"Un rêve non interprété est comme une lettre non lue."
(Berakhot 21O).
"On ne voit dans ses rêves que les réflexions de son coeur."
Mar Shmouel, talmudiste.
"Le rêve apparaît à l'homme sans aucune intervention de la
réflexion ou du raisonnement." Rabbi Bahyay "Le Rêve" 12è s.
LE TALMUD
Ecrit entre 3OO avant et 5OO après J.C. à Jérusalem et Babylone, le Talmud (en hébreu : étude) consacre au rêve des passages entiers, parfois contradictoires. L'un des premiers d'entre eux s'intitule "Haroeh", celui qui voit. Le rêve est rendu aux humains. Sa valeur dépend de celle du rêveur, mais pas de façon simpliste : "Au juste pas de bons rêves, au méchant point de mauvais" ! (Berakhot 55) Car le rêve enseigne. "Tout rêve a un sens, sauf celui qu'on fait l'estomac vide." Le trouble où jette un mauvais rêve suffit à le dissiper, c'est une plus dure semonce que d'être battu" (ibid 210). Pour combattre les funestes présages d'un mauvais rêve, il faut jeûner (Chabbat 13). C'est même le seul cas où le jeûne soit autorisé le jour du sabbat. On n'acceptera pas la conversion d'un païen suscitée par un rêve (Yeb 24). Une condamnation rêvée peut être absoute par dix personnes au réveil (Ned 8). S'endormir l'esprit gai appelle de bons rêves (Chabbat 30). "Les rêves qui se réaliseront sont : ceux du petit matin, ceux faits à votre sujet par un ami, ceux qu'on interprète au cours même de son rêve, ceux qui se répètent" (Berakhot 216).
Au delà de la complexité de ses méthodes, l'interprétation obéit à des règles simples. Le rêveur ne peut pas interpréter son rêve. Il doit le raconter, mais pas à n'importe qui, car "tous les rêves se réalisent selon leur interprétation", dit Rabi Eliezer. Rêver est l'un des six moyens de guérison naturelle. L'interprète est une sorte de catalyseur qui met à jour les virtualités subjectives du rêveur et permet au rêve de se réaliser. Immémorial humour juif ou prélude aux règles de la cure psychanalytique, le Talmud se fait l'écho de nombreux débats sur le rôle joué par les honoraires dans une bonne interprétation !
LES MEILLEURS INTERPRETES
La pratique de l'interprétation s'inscrit dans la logique de la langue hébraïque, qui utilise peu les voyelles écrites et permet à des racines uniques de donner plusieurs mots. De HLM découlent Halom, rêver mais aussi être sain, et Hechelime, faire rêver ou guérir. Ce procédé sert à expliquer favorablement le rêve du soldat madianite entendu par Gédéon, car la racine LKHM est commune au pain d'orge (lekhem) et au combat (lkhom). D'autres particularités de l'hébreu furent mises à profit pour enrichir la science des significations symboliques. Les Hébreux ignoraient les chiffres arabes ou romains. La valeur numérique accordée à chaque lettre permettait un décodage des mots, appelé Guematria, qui donna naissance à la Kabbale. Ainsi, par exemple, l'équivalence numérique entre le mot échelle et le mot Sinaï permit aux talmudistes d'interpréter le rêve de Jacob comme l'annonce de la révélation apportée à Moïse. L'addition des chiffres-lettres des mots rêver et intelligence donna Joseph, incarnation de l'intelligence dans l'interprétation des rêves. Dérivation des racines verbales, manipulation numérique, ou encore inversion et transposition des lettres (procédé de la Temura) et combinaison des initiales (Notarikon) valurent aux érudits juifs d'être considérés comme les meilleurs interprètes de l'antiquité, réputation qui se mantint dans le monde musulman et perdura en Occident, malgré la répression, jusque tard dans le Moyen Age.
LES REVES PARANORMAUX
L'Ancien Testament accordant tant d'importance à l'onirisme prophétique, la question des rêves prémonitoires ne pouvait laisser indifférents les penseurs juifs. "Le songe est le fruit abortif de la prophétie", dit le Talmud. "Il en est la soixantième partie", proclame-t-il ailleurs. Maïmonide, philosophe célèbre de la fin du XIIème siècle, déduisit de sa théorie des trois instances du cerveau (intellect actif, imagination, raison) une évaluation des capacités oniriques des individus. L'intellect actif s'allie à la raison chez les savants, à l'imagination chez les devins et grands rêveurs, aux deux chez les prophètes. A partir d'une classification des songes et des visions bibliques, Maïmonide établit une échelle de la valeur prophétique des rêves. Ses écrits furent brûlés par le Pape à la demande de ses opposants juifs ! Dans le Zohar, texte du XIIIème siècle fondateur de la Kabbale, la véracité d'un rêve prémonitoire reflète l'évolution de l'âme vers l'extase mystique. Car si "rien n'arrivera à un homme qu'il n'ait déjà vu dans un rêve" (Miketz 193:82), Dieu parle seulement dans les rêves des justes. Selon le Sépher Hassidim ou "Livre des Dévots", qui date de la même époque, un rêve doit aborder un sujet inconnu du rêveur pour être considéré prémonitoire. Il est cependant possible de poser des "questions de rêve", à condition de ne raconter à personne ses intentions, de jeûner la veille, de s'endormir sur le côté droit après avoir écrit la question sur sa main, puis médité et prié l'ange du rêve Métatron. En utilisant les procédés numériques évoqués précédemment, les textes hassidiques ultérieurs élaborèrent des tableaux incroyablement sophistiqués permettant de répondre à des questions spécifiques. L'initiale du sujet d'un rêve permettait ainsi de savoir dans combien de temps celui-ci se réaliserait.
Difficile de savoir si un rêve est prémonitoire : selon les textes hassidiques, on peut espérer pendant 22 ans la réalisation d'un bon rêve. Pourquoi ? Dans la Genèse, Joseph fait à 17 ans le rêve prophétisant qu'il sera Grand d'Egypte. Il se présente devant Pharaon à l'âge de 3O ans. Suivent 7 années d'abondance, puis 2 ans de famine avant qu'il ne se fasse reconnaître par ses frères. 3O + 7 + 2 = 39, 39 -17 = 22 !
LA CLE DES SONGES D'ALMOLI
Dans son Traité de la Science des Rêves (parfois traduit "Livre des Guérisons"), publié en hébreu en 1537 à Amsterdam, Salomon Almoli définit les règles de l'interprétation. Seuls les rêves du petit matin ont un sens profond. Un bon interprète doit prendre en compte la personnalité et le passé du rêveur, distinguer l'essentiel des détails, connaître les différents symboles d'un même objet, et faire preuve d'intuition et d'imagination. L'ouvrage contient deux clés des songes. La première, alphabétique, répertorie les grands thèmes. Dans le corps humain, la tête symbolise le rêveur, les épaules ses frères et soeurs, les bras ses amis, les mains ses serviteurs. La seconde partie est classée par sujets : les éléments, les animaux, les végétaux, les humains, etc. Savoir qu'un chien qui mord représente une personne animée de mauvaises intentions ne surprendra personne. Mais pourquoi faut-il voir dans les démons un présage de richesses, ou dans un boeuf qui attaque l'annonce d'une longue vie ? Mystère ! Etonnant mélange d'évidences et de symboles incompréhensibles, le traité d'Almoli fut traduit en juif-allemand et en yiddish, et connut un immense succès. Sa dernière édition date de 19O2.
LES DIFFERENTS TYPES DE REVES
Comme toutes les traditions, la pensée judaïque s'efforça de séparer les rêves sans importance des "vrais". Au XIIème siècle, le rabbin Bahyay distingua les rêves des enfants, qualifiés de "petite prophétie", des rêves adultes qu'il classa en trois catégories.
- Les rêves de digestion. Une "fumée", montant de l'estomac au cerveau, déclenche des rêves sans signification.
- Les rêves consécutifs à des pensées diurnes reproduisent les désirs ou préoccupations du rêveur.
- Les rêves "vrais" viennent du fond de l'âme. Leur impact, leur étrangeté, leur éventuelle répétition provoquent l'émoi du rêveur et lui signalent qu'ils sont prémonitoires.
Le rêve dans le judaïsme
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