maladie


Fuite dans la maladie

On trouve chez FREUD des expressions comme « fuite dans la psychose » ; « fuite dans la névrose » ; puis celle de « fuite dans la maladie ».

La notion dynamique de « fuite dans la maladie » exprime la même idée que la notion économique de bénéfice de la maladie. Ont-elles exactement la même extension ? Sur ce point, il est difficile de trancher d’autant plus que la distinction, au sein du bénéfice de la maladie, entre une partie primaire et une partie secondaire, n’est pas aisée à établir.

Il semble que FREUD situe la fuite dans la maladie du côté du bénéfice primaire ; mais il arrive que l’expression soit employée dans un sens plus large. Quoi qu’il en soit, elle illustre le fait que le sujet cherche à éviter une situation conflictuelle génératrice de tension, et à trouver, par la formation des symptômes, une réduction de celles-ci.

Selon J.Laplanche et J-B Pontalis ; Vcocabulaire de la psychanalyse. 


En face de certains conflits, la formation de symptômes peut être la
solution la plus commode : le névrosé s’évite le travail intérieur dur et pénible
de renoncer au narcissisme de l’enfance et à la domination du principe de plaisir.
Le retour à l’enfance sous forme de fantasmes et d’accomplissement symbolique
de désirs compense les échecs sur le plan de la réalité. Aussi la psychanalyse
parle-t-elle de « fuite dans la maladie », et même de « bénéfice de la maladie »,
dans la mesure où celle-ci constitue un nouvel équilibre, une protection contre
l’angoisse, une manière de satisfaire la libido. Mais le névrosé a fait une
mauvaise affaire. Les actes symptomatiques sont toujours exécutés avec
aversion et accompagnés d’un sentiment pénible de souffrance : le névrosé sait
qu’ils sont profondément inutiles et pourtant il ne peut s’en passer. Et puis,
n’oublions pas que la production de symptômes absorbe presque toute l’énergie
du malade, qui est incapable de faire face aux exigences ordinaires de la vie. La
guérison de la névrose présuppose que le malade reconnaît cette attitude de
fuite.


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Cinq leçons sur la psychanalyse

Sigmund Freud Traduction par Yves Le Lay compilation de Gemma Paquet

Cinquième leçon

Nature et signification des névroses. La fuite hors de la réalité. Le refuge dans la maladie. La régression. Relations entre les phénomènes Pathologiques et diverses manifestations de la vie normale. L'art. Le transfert. La sublimation.

La découverte de la sexualité infantile et la réduction des symptômes né­vro­tiques à des composantes instinctives érotiques nous ont conduit à quelques formules inattendues sur l'essence et les tendances des névroses. Nous voyons que les hommes tombent malades quand, par suite d'obstacles extérieurs ou d'une adaptation insuffisante, la satisfaction de leurs besoins érotiques leur est refusée dans la réalité. Nous voyons alors qu'ils se réfugient dans la maladie, afin de pouvoir, grâce à elle, obtenir les plaisirs que la vie leur refuse. Nous avons constaté que les symptômes morbides sont une part de l'activité amoureuse de l'individu, ou même sa vie amoureuse tout entière; et s'éloigner de la réalité, c'est la tendance capitale, mais aussi le risque capital de la maladie. Ajoutons que la résistance de nos malades à se guérir ne relève pas d'une cause simple, mais de plusieurs motifs. Ce n'est pas seulement le « moi » du malade qui se refuse énergiquement à abandonner des refoule­ments qui l'aident à se soustraire à ses dispositions originelles; mais les instincts sexuels eux-mêmes ne tiennent nullement à renoncer à la satisfaction que leur procure le substitut fabriqué par la maladie, et tant qu'ils ignorent si la réalité leur fournira quelque chose de meilleur.

La fuite hors de la réalité pénible ne va jamais sans provoquer un certain bien-être, même lorsqu'elle aboutit à cet état que nous appelons maladie parce qu'il est préjudiciable aux conditions générales de l'existence. Elle s'accomplit par voie de régression, en évoquant des phases périmées de la vie sexuelle, qui étaient l'occasion, pour l'individu, de certaines jouissances. La régression a deux aspects : d'une part, elle reporte l'individu dans le passé, en ressus­citant des périodes antérieures de sa libido, de son besoin érotique ; d'autre part, elle suscite des expressions qui sont propres à ces périodes primitives. Mais ces deux aspects, aspect chronologique et aspect formel, se ramènent à une formule unique qui est : retour à l'enfance et rétablissement d'une étape infantile de la vie sexuelle.

Plus on approfondit la pathogenèse des névroses, plus on aperçoit les relations qui les unissent aux autres phénomènes de la vie psychique de l'hom­me, même à ceux auxquels nous attachons le plus de valeur. Et nous voyons combien la réalité nous satisfait peu malgré nos prétentions ; aussi, sous la pression de nos refoulements intérieurs, entretenons-nous au-dedans de nous toute une vie de fantaisie qui, en réalisant nos désirs, compense les insuffisan­ces de l'existence véritable. L'homme énergique et qui réussit, c'est celui qui parvient à transmuer en réalités les fantaisies du désir. Quand cette transmu­tation échoue par la faute des circonstances extérieures et de la faiblesse de l'individu, celui-ci se détourne du réel; il se retire dans l'univers plus heureux de son rêve; en cas de maladie il en transforme le contenu en symptômes. Dans certaines conditions favorables il peut encore trouver un autre moyen de passer de ses fantaisies à la réalité, au lieu de s'écarter définitivement d'elle par régression dans le domaine infantile ; j'entends que, s'il possède le don artistique, psychologiquement si mystérieux, il peut, au lieu de symptômes, transformer ses rêves en créations esthétiques. Ainsi échappe-t-il au destin de la névrose et trouve-t-il par ce détour un rapport avec la réalité . Quand cette précieuse faculté manque ou se montre insuffisante, il devient inévitable que la libido parvienne, par régression, à la réapparition des désirs infantiles, et donc à la névrose. La névrose remplace, à notre époque, le cloître où avaient coutume de se retirer toutes les personnes déçues par la vie ou trop faibles pour la supporter.

Je voudrais souligner ici le principal résultat auquel nous sommes parve­nus, grâce à l'examen psychanalytique des névrosés : à savoir que les névroses n'ont aucun contenu psychique propre qui ne se trouve aussi chez les person­nes saines, ou, comme l'a dit C. G. Jung, que les névrosés souffrent de ces mêmes complexes contre lesquels nous aussi, hommes sains, nous luttons. Il dépend des proportions quantitatives, de la relation des forces qui luttent entre elles, que le combat aboutisse à la santé, à la névrose ou à des productions surnormales de compensation.

Je dois encore mentionner le fait le plus important qui confirme notre hypothèse des forces instinctives et sexuelles de la névrose. Chaque fois que nous traitons psychanalytiquement un névrosé, ce dernier subit l'étonnant phénomène que nous appelons transfert. Cela signifie qu'il déverse sur le médecin un trop-plein d'excitations affectueuses, souvent mêlées d'hostilité, qui n'ont leur source ou leur raison d'être dans aucune expérience réelle ; la façon dont elles apparaissent, et leurs particularités, montrent qu'elles dérivent d'anciens désirs du malade devenus inconscients. Ce fragment de vie affective qu'il ne peut plus rappeler dans son souvenir, le malade le revit aussi dans ses relations avec le médecin ; et ce n'est qu'après une telle reviviscence par le « transfert » qu'il est convaincu de l'existence comme de la force de ses mou­vements sexuels inconscients. Les symptômes qui, pour emprunter une comparaison à la chimie, sont les précipités d'anciennes expériences d'amour (au sens le plus large du mot), ne peuvent se dissoudre et se transformer en d'autres produits psychiques qu'à la température plus élevée de l'événement du « transfert ». Dans cette réaction, le médecin joue, selon l'excellente expres­sion de Ferenczi, le rôle d'un ferment catalytique qui attire temporairement à lui les affects qui viennent d'être libérés.

L'étude du « transfert» peut aussi vous donner la clef de la suggestion hypnotique, dont nous nous étions servis au début comme moyen technique d'exploration de l'inconscient. L'hypnose nous fut alors une aide thérapeutique mais aussi un obstacle à la connaissance scientifique des faits, en ce qu'elle déblayait de résistances psychiques une certaine région, pour amonceler ces résistances, aux frontières de la même région, en un rempart insurmontable. Il ne faut pas croire, d'ailleurs, que le phénomène du « transfert », dont je ne puis malheureusement dire ici que peu de chose, soit créé par l'influence psychanalytique. Le « transfert » s'établit spontanément dans toutes les rela­tions humaines, aussi bien que dans le rapport de malade à médecin; il transmet partout l'influence thérapeutique et il agit avec d'autant plus de force qu'on se doute moins de son existence. La psychanalyse ne le crée donc pas; elle le dévoile seulement et s'en empare pour orienter le malade vers le but souhaité. Mais je ne puis abandonner la question du « transfert » sans souli­gner que ce phénomène contribue plus que tout autre à persuader non seule­ment les malades, mais aussi les médecins, de la valeur de la psychanalyse. Je sais que tous mes partisans n'ont admis la justesse de mes suppositions sur la pathologie des névroses que grâce à des expériences de « transfert », et je peux très bien concevoir que l'on ne soit pas convaincu tant qu'on n'a pratiqué aucune psychanalyse ni constaté les effets du « transfert ».

J'estime qu'il y a deux principales objections d'ordre intellectuel à opposer aux théories psychanalytiques. Premièrement, on n'a pas l'habitude de déter­miner d'une façon rigoureuse la vie psychique; deuxièmement, on ignore par quels traits les processus psychiques inconscients se différencient des proces­sus conscients qui nous sont familiers. Les critiques les plus fréquentes chez les malades comme chez les personnes en bonne santé se ramènent au second de ces facteurs. On craint de faire du mal par la psychanalyse, on a peur d'appeler à la conscience du malade les instincts sexuels refoulés, comme si cela faisait courir le risque d'une victoire de ces instincts sur les plus hautes aspirations morales. On remarque que le malade a dans l'âme des blessures à vif, mais on redoute d'y toucher, de peur d'augmenter sa souffrance.

Adoptons cette analogie. Il y a, certes, plus de ménagement à ne pas tou­cher aux places malades si on ne sait qu'aggraver la douleur. Mais le chirur­gien ne se refuse pas d'attaquer la maladie dans son foyer même, quand il pense que son intervention apportera la guérison. Personne ne songe à repro­cher au chirurgien les souffrances d'une opération, pourvu qu'elle soit couronnée de succès. Il doit en être de même pour la psychanalyse, d'autant plus que les réactions désagréables qu'elle peut momentanément provoquer sont incomparablement moins grandes que celles qui accompagnent une intervention chirurgicale. D'ailleurs, ces désagréments sont bien peu de chose comparés aux tortures de la maladie. Il va sans dire que la psychanalyse doit être exercée selon toutes les règles de l'art. Quant aux instincts qui étaient refoulés et que la psychanalyse libère, est-il à craindre qu'en réapparaissant sur la scène ils ne portent atteinte aux tendances morales et sociales acquises par l'éducation ? En rien, car nos observations nous ont montré de façon certaine que la force psychique et physique d'un désir est bien plus grande quand il baigne dans l'inconscient que lorsqu'il s'impose à la conscience. On le comprendra si l'on songe qu'un désir inconscient est soustrait à toute influence; les aspirations opposées n'ont pas de prise sur lui. Au contraire, un désir conscient peut être influencé par tous les autres phénomènes intérieurs qui s'opposent à lui. En corrigeant les résultats du refoulement défectueux, le traitement psychanalytique répond aux ambitions les plus élevées de la vie intellectuelle et morale.

Voyons maintenant ce que deviennent les désirs inconscients libérés par la psychanalyse ? Par quels moyens peut-on les rendre inoffensifs? Nous en connaissons trois.

Il arrive, le plus souvent, que ces désirs soient simplement supprimés par la réflexion, au cours du traitement. Ici, le refoulement est remplacé par une sorte de critique ou de condamnation. Cette critique est d'autant plus aisée qu'elle porte sur les produits d'une période infantile du « moi ». Jadis l'indi­vidu, alors faible et incomplètement développé, incapable de lutter efficace­ment contre un penchant impossible à satisfaire, n'avait pu que le refouler. Aujourd'hui, en pleine maturité, il est capable de le maîtriser.

Le second moyen, par lequel la psychanalyse ouvre une issue aux instincts qu'elle découvre, consiste à les ramener à la fonction normale qui eût été la leur, si le développement de l'individu n'avait pas été perturbé. Il n'est, en effet, nullement dans l'intérêt de celui-ci d'extirper les désirs infantiles. La névrose, par ses refoulements, l'a privé de nombreuses sources d'énergie psy­chique qui eussent été fort utiles à la formation de son caractère et au déploiment de son activité.

Nous connaissons encore une issue, meilleure peut-être, par où les désirs infantiles peuvent manifester toutes leurs énergies et substituer au penchant irréalisable de l'individu un but supérieur situé parfois complètement en de­hors de la sexualité : c'est la sublimation. Les tendances qui composent l'instinct sexuel se caractérisent précisément par cette aptitude à la subli­ma­tion : à leur fin sexuelle se substitue un objectif plus élevé et de plus grande valeur sociale. C'est à l'enrichissement psychique résultant de ce processus de sublimation, que sont dues les plus nobles acquisitions de l'esprit humain.

Voici enfin la troisième des conclusions possibles du traitement psychana­lytique : il est légitime qu'un certain nombre des tendances libidinales refou­lées soient directement satisfaites et que cette satisfaction soit obtenue par les moyens ordinaires. Notre civilisation, qui prétend à une autre culture, rend en réalité la vie trop difficile à la plupart des individus et, par l'effroi de la réalité, provoque des névroses sans qu'elle ait rien à gagner à cet excès de refoule­ment sexuel. Ne négligeons pas tout à fait ce qu'il y a d'animal dans notre nature. Notre idéal de civilisation n'exige pas qu'on renonce à la satisfaction de l'individu. Sans doute, il est tentant de transfigurer les éléments de la sexualité par le moyen d'une sublimation toujours plus étendue, pour le plus grand bien de la société. Mais, de même que dans une machine on ne peut transformer en travail mécanique utilisable la totalité de la chaleur dépensée, de même on ne peut espérer transmuer intégralement l'énergie provenant de l'instinct sexuel. Cela est impossible. Et en privant l'instinct sexuel de son aliment naturel, on provoque des conséquences fâcheuses.

Rappelez-vous l'histoire du cheval de Schilda. Les habitants de cette petite ville possédaient un cheval dont la force faisait leur admiration. Malheureu­sement, l'entretien de la bête coûtait fort cher; on résolut donc, pour l'habituer à se passer de nourriture, de diminuer chaque jour d'un grain sa ration d'avoi­ne. Ainsi fut fait ; mais, lorsque le dernier grain fut supprimé, le cheval était mort. Les gens de Schilda ne surent jamais pourquoi.

Quant à moi, j'incline à croire qu'il est mort de faim, et qu'aucune bête n'est capable de travailler si on ne lui fournit sa ration d'avoine.

Sigmund Freud
(Cinq leçons prononcées en 1904 à la Clark University, Worcester (Mass.) publiées originalement dans l’American Journal of Psychology en 1908. Cet essai a été précédemment publié dans la « Bibliothèque Scientifique des Éditions Payot, Paris ». « Cinq leçons sur la Psychanalyse » a été traduit par Yves LE LAY.

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