Idéalisation


Comme synonyme d'idéalisation le dictionnaire propose embellir. L'idéalisation est un processus psychologique par lequel l'objet du désir, par exemple la personne aimée, est investi des caractéristiques exemplaires qu'il ne possède pas de manière objective. L'idéalisation consiste à embellir et a représenter la personne aimée ou l'objet désiré comme un modèle absolu de perfection.

Selon Freud, avec le moi et le ça, l'idéalisation fait partie des instances de la seconde topique freudienne. En psychanalyse la topique est un schéma, un système appartenant au psychisme profond et doué de caractères de fonctions particulières.

La première topique proposée par Freud en 1905 permettait de distinguer trois instances l'inconscient, le préconscient et le conscient. En 1920 Freud décrit la seconde topique qui comprend le ça, le moi, le surmoi et l'idéalisation.l'

Le surmoi, peut globalement être assimilé à un juge, un senseur susceptible de représenter la loi ou le rôle de la loi et le rôle du père. Par exemple la phrase : on n'agit pas comme ça est significative de ce modèle.

Le moi, plus précisément l'idéal du moi peut être assimilé à un modèle auquel on va tâcher de se conformer. Ainsi les parents représentent un modèle auquel on veut ressembler et imiter.
Plus précisément le moi représente la personnalité individuelle consciente (fonctions sociales ou professionnelles, rôles assumés ou joués, modèles empruntés au milieu socioculturel).
Pour Sigmund Freud, le terme moi possède deux sens distincts. Généralement le moi désigne la personnalité psychique dans son ensemble. En réalité Freud, vers 1920, finira par distinguer trois instances: le ça, le surmoi et le moi.

Au cours de son évolution un enfant aboutit à la perception d'une réalité se distinguant à la fois des autres, d’autrui et du milieu extérieur. Un enfant cherche toujours à s'identifier et à idéaliser ses parents mais aussi les autres adultes de son entourage. Ceci s'explique par ses besoins physiologiques et psychologiques qui vont dépendre directement de ces personnes idéalisées. L'enfant est directement dépendant de son entourage qui a ses yeux a une importance primordiale. Il va tenter, durant toute son enfance et parfois plus tardivement d'imiter, jusqu'à parfois créer une forme de fusion, de s’approprier les caractéristiques physiques et physiologiques de ses éducateurs.

C'est justement en cas d'exagération et de prolongation de tentative d'identification que l'on assiste à une forme de dépendance. Pourtant cette identification est utile à l'élaboration de la personnalité de l'enfant et consécutivement de l'adulte mais son excès est suceptible d'engendrer une problématique vévrotique. Donc si l'enfant n'obtient pas la différenciation dont la finalité est l'autonomie après la puberté, son moi ne se démarquera pas de ceux à qui il s'est identifié durant son enfance.

Concrètement la vie quotidienne nous permet de trouver des exemples d'absence de démarcation chez l'adulte. Ainsi le besoin de se référer constamment à l'autre, au sein d'un couple par exemple, est une dépendance psychique en rapport direct avec une forme d'idéalisation traduisant une maturation  inachevée. Dans le même ordre d'idée en découle la notion d'autonomie psychique.

L'idéalisation ainsi est un processus psychanalytique par lequel l'objet du désir est investi défensivement par le sujet de qualité portés à la perfection. L'identification à l'objet (psychanalyse) idélisé contribue à la formation et à l'enrichissement des instances que sont le Moi idéal et l'idéal du Moi. pour les kleiniens, l'idéalisation est en lien avec l'envie dont elle est l'opposé, voire le pendant.



Bibliothèque de psychanalyse
L’idéalisation narcissique
(Herbert A. Rosenfeld)

Cliniquement, les relations d’objet narcissiques apparaissent souvent à l’analyste, et sont aussi vécues ou ressenties par le patient comme des relations idéales et désirables. Par exemple, au cours de l’analyse, la relation à la mère/cabinets est fréquemment ressentie comme idéale: en effet, le patient se trouve soulagé lorsque, au cours d’une séance, il peut se décharger immédiatement sur la personne de l’analyste de tout ce qui lui est désagréable.
Lorsqu’il s’attribue la possession de l’analyste, comme celle du sein qui l’a nourri, il s’attribue ainsi le mérite de toutes les interprétations satisfaisantes de l’analyste, et cette situation est vécue comme parfaite ou idéale parce qu’elle lui permet de renforcer, pendant la séance, le sentiment de sa propre valeur et de son importance.
Parfois, les patients narcissiques se représentent leur relation avec l’analyste comme idéale et mutuellement satisfaisante, l’identité du patient et celle de l’analyste ne s’y trouvant pas différenciées, situation qui rappelle la description que Freud a faite du sentiment océanique. Un autre exemple de l’idéalisation narcissique est celui du patient qui se sent aimé par tout le monde ou exige que tout le monde l’aime parce qu’il est tellement digne d’être aimé.
Tous ces patients semblent avoir en commun le sentiment qu’ils contiennent en eux tout le « bon » qui autrement serait éprouvé dans une relation à un objet. Généralement, nous rencontrons une image de soi fortement idéalisée qui domine la situation analytique; en même temps, tout ce qui peut venir déranger cette image est l’objet d’une défense rigoureuse et d’un déni omnipotent.
                                                                 Sigmund FREUD
Pour introduire le narcissisme

(1914) 

(3)
Les perturbations auxquelles est exposé le narcissisme originaire de l'enfant, ses réactions de défense contre ces perturbations, les voies dans lesquelles il est de ce fait forcé de s'engager, voilà ce que je voudrais laisser de côté, comme une matière importante qui attend encore qu’on s occupe de la travailler ; l'on peut cependant en extraire la pièce la plus importante, le " complexe de castration " (angoisse concernant le pénis chez le garçon, envie du pénis chez la fille) et en traiter en relation avec l’influence de l’intimidation sexuelle des premières années.
La recherche psychanalytique nous permet de suivre dans d’autres cas les destins des pulsions libidinales, lorsque celles-ci, isolées des pulsions du moi, se trouvent en opposition avec elles; mais, dans le domaine du complexe de castration, elle nous permet de remonter par le raisonnement à une époque et à une situation psychique où les deux sortes de pulsions agissent encore à l'unisson et se présentent comme intérêts narcissiques dans un mélange indissociable. A. Adler a tiré de ce contexte sa " protestation virile " qu'il érige presque en l'unique force de pulsion qui agisse dans la formation des névroses et aussi du caractère ; il ne la fonde pas sur une tendance narcissique, qui serait donc encore libidinale, mais sur une valorisation sociale.
Du point de vue de la recherche psychanalytique, l'existence et l'importance de la "protestation virile "  ont été reconnues dés le début, mais la thèse de sa nature narcissique et de son origine dans le complexe de castration a été défendue contre Adler. La "protestation virile" appartient à la formation du caractère dans la genèse duquel elle entre, à côté de nombreux autres facteurs, et elle est rigoureusement inapte à éclaircir les problèmes des névroses dans lesquelles Adler ne veut rien considérer d'autre que la manière dont elles servent l'intérêt du moi.

Je trouve tout à fait impossible de fonder la genèse de la névrose sur la base étroite du complexe de castration, quelle que soit, chez les sujets masculins, sa puissance lorsqu'il entre en jeu parmi les résistances à la guérison de la névrose. Enfin je connais même des cas de névrose où la "protestation virile", ou bien à notre sens le complexe de castration, ne joue pas de rôle pathogène, voire n'apparaît pas du tout.
L'observation de l'adulte normal montre que son délire des grandeurs d'autrefois s'est amorti et que les caractères psychiques se sont effacés qui nous avaient fait conclure à son narcissisme infantile. Qu'est-il advenu de sa libido du moi ? Devons-nous admettre que tout son quantum est passé dans des investissements d'objet ? Une telle possibilité vient manifestement en contradiction avec toute la ligne du présent développement; mais nous pouvons aussi aller chercher dans la psychologie du refoulement l'indication d'une autre réponse à cette question.
Nous avons appris que des motions pulsionnelles subissent le destin du refoulement pathogène, lorsqu'elles viennent en conflit avec les représentations culturelles et éthiques de l'individu. Par cette condition, nous n'entendons jamais que la personne a de l'existence de ces représentations une simple connaissance intellectuelle, mais toujours qu'elle les reconnaît comme faisant autorité pour elle, qu'elle se soumet aux exigences qui en découlent. Le refoulement, avons-nous dit, provient du moi; nous pourrions préciser de l'estime de soi qu'a le moi. Les mêmes impressions, expériences, impulsions, motions de désir auxquels tel homme laisse libre cours en lui ou que du moins il élabore consciemment, sont repoussées par tel autre avec la plus grande indignation, ou sont déjà étouffées avant d'avoir pu devenir conscientes.
Mais la différence entre ces deux sujets, qui contient la condition du refoulement, peut s'exprimer facilement en des termes qui permettent de la soumettre à la théorie de la libido. Nous pouvons dire que l'un a établi en lui un idéal auquel il mesure son moi actuel, tandis que chez l'autre une telle formation d'idéal est absente. La formation d'idéal serait du côté du moi la condition du refoulement.
C'est à ce moi idéal que s'adresse maintenant l'amour de soi dont jouissait dans l'enfance le moi réel. Il apparaît que le narcissisme est déplacé sur ce nouveau moi idéal qui se trouve, comme le moi infantile, en possession de toutes les perfections. Comme c'est chaque fois le cas dans le domaine de la libido, l'homme s est ici montré incapable de renoncer à la satisfaction dont il a joui une fois.
Il ne veut pas se passer de la perfection narcissique de son enfance; s'il n'a pas pu la maintenir, car, pendant son développement, les réprimandes des autres l'ont troublé et son propre jugement s'est éveillé, il cherche à la regagner sous la nouvelle forme de l'idéal du moi. Ce qu'il projette devant lui comme son idéal est le substitut du narcissisme perdu de son enfance ; en ce temps-là, il était lui-même son propre idéal.
Nous trouvons ici l'occasion d'examiner les rapports de cette formation d'idéal et de la sublimation. La sublimation est un processus qui concerne la libido d'objet et consiste en ce que la pulsion se dirige sur un autre but, éloigné de la satisfaction sexuelle; l'accent est mis ici sur la déviation qui éloigne du sexuel. L'idéalisation est un processus qui concerne l'objet et par lequel celui-ci est agrandi et exalté psychiquement sans que sa nature soit changée.
L'idéalisation est possible aussi bien dans le domaine de la libido du moi que dans celui de la libido d'objet. Par exemple, la surestimation sexuelle de l'objet est une idéalisation de celui-ci. Ainsi, pour autant que sublimation désigne un processus qui concerne la pulsion et idéalisation un processus qui concerne l'objet, on doit maintenir les deux concepts séparés l'un de l'autre.
La formation de l'idéal du moi est souvent confondue avec la sublimation des pulsions, au détriment d'une claire compréhension. Tel qui a échangé son narcissisme contre la vénération d'un idéal du moi élevé n'a pas forcément réussi pour autant à sublimer ses pulsions libidinales. L'idéal du moi requiert, il est vrai, cette sublimation mais il ne peut l'obtenir de force ; la sublimation demeure un processus particulier; l'idéal peut bien l'inciter à s'amorcer mais son accomplissement reste complètement indépendant d'une telle incitation.
On trouve justement chez les névrosés les plus grandes différences de tension entre le développement de l'idéal du moi et la quantité de sublimation de leurs pulsions libidinales primitives, et, en général, il est bien plus difficile de convaincre l'idéaliste de ce que sa libido reste logée dans une position inappropriée que d'en convaincre l'homme simple qui est resté modéré dans ses prétentions. Formation d'idéal et sublimation ont aussi des relations tout à fait différentes avec les facteurs déterminant la névrose. La formation d'idéal augmente, comme nous l'avons vu, les exigences du moi, et c'est elle qui agit le plus fortement en faveur du refoulement ; la sublimation représente l'issue qui permet de satisfaire à ces exigences sans amener le refoulement.
Il ne serait pas étonnant que nous trouvions une instance psychique particulière qui accomplisse la tâche de veiller à ce que soit assurée la satisfaction narcissique provenant de l'idéal du moi, et qui, dans cette intention, observe sans cesse le moi actuel et le mesure à l'idéal. Si une telle instance existe, il est impossible qu'elle soit l'objet d'une découverte inopinée; nous ne pouvons que la reconnaître comme telle et nous pouvons nous dire que ce que nous nommons notre conscience morale possède cette caractéristique.
La reconnaissance de cette instance nous permet de comprendre les idées délirantes où le sujet se croit au centre de l'attention des autres ou, pour mieux dire, le délire d'observation qui présente une telle netteté dans la symptomatologie des affections paranoïdes mais peut aussi se produire comme affection isolée ou bien de façon sporadique dans une névrose de transfert. Les malades se plaignent alors de ce qu'on connaisse toutes leurs pensées, qu'on observe et surveille leurs actions; ils sont avertis du fonctionnement souverain de cette instance par des voix qui leur parlent, de façon caractéristique, à la troisième personne (" maintenant elle pense encore à cela "; maintenant il s'en va ").
Cette plainte est justifiée, elle décrit la vérité; il existe effectivement, et cela chez nous tous dans la vie normale, une puissance de cette sorte qui observe, connaît, critique toutes nos intentions. Le délire d'observation la présente sous une forme régressive, dévoilant ainsi sa genèse et la raison qui pousse le malade à s'insurger contre elle.
Ce qui avait incité le sujet à former l'idéal du moi dont la garde est remise à la conscience morale, c'était justement l'influence critique des parents telle qu'elle se transmet par leur voix; dans le cours des temps sont venus s'y adjoindre les éducateurs, les professeurs et la troupe innombrable et indéfinie de toutes les autres personnes du milieu ambiant (les autres, l'opinion publique).
De grandes quantités d'une libido essentiellement homosexuelle furent ainsi attirées pour former l'idéal du moi narcissique, et elles trouvent, en le maintenant, à se dériver et à se satisfaire. L'institution de la conscience morale était au fond l'incarnation en un premier temps de la critique des parents, et plus tard de la critique de la société; le même processus se répète lorsqu'une tendance au refoulement trouve son origine dans une défense ou un obstacle qui étaient tout d'abord extérieurs.
Les voix, ainsi que cette foule laissée indéterminée, viennent maintenant au premier plan, du fait de la maladie, de sorte que l'histoire du développement de la conscience morale se reproduit régressivement. Quant à la rébellion contre cette instance de censure, elle provient de ce fait, conforme au caractère fondamental de la maladie, que la personne veut se dégager de toutes Ces influences, à commencer par celle des parents, et qu'elle en retire sa libido homosexuelle. Sa conscience morale lui revient alors, sous une figure régressive, comme action hostile de l'extérieur.
Les doléances de la paranoïa montrent aussi que l'autocritique de la conscience morale coïncide au fond avec l'auto-observation sur laquelle elle est construite. La même activité psychique qui a pris en charge la fonction de la conscience morale s'est aussi mise au service de l'introspection qui livre à la philosophie le matériel pour ses opérations de pensée. Cela n'est peut-être pas sans rapport avec la tendance caractéristique des paranoïaques à construire des systèmes spéculatifs.
Il sera certainement important de pouvoir reconnaître dans d'autres domaines encore les indices de l'activité de cette instance qui observe, critique, et s'est haussée à la dignité de conscience morale et d'introspection philosophique. Je me réfère ici à ce que H. Silberer a décrit comme "phénomène fonctionnel ", l'un des rares additifs à la doctrine des rêves dont la valeur soit incontestable.
Silberer a montré, on le sait, que l'on peut observer directement, dans les états situés entre le sommeil et la veille, la transposition des pensées en images visuelles, mais qu'en de telles circonstances l'image qui apparaît ne représente pas en général le contenu de pensée, mais l'état (bonne disposition, fatigue, etc.) dans lequel se trouve la personne qui lutte contre le sommeil.
De même il a montré que, plus d'une fois, la terminaison du rêve ou certains passages du contenu du rêve ne signifiaient rien d'autre que l'autoperception du sommeil et de l'éveil. Il a ainsi prouvé la participation de l'auto-observation - au sens du délire d'observation paranoïaque - à la formation du rêve. Cette participation est Inconstante; le l'avais négligée vraisemblablement parce qu'elle ne louait pas un grand rôle dans mes propres rêves; chez les personnes douées pour la philosophie et habituées à l'introspection, cette participation peut devenir très évidente.
Nous avons découvert, souvenons-nous-en, que la formation du rêve se produit sous la domination d'une censure qui contraint les pensées du rêve à subir une déformation. Sous cette censure nous ne nous représentons pourtant pas une puissance spéciale, mais nous choisissons cette expression pour désigner un aspect particulier des tendances qui dominent le moi et qui refoulent leur face qui est tournée vers les pensées du rêve.
Si nous pénétrons plus avant dans la structure du moi, nous pouvons reconnaître encore le censeur du rêve dans l'idéal du moi et dans les manifestations dynamiques de la conscience morale. Si ce censeur est un peu en état d'alerte même pendant le sommeil, nous comprendrons que l'auto-observation et l'autocritique, que présuppose son activité, apportent leur contribution au contenu du rêve dans des contenus tels que : maintenant, il est trop endormi pour penser - maintenant, il s'éveille.
Nous pouvons, à partir d'ici, tenter de discuter le problème du sentiment d'estime de soi chez le normal et chez le névrosé.
Le sentiment d'estime de soi nous apparaît tout d'abord comme expression de la grandeur du moi, sans qu'entrent en considération les éléments dont cette grandeur se compose. Tout ce qu'on possède ou qu'on atteint, tout reste du sentiment primitif d'omnipotence que l'expérience a confirmé, contribue à augmenter le sentiment d'estime de soi.
Si nous introduisons ici notre distinction entre pulsions sexuelles et pulsions du moi, nous devons reconnaître que le sentiment d'estime de soi dépend, de façon tout à fait intime, de la libido narcissique. Nous nous appuyons ici sur ces deux faits fondamentaux le sentiment d'estime de soi est augmenté dans les paraphrénies, abaissé dans les névroses de transfert; dans la vie amoureuse, ne pas être aimé rabaisse le sentiment d'estime de soi, être aimé l'élève. Nous avons indiqué qu'être aimé représente le but et la satisfaction dans le choix d'objet narcissique.
De plus il est facile d'observer que l'investissement de libido sur les objets n'élève pas le sentiment d'estime de soi. La dépendance par rapport à l'objet aimé a pour effet d'abaisser ce sentiment; l'amoureux est humble et soumis. Celui qui aime a, pour ainsi dire, payé amende d'une partie de son narcissisme, et il ne peut en obtenir le remplacement qu'en étant aimé. Sous tous ces rapports le sentiment d'estime de soi semble rester en relation avec l'élément narcissique de la vie amoureuse.
La perception de son impuissance, de sa propre incapacité d'aimer par suite de troubles psychiques ou somatiques, agit au plus haut degré pour abaisser le sentiment d'estime de soi. C'est ici qu'il faut chercher, à mon avis, l'une des sources de ces sentiments d'infériorité que les malades souffrant d'une névrose de transfert font si volontiers connaître. Mais la source principale de ces sentiments est l'appauvrissement du moi résultant du fait que des investissements libidinaux extraordinairement grands sont retirés au moi, donc la blessure infligée au moi par les tendances sexuelles qui ne sont plus soumises à contrôle.
A. Adler a eu raison de faire valoir que la perception par quelqu'un de ses propres infériorités d'organe éperonne la vie psychique, lorsqu'elle a de la ressource, et accroît son rendement par la voie de la surcompensation. Mais ce serait une complète exagération que de rapporter, à l'exemple d'Adler, toute production d'un bon rendement à cette condition d'une infériorité d'organe originaire. Tous les peintres ne sont pas affligés de troubles visuels, tous les orateurs n'ont pas commencé par bégayer.
Chez une foule de personnes un rendement excellent se fonde sur des dons organiques de premier ordre. L'infériorité d'organe et les atrophies jouent dans l'étiologie des névroses un rôle insignifiant, du même ordre que, dans la formation du rêve, le matériel perceptif actuel. La névrose s'en sert comme prétexte, comme elle se sert de tout autre facteur disponible.
Au moment où l'on vient d'accorder crédit à une névrosée qui affirme qu'elle devait inévitablement tomber malade parce qu'elle est laide, mal faite et sans charme si bien que personne ne peut l'aimer, la patiente suivante nous détrompe elle persévère en effet dans sa névrose et son aversion pour la sexualité, bien qu'elle semble désirable et soit en fait désirée plus que la moyenne des femmes. La majorité des femmes hystériques comptent parmi les représentantes de leur sexe qui sont attirantes et même belles, et à l'inverse les laideurs, atrophies d'organe, infirmités que l'on trouve en quantité dans les classes inférieures de notre société n'accroissent en rien la fréquence des affections névrotiques parmi elles.
Les relations du sentiment d'estime de soi avec l'érotisme (c'est-à-dire avec les investissements libidinaux d'objet, se laissent exprimer dans les formules suivantes il faut distinguer deux cas, selon que les investissements d'amour sont conformes au moi ou au contraire ont subi un refoulement. Dans le premier cas (utilisation conforme au moi de la libido) aimer est valorisé comme toute autre activité du moi. Aimer, en soi, comme désir ardent et privation, abaisse le sentiment d'estime de soi; être aimer, aimé de retour, posséder l'objet aimé relève ce sentiment.
Quand la libido est refoulée, l'investissement d'amour est ressenti comme un sévère amoindrissement du moi, la satisfaction amoureuse est impossible, le réenrichissement du moi n'est possible qu'en retirant la libido des objets. Le retour au moi de la libido d'objet, sa transformation en narcissisme, représente en quelque sorte le rétablissement d'un amour heureux, et inversement un amour réel heureux répond à l'état originaire où libido d'objet et libido du moi ne peuvent être distinguées l'une de l'autre.
L'importance de notre objet d'étude et l'impossibilité d'en prendre une vue d'ensemble justifiera peut-être que j'ajoute quelques autres propositions dans un ordre plus décousu.
Le développement du moi consiste à s'éloigner du narcissisme primaire, et engendre une aspiration intense à recouvrer ce narcissisme. Cet éloignement se produit par le moyen du déplacement de la libido sur un idéal du moi imposé de l'extérieur, la satisfaction par l'accomplissement de cet idéal.
En même temps le moi a émis les investissements libidinaux d'objet. Il se trouve appauvri au bénéfice de ces investissements ainsi que de l'idéal du moi, et il s'enrichit à nouveau par les satisfactions objectales ainsi que par l'accomplissement de l'idéal.
Une part du sentiment d'estime de soi est primaire, c'est le reste du narcissisme infantile, une autre partie a son origine dans ce que l'expérience confirme de notre toute-puissance (accomplissement de l'idéal du moi), une troisième partie provient de la satisfaction de la libido d'objet.
L'idéal du moi a soumis à des conditions sévères la satisfaction libidinale en rapport avec les objets, en faisant refuser par son censeur une partie de cette satisfaction, comme inconciliable. Quand un tel idéal ne s'est pas développé, la tendance sexuelle en question pénètre telle quelle, comme perversion, dans la personnalité. Etre à nouveau, comme dans l'enfance, et également en ce qui concerne les tendances sexuelles, son propre idéal, voilà le bonheur que veut atteindre l'homme.
La passion amoureuse consiste en un débordement de la libido du moi sur l'objet. Elle a la force de supprimer les refoulements et de rétablir les perversions. Elle élève l'objet sexuel au rang d'idéal sexuel. Elle se produit, dans le type objectal ou par étayage, sur la base de l'accomplissement de conditions déterminant l'amour infantile, ce qui nous autorise à dire : ce qui accomplit cette condition déterminant l'amour est idéalisé.
L'idéal sexuel peut entrer dans une relation d'assistance intéressante avec l'idéal du moi. Lorsque la satisfaction narcissique se heurte à des obstacles réels l'idéal sexuel peut servir à une satisfaction substitutive. L'on aime alors, selon le type de choix narcissique, ce que l'on a été et qu'on a perdu, ou bien ce qui possède les perfections que l'on n'a pas du tout.
La formule parallèle à la précédente s'énonce ainsi : ce qui possède la qualité éminente qui manque au moi pour atteindre l'idéal, est aimé. Un tel expédient a une importance particulière pour le névrosé, qui, par le fait de ses investissements d'objet excessifs, s'appauvrit dans son moi, et est hors d'état d'accomplir son idéal du moi. Après avoir dissipé sa libido sur les objets, il cherche alors une voie pour revenir au narcissisme, en se choisissant, selon le type narcissique, un idéal sexuel qui possède les perfections qu'il ne peut atteindre.
En effet, il ne peut croire à un autre mécanisme de guérison, apporte la plupart du temps dans la cure son attente de ce mécanisme-là, et dirige cette attente sur la personne du médecin qui le traite. Ce plan de guérison se heurte naturellement à l'incapacité d'aimer du malade, conséquence de ses refoulements étendus. Lorsqu'à l'aide du traitement on l'a, dans une certaine mesure, débarrassé de ceux-ci, on voit en général se produire cette conséquence qu'on n'avait pas visée : le malade se dérobe maintenant à la poursuite du traitement pour faire un choix amoureux, laissant à sa vie commune avec la personne aimée le soin d'achever son rétablissement. L'on pourrait se satisfaire de cette issue, si elle ne comportait tous les dangers d'une dépendance accablante envers ce sauveur.
De l'idéal du moi une voie importante conduit à la compréhension de la psychologie collective. Outre son côté individuel, cet idéal a un côté social, c'est également l'idéal commun d'une famille, d'une classe, d'une nation. Outre la libido narcissique, il a lié un grand quantum de la libido homosexuelle d'une personne, libido qui, par cette voie est retournée dans le moi. L'insatisfaction qui résulte du non-accomplissement de cet idéal, libère de la libido homosexuelle, qui se transforme en conscience de culpabilité (angoisse sociale). La conscience de culpabilité était originellement l'angoisse d'être châtié par les parents, ou, plus exactement de perdre leur amour; aux parents est venue plus tard se substituer la foule indéterminée de nos compagnons.
On comprend mieux ainsi pourquoi la paranoïa est souvent causée par une atteinte du moi, par une frustration de la satisfaction dans le domaine de l'idéal du moi; on comprend mieux aussi la conjonction de la formation d'idéal et de la sublimation dans l'idéal du moi, la rétrogradation des sublimations et l'éventuel remaniement des idéaux dans les affections paraphréniques.

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